En 1970, j’habitais 10 boulevard Poissonnière, l’immeuble à côté de celui de L’humanité, avant son déménagement rue du Colonel Fabien.
En bas de l’immeuble de l’Huma, se situait la Librairie Nouvelle où ma boulimie intellectuelle trouvait tous les livres de mes années d’étudiante à la fac de Vincennes en Droit-Science Po, Socio et Philo.
De notre balcon du 6eme étage en face du cinéma Rex, nous assistions à des événements comme les manifestations importantes, les soirées d’élection, l’enterrement d’Elsa Triolet ou l’arrestation de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir vendant le journal interdit La Cause de Peuple.
Je suis retournée sur les lieux le 17 août 2012 comme je séjournais à Paris pour faire les premières corrections du Journal de l’année 70, devenu Clandestine 70, publié en 2020.
La terrasse de l’appartement de ma sœur qui m’hébergeait alors, au sixième étage, était transformée en jardin. Il me plait de savoir que nous sommes remplacées par des passionnés de plantes, d’arbustes, de fleurs. Je crois que je l’avais rêvé ce jardin en terrasse parisienne…
En haut, au sixième de l’immeuble du centre, nous habitions ma sœur et moi de fin 1969 à fin 1972.
Retour sur les lieux le 17 août 2012, comme je faisais les premières corrections du manuscrit Clandestine 70 issu des Cahiers parisiens.
A notre époque, ce magasin était la Librairie Nouvelle, au rez-de-chaussée de L’humanité. C’était un lieu vibrant de culture, de connaissances, où je m’approvisionnais dès que j’avais quelques sous. Les temps changent…
L’entrée du 10 boulevard Poissonnière, Paris, 9e
En face de notre balcon, le cinéma REX
Notre station de métro était Bonne Nouvelle.
Extrait de Clandestine 70
***
3 juin 1970
le creux de la nuit est le seul moment où le bruit du boulevard s’estompe un peu
cinq heures du matin
en bas le trafic reprend
mon bureau est couvert de feuilles et de bouquins
il fait somptueusement beau
un soleil de passion se reflète dans les vitres du cinéma rex en face
je viens de bouffer du pâté et du saucisson
je pourrais continuer à travailler tant je me sens bien
il y a longtemps que je n’avais vu le soleil se lever
il y a deux ans en 68 avec brice j’appréciais les charmes d’un soleil en ciselure sur la chapelle de la sorbonne dans la cour d’honneur
il y a trois ans en 67 avec hélène nous avions passé quelques nuits sans dormir à errer dans les rues de paris en découvrant au petit matin le ciel immense du côté de notre-dame
à l’époque il y avait les halles et c’était le bon temps
mais aujourd’hui c’est pas mal non plus
et je suis bêtement heureuse
l’impression de ne pas être seule dans la nuit
d’être proche de platon qui écrit
peut-être même de mikis
tout est possible ce matin
l’époque est revenue où je peux de nouveau travailler
dynamisée par le soleil
soutenue par un afflux de forces vives
en fait je ne fais rien pendant l’hiver
j’hiberne
mes vraies périodes de travail ont toujours commencé au mois de mai
j’ai toujours préparé les examens vingt-et-un jours avant leur date
quand tout dans ma tête devient clair comme le temps
quand tout dans mon corps est en accord avec moi-même
Extrait du Journal 70 publié sous le titre Clandestine 70 (sortie en septembre 2020)
du côté de kensington gardens
londres et hélène retrouvées
londres et des relents d’enfance dans les odeurs rencontrées nulle part ailleurs
londres et mon asthme évidemment
besoin d’aller consulter à saint mary abbots hospital
ma fatigue
l’envie alors de ne rien voir
j’attendais chaque soir le retour de hélène
je me suis mise à tirer les tarots comme une folle
chaque fois dans le jeu revenait une carte gênante et je savais que c’était zabeth
mais le soleil était là aussi et j’allais gagner
nous parlions beaucoup hélène et moi
quand bruno ne comprenait pas quelque chose qu’il voyait ou entendait il nous demandait et nous lui expliquions
l’histoire de la vierge marie pour expliquer la virginité était sublime comme exemple d’impuissance d’adultère et d’immoralité déguisés
depuis si longtemps qu’on nous raconte ça
hélène retrouvée c’était comme une ancienne vie revenue
c’était le même brillant la même folie verbale et mentale
le même amour
je savais que j’avais besoin de ça avant de me plonger dans une autre vie à venir
une vie différente
sans doute plus équilibrée
