Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photographies de Jacques Morpain.
Personnages :
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans
Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies de Jacques Morpain (1970)
Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.
île de wight dimanche 30 août 1970 au matin
vers 6 heures je suis éveillée par cette voix étrange qui dissipe rauquement les brouillards sur la colline sur la campagne sur la mer
c’est mélanie
la petite mélanie seule en scène avec juste une guitare
elle est très loin et pourtant très proche
en bas les corps sont toujours étendus entre les feux épars
ici sur la colline des têtes ébouriffées sortent des sacs de couchage des bustes se redressent et applaudissent ce matin trop beau
mélanie qui lance sa voix vers le ciel
mélanie presque fragile qui casse sa voix pour mieux l’insinuer entre les dernières brumes entre les dernières fumées des derniers feux qui se rallument les uns après les autres
mélanie qui éveille la colline et les champs là-bas jusqu’à la mer immense
mélanie étrange et délicate qui d’un coup de baguette magique laisse deviner le soleil derrière la colline
mais c’est déjà fini
elle a disparu
à sa place un disque des beatles he comes the sun
mais avec mélanie le soleil était plus émouvant et plus grandiose
le disque continue avec le cri d’un coq pour nous réveiller
good morning
les anglais ont toujours le sens de l’humour
de l’autre côté de la colline l’herbe s’étend doucement en terrain de golf jusqu’aux falaises qui dominent la mer
le soleil a jailli d’entre les nuages en un cercle de feu parfait et tout est beau parmi les ordures qui jonchent le terrain
j’ai tout effacé
moi qui ne supporte plus la crasse
en m’asseyant sur une motte de terre cernée de boites de conserve vides de bouteilles et de sacs en papier déchirés et tout et tout
j’oubliais tout
fascinée par mélanie et le spectacle qu’elle avait fait surgir au petit matin du dimanche
vers 9h nouveau réveil
les gens sont restés dans l’arène depuis la fin de l’entertainment et c’est bien normal puisque mélanie a fini de chanter à 7 heures on ne voit pas très bien pourquoi ils s’en iraient ça devrait être musique ininterrompue
mais il y a un problème de billets
les organisateurs avaient peur qu’ils ressortent revendre leurs billets aux nouveaux arrivants après s’être fait mettre une marque sur la main à la sortie réservée à ceux qui ont déjà un billet
c’était un peu compliqué et les organisateurs avaient de plus en plus peur de perdre de l’argent
ils en avaient déjà perdu la voix à force de demander
please please will you go out
comme personne ne bouge une nana propose que tous ceux qui étaient dans l’enceinte brûlent leur billet
ils deviennent mesquins ces organisateurs
les grands arguments dégringolent
on veut créer un new world et on n’est même pas capable de rester en paix
le monde entier nous regarde
on nous fait ce chantage de la paix et de l’amour chaque fois que les organisateurs ont peur de ne pas rentrer dans leurs frais
si vous ne délogez pas de la colline on arrête le festival
si vous ne sortez pas de l’arène on arrête le festival
je me rendors
Texte : Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970
en mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017