je suis aussi allée voir élise
elle habite à barnes en dehors de londres dans la presque campagne si douce en angleterre avec les champs les ruisseaux et les mares aux canards en plein village
élise était belle et sereine
sécure elle a dit
elle se sent sécure
auprès de peter son futur mari irlandais qu’elle épouse le 6 septembre
l’après-midi s’étirait doucement avec le thé préparé par élise dans les règles de l’art
nous avons beaucoup parlé d’ava qui reste pour nous la plus belle femme que nous ayons connue avec son étrangeté et ses défauts sublimes
il ne manquait qu’ava parmi nous
depuis trois ans à l’époque d’aquamarina
hélène avait cru l’apercevoir un jour à londres mais avait pensé rêver
c’était sans doute elle si j’en crois ce qu’on nous a dit à bomarzo
comment la retrouver
c’est inutile sans doute
tout a changé
nous nous revoyons calmement mais nous avons changé
pourtant nous nous aimons toujours
élise pense que cette année toutes nos vies vont se stabiliser
elle se marie
moi je ne vais pas tarder à le faire aussi pense-t-elle
et elle souhaite à hélène de retrouver yannis
c’est la seule chose possible
et impossible
pour un amour trop fort pour vivre
aussi fort que la haine
fait de désespérance et de violence
comparable à rien d’autre
en dehors de toute norme humaine
élise était belle
peter était beau
ils s’harmonisaient étrangement en cette fin d’après-midi anglaise au jardin d’un pub devant la mare aux canards
élise à l’incroyable vie
élise aux yeux brillants des fumées de haschich
élise qui sereinement faisait des voyages au l s d
élise que rien n’étonnait jamais
élise qui aimait tout le monde et ne jugeait personne
comme brendan
mais pas par les mêmes moyens que lui
elle par le partage des corps
lui par l’ascèse de l’esprit
élise à qui la tante d’ava avait dit
ne perdez jamais le contact avec marine elle vous protège parce qu’elle est elle-même protégée
élise qui s’était dévoyée
élise qui se camait
élise qui aurait pu se perdre
élise la douce
élise la tendre
élise la majestueuse
élise était la plus pure d’entre nous
son amour universel rayonnait toujours par son demi-sourire boudhique et ses yeux plissés de compassion
je n’arrive pas à être vraie en face de maman et ça me tue littéralement je reste agressive pas simple ni naturelle
alors que chaque jour un peu plus j’essaie d’aimer les gens dans l’absolu de comprendre ce que disait brendan
il faut transformer le désir en amour
tant qu’on garde ces rapports d’agressivité on en reste au désir sans pouvoir passer à l’amour
dimanche 3 août 1969
départ à ambert avec jean et ma sœur
carnet de voyage en auvergne
foire à ambert
les bestiaux autour du kiosque à musique où du temps des copains de jules romains on devait jouer mozart
bon dieu que j’aime les bêtes
j’ai toujours su leur parler
la petite génisse dresse l’oreille soulève ses longs cils et cesse de trembler dès que je pose sur le poil de son cou une main ferme
malheureusement le contact avec les hommes n’est pas si simple
je répugne même à en aborder un qui maîtrise un petit taureau un peu vif
je n’ose lui demander sa race par respect de son travail respect de sa vie dans laquelle je n’ai rien à faire
je suis une sale touriste malgré mes connaissances de la paysannerie
j’ai terriblement peur de mon enfance
quand par hasard mes yeux retrouvent les photos de mes huit ans de mes dix ans de mes douze ans ma main immédiatement les cache
je ne peux pas supporter de voir ce petit corps maigre douloureux ni ce visage fripé crispé
peut-être j’ai seulement peur de ne pas encore être sortie de cette enfance étouffée
je ne veux plus me voir comme ça étriquée
chaque matin est une revanche lorsque les mouvements de gymnastique me mettent en possession de mes muscles et que dans la glace je me refais une tête
chaque mois est une revanche sur cette féminité que je pensais ne jamais atteindre
toute ma vie sera cette revendication de ma féminité moi qui croyais ne jamais y avoir droit
quand ces crises reviennent et que je retrouve l’état abhorré qui a régi mon enfance j’ai envie de me laisser couler de ne plus vivre
mais le matin revient
toujours
joan baez m’intéresse parce qu’elle est bourrée de contradictions
est-elle typiquement américaine en ce sens
et c’est un paradoxe de plus puisqu’elle remet en question l’ordre américain établi
elle est passionnée et passionnante
allant jusqu’au bout d’elle-même de sa voix comme de ses actes
dansant éperdument jusqu’à la fatigue pacifiante
cherchant toujours autre chose écrire s’instruire instruire
merveilleusement douée
terriblement trop femme
j’aime les femmes qui n’ont pas peur de l’être
comme ava
exigeante cassante
et tendre
la déception et la presque colère de brendan quand il avait su que j’avais jeté la rose de ronne parce qu’elle était fanée
je ne jette rien
je les garde toutes
j’ai encore les jonquilles de ton anniversaire de naissance
stupidement je lui avais dit
mais la rose était fanée
depuis je ne sais plus jeter les fleurs
surtout fanées
avant le départ à londres j’avais la protection de brendan
mais j’avais peur de ne pas être assez intelligente en face de lui
je me taisais
il parlait
ou ne parlait pas
nous avions été voir shantidas à la maison des prêtres saint-séverin
brendan était ému
shantidas disait me reconnaître
était-ce vrai
tant de monde passe à l’arche
trois ans avaient passé depuis le camp de l’arche 1964 à bollène
deux ans depuis mon passage à la borie-noble au larzac
j’ai du mal à parler de brendan
je ne veux pas convaincre
convaincre qui et pourquoi
je sais seulement l’immense joie qui nous réchauffe le cœur quand parfois nous nous reconnaissons entre personnes qui l’avons rencontré connu et aimé
je suis fière aussi d’avoir connu shantidas
même si je l’ai un peu oublié maintenant ce serait me renier moi-même que de ne pas me souvenir que j’ai passé des jours plongée dans le pèlerinage aux sources
j’ai dû lire ce livre trois fois au moins
je ne dois pas oublier que j’ai médité les principes et préceptes du retour à l’évidence
l’évidence
trop belle pour qu’on en parle
trop haute pour qu’on l’atteigne
ou trop simple pour qu’on la saisisse
les américains savent toujours tout
le louvre est gratuit le jeudi après-midi
le jeudi après-midi brendan allait au louvre
il connaissait aussi les petits cafés de paris où le café coûte encore 50 centimes
août 1969 suite
jeudi 14 août
retour d’ambert vers saint-julien de vouvantes
samedi 16 août
mariage de pierre et annie à saint-julien
dimanche 17 août
rentrée à paris avec tonton claude et tante denise
elle est une femme remarquable et efficace
un ordinateur dans la tête
et un raffinement sans égal
dans le langage et les sentiments
comme j’ai pas mal bu la nuit dernière j’ai une bulle dans l’estomac
mais tout se passe bien pendant le voyage
c’est quand même chouette de rentrer à paris retrouver l’appartement ensoleillé le téléphone les bouquins les robes et tout
et surtout mon souffle
libre
enfin
après la terrible crise d’ambert
où j’ai découvert malcolm lowry
au-dessous du volcan
avec le vautour dans le lavabo
lundi 18 août
pas très efficace
malgré moi je repense à gilles nicoulaud un copain d’enfance des cousins
et beaucoup à per-jakez
que j’aime toujours
plus que n’importe quel autre peut-être
mais intemporellement
et ça ne m’avance pas à grand chose
mardi 19 août
journée pas beaucoup plus efficace
je reprends mal mon souffle et suis encore fatiguée
peut-être aimerais-je voir donald je ne sais pas
si j’étais sûre de me sentir en sécurité
ce qui est moins sûr que tout
dommage
mais bob appelle
bob vient
bob nous sort ma sœur et moi
bob nous fait manger
en digestif je lui offre rue des canettes élise en paréo
élise qui parle
son type est allongé
il est très beau
mais il a des maux d’oreille dit-elle
mercredi 20 août
jean appelle
oui tous les célibataires en travail à paris nous appellent
quand donald appellera-t-il lui à qui je pense de temps à autres
lui à qui j’aimerais parfois faire l’amour
mais pas de rêves inutiles
jean me sort
il m’emmène au cinéma voir chaplin dans le cirque
jean me fait écouter mozart en buvant du whiskie
je suis à peu près bien
mon livre me brûle
comme celui de malcom lowry que m’a fait découvrir jean au moulin richard de bas à ambert
jeudi 21 août
je ne suis toujours pas efficace
pas encore touché à mon livre
soir bob vient dîner
pourquoi suis-je encore agressive avec lui
ce qui fait que se sentant un peu vieillir il croit que je me fous de sa gueule
au fond je joue les enfants gâtées
alors que j’admire sa façon de mener sa vie
elle est tellement plus positive que la mienne
vendredi 22 août
réveil dans un semi-état bizarre
envie folle d’être stupidement amoureuse
mais de vivre pour quelqu’un ou quelque chose d’important
pas seulement pour des rêves
que seule je ne sais pas être capable de réaliser
vu ce soir un très beau film
ma nuit chez maud de rohmer
avec le visage de trintignant à la messe
j’en frémis
toute ma vie je la passe à chercher per-jakez
plus ou moins consciemment
mardi 26 août
je sens ma vie glisser entre mes doigts
comme du sable
à toute vitesse parfois
sans rien qui la retienne
avec cette fatigue de tous les muscles et de l’esprit
mercredi 27 août
mes cousins françoise et maurice vont arriver ce soir de saint-julien
ils viennent passer quelques jours à l’appartement du boulevard poissonnière
ça me donne un coup de fouet et je passe la journée à nettoyer cette foutue maison qu’on n’arrive pas à décorer correctement
bob vient dîner
repas vivant en souvenirs de famille avec françoise qui me rappelle son enfance avec gilles nicoulaud et son adolescence du temps de bernard lambert qui venait les chercher à chavagne margot et elle
tonton francis était le suppléant de bernard quand il était député
jeudi 28 août
ces jours derniers je me sentais couler
soudain je retrouve enfin mon dynamisme
lettre sous la porte
de bernard lambert
c’est trop beau trop gentil
et sélect en même temps
moi je sais que je vais lui répondre une lettre éclatante éclaboussante de vie
directe sans ambages ni conformisme
et j’attendrai son appel en septembre
je sais que j’ai du boulot à faire
du bon boulot
et des types grands comme lambert m’en donnent le courage
car je crois en lambert
vendredi 29 août
je suis heureuse que françoise et son mari soient là
ça me secoue
nous partageons tant de choses en souvenirs d’enfance françoise et moi
nous avons la même forme d’humour
et d’une certaine façon la même vision des choses et des gens
mais crise d’asthme encore
ces crises me tuent
elles me propulsent dans un autre espace une autre dimension
mais la réalité est tellement étouffante quand j’en reviens
samedi 30 août
françoise et maurice partent
petrus m’appelle
encore un célibataire du mois d’août
anne m’offre pour ma rentrée scolaire
un cartable en vinyle jaune
et des baskets
petrus rappelle
dimanche 31 août
j’aimerais écrire mes pages comme des morceaux de mozart
paradoxalement le requiem me donne toujours envie de vivre
petrus a rappelé mais j’ai refusé de le voir car je dois écrire le mémoire de sciences politiques sur le national-socialisme pour poulantzas
bernard lambert est sans doute à l’origine de ma vocation pour les questions agricoles
je crois en un homme comme lui
quoi que l’on puisse lui reprocher démagogie égocentrisme j’estime que son action est positive il pose les questions et fait réfléchir les gens en leur faisant prendre conscience d’une situation qui pourrait changer
quand il viendra à vincennes ça pourra être grand
la séduction de bernard lambert sur moi malgré lui est liée à pas mal de symboles oniriques comme la terre fouillée travaillée fécondée ou la force musculaire de son taureau roméo qu’il semblait égaler dans sa simplicité
je cherche toujours l’homme
mais j’ai déjà trouvé le paysan lyrique que je disais chercher à patrice au bal de casteron
lui n’était qu’un citadin sinistre
Écrit en août 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
nuit je me couche enfin après avoir rédigé un grand baratin sur les coopératives agricoles
passé une belle journée de soleil à vincennes où je n’ai d’ailleurs à peu près pas travaillé
mais j’ai vu des gens
je leur ai parlé
ça m’a permis de penser à oublier donald qui ne sait pas ce qu’il perd en me négligeant
j’ai rencontré un type d’archi qui s’occupe de la commission crèche de censier et aimerait que je m’intègre à leur groupe de recherches sur la création de mobilier pour enfants
dans ce groupe il y a aussi celui que j’aime bien d’archi et d’urba
mon beau barbu
il s’appelle michel
et m’attire follement
mercredi 2 juillet
vincennes étouffant
j’y vais pour faire mon exposé sur le front populaire et la paysannerie
lorsque nous redescendons de la salle de socio la fac a été transformée en camp retranché en zone d’autodéfense
ça a une certaine gueule d’ailleurs ces tables dressées à intervalles réguliers sur les passerelles qui relient les bâtiments
avec un casque accroché au pied supérieur droit
avec un couvercle de poubelle en bouclier entre chaque table
avec les lance-pierres et les tas de galets
et au milieu éclatant de rouge le drapeau de la gauche prolétarienne
mais je fous le camp
jeudi 3 juillet
j’ai promis à martine de faire avec elle un topo sur les g a e c
je suis donc obligée d’aller à vincennes
en fait nous parlons d’autres choses
elle a énormément de problèmes et elle les aime
je rédigerai le topo toute seule en définitive
ce soir je prends le train pour quimperlé
départ bretagne
dix heures
beaucoup de monde
chaleur
je suis obligée de prendre un supplément première classe
je suis très fatiguée
et me repose mal
vendredi 4 juillet
à six heures du matin dans le café en face de la gare de quimperlé je me remets au travail
moëlan le matin
kerfany au soleil
mes yeux s’enfoncent de fatigue
je nage dans l’eau verte et fraîche
mariage de soisick et filou chapelle du pouldu
elle tellement jolie dans la robe de shantung blanc que j’ai conçue pour elle
tellement heureuse et rayonnante
sa chère maman m’embrasse
petite chapelle sur la prairie non loin de la mer
simplicité de la cérémonie
grande beauté
beaucoup de monde
on me félicite pour la robe
ma fatigue m’envahit
en écoutant les souvenirs de la sorbonne évoqués par madame vogt femme du proviseur du lycée saint-louis j’ai l’impression d’être un an en arrière avec cette fatigue qui m’assomme
samedi 5 juillet
le chemin vers la mer
tout a été joli dans ce mariage
tout sauf moi
qui ai fini par pleurer comme une source
pleurer de lassitude
de dégoût de moi-même
incapable de garder ou d’aimer quelqu’un plus d’un mois
j’ai honte de moi
mais madame po m’a réservé une chambre dans la maison entre les pins au-dessus de beg-porz
j’ai tellement rêvé ça
per-jakez
la rivière
soisick m’a dit
tu prends le chemin qui descend vers la mer
mais je ne suis chez moi nulle part
je travaille
plage
per-jakez
nous n’aurons jamais rien à nous dire
je ne saurai jamais ce qu’il pensait
dimanche 6 juillet
la pluie est venue
large pénétrante envahissante
j’ai froid
ce pays n’est plus pour moi
j’ai hâte de rentrer à paris
de retrouver l’appartement blanc
sa douce chaleur
mes habitudes et mon travail
écrire
je m’ennuie parmi mes amis d’enfance
ils ont un rythme de vie que je n’accepte plus
trop lent pour moi
tout leur temps est passé à le perdre à le laisser couler
je ne sais pas faire ça
je rentre à paris avec le frère et la sœur aînés de filou
pluie et vent
c’est même une tempête
lundi 7 juillet
je dors
j’étais tellement fatiguée
en fin d’après-midi je me mets à taper mon rapport
mon cousin simon vient dîner avec nous
il part demain au québec
j’ai soudain envie de voyager moi aussi
d’aller étudier ailleurs
voir ce qui se passe sous d’autres latitudes
mardi 8 juillet
fin du rapport sur les g a e c
je suis assez contente
bientôt je serai très informée des problèmes agricoles
je pourrai faire des articles plus personnels
peut-être élaborer des solutions
penser autre chose
voir sous un autre angle
mais avant je dois beaucoup travailler
donald entendra parler de moi
mais peut-être n’avions-nous rien d’autre à faire ensemble
mercredi 9 juillet
j’ai remis à duroux directement mon topo sur les g a e c
il a paru intéressé de voir que je ne m’étais pas contentée de lire des bouquins mais que j’étais allée sur le terrain
il compte sur ma participation l’année prochaine dans un groupe de recherche sur l’agriculture
j’apparais de plus en plus comme la spécialiste des questions agricoles à vincennes
ça ne me déplaît pas
c’est original
ça va me faire treize unités de valeur
j’en ai fait gagner deux à martine en apposant son nom au mien à la fin du rapport
je suis trop bonne
mais j’en ai rien à foutre
jeudi 10 juillet
je dors
je dors
je vais enfin toucher mon salaire de monitorat
pas énorme mais c’est déjà ça
volupté de pouvoir enfin m’offrir la révolution rurale en france de gordon wright
il parle de bernard lambert
alors
lambert
volupté de manger une glace au wimpy de la rue soufflot
de choisir mozart pour anne
et dylan pour moi
à la f n a c fédération nationale d’achats avec le cher emmanuel du c r a c souvenir d’il y a un an à la sorbonne
dylan et ses arrachements de cœur et d’harmonica
et pour finir
le film easy rider
très marcusien
vendredi 11 juillet
zut de nouveau j’ai envie d’être amoureuse
à croire que dès que je ne travaille plus je me sensibilise
mais j’en ai marre de mon corps que j’entretiens qui s’arrondit qui embellit et qui sert à rien ni à personne
j’aurais aimé être comme jolie soisick toute douce d’amour et d’attente éblouie
malheureusement je suis obligée de constater que je suis de celles qui luttent qui n’attendent pas qui travaillent qui aiment sportivement
tout ça pour ne pas souffrir
mais donald
tiens pourquoi je repense à lui
est aussi comme ça
non c’est faux
il souffre mais pas pour moi
donald pourquoi je t’ai rencontré
qu’est-ce que tu peux faire sur ma route
toi qui m’exaspères parfois au point que je voudrais ne jamais t’avoir connu
toi qui me fais hurler mais à l’intérieur seulement
parce que je suis encore trop lâche
ou que ta voix
ta voix que je voudrais détester
ta voix censée qui posément donne son avis sur tout
ta voix grave
ta voix belle
est malgré tout convaincante
toi que je voudrais rassurant
toi qui pourrais l’être
toi qui pourrais me protéger me sauver de tout
toi qui saurais si bien
si tu voulais
si tu osais
simplement
ne pas passer à côté de ma vie
toi dont je me dis parfois que nous n’avons rien en commun
pour ne pas penser en vain à toi
toi qui je m’efforce de le penser ne m’aime pas
toi que je m’efforce de le croire je n’aime pas
mais il y a l’envie de ton corps sur le mien
ton corps dont j’apprends les contours
ton corps que je reçois avec soif
et qui m’alanguit
c’est fous
comme je le désire
comme je l’attends
comme je t’attends
l’envie de faire un enfant
comme si on avait jamais le droit de faire un enfant
mon frère philibert avec le désespoir légitime de ses quinze ans l’avait si bien exprimé
on n’a pas le droit de mettre des enfants au monde dans un monde comme le nôtre
dans sa naïveté exigeante et acerbe il avait peut-être raison philibert
samedi 12 juillet
voilà j’ai trouvé mon exutoire
je vais en le recherchant aimer brendan
brendan qui fut
mon plus bel amour
le seul vrai
et regardant les autres en transparence
il ne les jugeait pas
il les aimait
j’ai écrit ça dans un devoir pour casamayor
lundi 21 juillet
en rentrant de la piscine en fin d’après-midi nous avons traversé l’île saint-louis
je tremblais un peu quand même en approchant de sa rue
en tournant la tête rapidement j’ai aperçu sa triumph blanche
j’ai senti mon propre corps mince élastique étiré dans sa peau lisse
je vais revoir marc
demain ou après
je lui avais déjà trouvé quelque charme
l’an dernier
mardi 22 juillet
soirée passée avec jean qui me fait faire ses doubles-rideaux
jean réapparaît comme s’il savait que hélène est seule
il a gardé les panneaux de toile de jute de la rue maître albert
décorés par isaac
il n’a rien oublié lui non plus
j’ai senti de nouveau
impérativement cette fois
que je devais partir à la recherche de brendan
de tout ce qui fut nous
de cet amour que nous avions en trop
à l’époque du pot de fer
mozart haute fidélité
après buster keaton dans un paris chaud et un quartier latin qui ne me reconnaît plus
mercredi 23 juillet
jour chaud encore
je traîne parmi les bouquins sur l’agriculture
ça y est j’ai commencé mon bouquin
toutes ces coïncidences
en hyperfréquences
je dois maintenant accoucher de brendan
il y a trop longtemps que je le porte en moi
soir hélène appelle
on va chez elle à pied
en passant devant le buci je pense que c’est un jour rêvé pour rencontrer nigel
mais c’est évidemment improbable
eh bien si
à l’angle buci seine
il est assis
à la terrasse du café conti
tout est possible
tout est permis
jeudi 24 juillet
c’est incroyable
mais vrai
je suis toujours amoureuse de nigel
c’est confortable cet amour qui revient chaque fois que je le revois
il passe
je le sais
tout est bien
samedi 26 juillet
journée bizarre
énervement du réveil
lassitude et mauvaise humeur
en allant déjeuner chez yvon petit de voize mon merveilleux frère-ami compositeur d’enfance
qui en dessert nous offre un concerto de piano de sa composition
et puis le soleil hélène et élise
je rentre pour me préparer à sortir
paradoxe
je dois rejoindre kiki à la boutique féraud
je pense soudain à donald que j’aurais pu inviter
le téléphone sonne
c’est donald qui m’appelle et m’invite
à une soirée piscine dans la vallée de chevreuse
j’accepte
après tout qu’est-ce que je risque
souffrir un peu après si de nouveau il me perd
dimanche 27 juillet
la maison faisait penser à celle du défilé de mode dans le film de william klein qui êtes-vous polly maggoo elle sert d’ailleurs de décor de cinéma
elle est intégrée dans la nature mais très moderne à l’intérieur
belle nuit dans cette piscine qui fait partie de la maison
j’ai un corps fait pour l’eau et pour l’amour
tous ces mecs je pourrais les faire valser
comme je le voudrais
mais ça ne m’intéresse pas
qui m’intéresse
donald
je ne sais même pas
brendan m’obsède
comme si j’attendais qu’il parle
qu’il me parle
qu’il dise ce qu’il est à faire
je l’écouterais
mercredi 30 juillet
toute la journée j’ai pensé à donald
à son petit camarade camille
à jean-pierre un des types qui étaient là l’autre soir devant cette piscine de rêve hollywoodien
je suis toujours partagée entre mes désirs et mes réalités
je ne me sens pas tellement efficace en ce moment
de quoi ai-je besoin
soir chez hélène
anne a rencontré emmanuel qui a rencontré pierre qui lui a annoncé son prochain mariage avec une jolie blonde qui n’a rien dans la cervelle
ben c’est ce qu’il avait de mieux à faire
mais elle je la plains
jeudi 31 juillet
per-jakez en rêve d’eau
ineffable intangible et intact
yannis est revenu
il revient à hélène comme l’enfant à sa mère
il revient se faire plaindre soigner et laver son linge
ils sont tous pareils
pas un pour racheter l’autre
j’ai ce mois-ci commencé quelque chose d’essentiel
mon livre sur brendan
je dois le finir pour tordre le coup définitivement à mes fantasmes
quand j’aurai retrouvé brendan
je serai femme
réalisée
en équilibre
ça va être dur je le comprends chaque jour
et ce n’est pas la feuille blanche qui est à craindre
ce sont les autres
quand j’aurai compris que je les aime je serai sauvée
Écrit en juillet 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
baptême à saint-leu d’un petit richard dont les parents habitent la maison temporairement
petit vietnamien aux yeux plissés sur le monde et sur les autres
anne est la marraine
hier soir nous avons choisi le cadeau
immédiatement j’ai vu le plus utile une table à langer baignoire
je suis sûre que je saurais parfaitement m’occuper d’un bébé avec la même fermeté que maman
alors je serai vraiment femme
sûre
solide
j’ai de nouveau envie de vivre à plein
pas à demi
pas petit
je sens mon corps
je recommence à l’aimer
j’ai confiance en donald
samedi 2 juin
casamayor prétend que je n’écoute pas que je regarde ailleurs
c’est drôle je lui reprochais justement de ne pas écouter
tant pis
le plus drôle ou le plus triste c’est que l’administration prétend me payer quelque chose comme 263,33 francs par mois pour le boulot que je fais aux monitorats c’est à dire à peu près douze heures par semaine avec des trucs de secrétariat en plus du travail intellectuel constant
à part ça attente ce soir
vaine
dommage j’étais en pleine forme
don veut-il me faire mourir d’envie de lui
je veux l’amour avec ma bouche mes mains mon ventre
et le garder tout au fond de moi
mardi 3 juin
mal de tête
mais bon travail de groupe
la bande m’invite à une pendaison de crémaillère ce soir
sur la lettre d’invitation il y a le dessin d’un nourrisson
oh good grief
mais j’appelle donald
il n’est pas là je rentre un ticket de métro est glissé dans la porte
petit jeu naïf de pierre
je m’endors tout l’après-midi
et donald m’appelle et me gardera ce soir
mercredi 4 juin
jamais je n’ai fait l’amour comme ça
comme un volcan
donald est bien comme je l’attendais
très exactement
et je l’attendais
à tel point que je croyais ne plus savoir faire l’amour
c’est vrai je ne savais plus
maintenant je sais ce que je veux
je veux lui
il peut me réaliser
jeudi 5 juin
je suis sûre de moi
je suis satisfaite peut-être
plus du tout agressive
je sais avoir si bien fait l’amour avec lui qu’il ne peut m’oublier
je peux l’attendre
il m’appellera
me rappellera
effectivement il m’a appelée ce soir mais je n’étais pas là
georges monnet m’a rappelée ce marin
un homme charmant
je le verrai la semaine prochaine
vendredi 6 juin
recherche d’un bouquin sur le front populaire conseillé par monnet
ça me passionne
donald me donne envie de tout
et d’abord quand je ne suis pas avec lui de travailler
je suis très calme
il m’appelle vers six heures pour me dire au revoir juste avant son départ pour l’italie
je lui souhaite un bel anniversaire avec deux jours d’avance
il semble touché
il m’appellera dès son retour
je vais l’attendre tranquillement en travaillant
peut-être je l’aime déjà
samedi 7 juin
pour la première fois de ma vie j’ai absolument conscience de la fragilité ou de l’évanescence des rapports entre deux personnes et de ma possibilité de les affermir en fonction d’un but à plus ou moins longue échéance
pour la première fois j’ai envie d’épouser quelqu’un en sachant que c’est possible et qu’il dépend de moi de bien jouer le jeu ou mon rôle
je me sens forte
il est tel que je le désirais
sensuel et esthète
anne la fille de penny et avarro passe deux jours ici avec anne et moi
elle est adorable
dimanche 8 juin
c’est curieux d’avoir une petite fille dans la maison
aujourd’hui c’est l’anniversaire de donald
je pense à lui avec confiance
il doit somnoler au bord de la mer et peut-être se rend-il compte que je lui manque
en tout cas je dois cette semaine tout particulièrement bosser comme une folle sans perdre de temps
la semaine prochaine il sera là
soisick viendra à paris pour que je fasse sa robe de mariée
je crois que je serai inspirée
Carnet 1969
mardi 10 juin
kiki est un amour elle est forte censée intelligente jolie toute en rondeurs ses joues ses bouches ses seins chez elle tout est rond et je l’adore
nous avons déjeuné ensemble non loin de la boutique
cette semaine nous sommes seules toutes les deux
yves se repose de son accident de voiture chez éva à ris-orangis
il fait chaud sur paris comme donald me l’avait souhaité en partant pour l’italie
je bronze allongée sur la terrasse de notre sixième étage en face du cinéma rex
mon corps reprend de jolis contours
je suis prête pour le retour de don
cet après-midi rue de buci devant une boutique de mode j’ai rencontré casamayor
il m’a demandé ce que je comptais faire après ma licence
j’ai répondu en regardant la vitrine
des robes
je lui ai expliqué que j’avais besoin de faire quelque chose de mes mains
que ça avait toujours été mon dilemme
choisir entre le stylo et les ciseaux
en tout cas il m’a demandé si j’écrivais quelque chose d’intéressant de le lui présenter pour qu’il le fasse éditer éventuellement
jeudi 12 juin
ne pas attendre
vaincre
mais j’ai tellement envie d’aimer
calmement pleinement sereinement
je voudrais enfin pouvoir ne faire que ça
aimer donald
vendredi 13 juin
georges monnet est très sympathique
j’ai passé deux heures avec lui
belle journée
réunion d’un groupe de travail
discussion intéressante
je rentre avec la pluie et trouve une carte d’italie
donald
qui regrette que je ne sois pas venue avec lui là-bas dans ce petit paradis
et qui signe
bien à toi
oui je le veux à moi
et je suis déjà à lui
étrange complémentarité de nos écritures
j’écris tout en minuscules
il écrit tout en majuscules
samedi 14 juin
donald je t’aime
je t’aime
je t’aime
mais je suis saoule après cette soirée chez catherine et ses amis de belon qui sont trop bien pour moi
il a raison filou quand il dit que je suis une fille de bonne famille qui a mal tourné
dimanche 15 juin
j’attendais j’espérais le retour de donald pour aujourd’hui
mais c’est pierre qui est venu
il m’a réveillée cet après-midi
j’étais nerveuse
le revoir
les cheveux étranges et sales autour du visage
pas beau du tout
pierre m’a agacée
mais où était donald
qu’il vienne
qu’il me sauve
ce soir pompidou a été élu
ces salauds de c d r qui passent en bas sur le boulevard devant l’huma ça me déprime
lundi 16 juin
soir je suis folle de rage il n’appelle pas il n’appellera pas alors tant pis
j’ai ouvert la bouteille de corrida monsieur féraud for men que je lui réservais pour son anniversaire déjà passé je me suis offert corrida je me suis vêtue de corrida
je ne vais pas quitter ce stylo je vais reprendre mes nouvelles les faire éclater exploser
me projeter
pour ne pas penser
pourtant la journée avait bien commencé avec mon cher casamayor
si donald
bon zut il vient de m’appeler et a été tout gentil
mercredi 18 juin
vincennes boycott des élections
j’arrive après la pseudo fête
je perds mon temps
bataille des maoïstes contre les communistes
paraît que je ressemble à mao et je me fais acclamer du toit en arrivant
gaelle gaelle gaelle
on risque la fermeture
je ne veux pas attendre donald
jeudi 19 juin
j’ai peur
l’autre soir j’en ai même pleuré
j’ai peur des flics
peur que vincennes ferme
peur de ce septennat qui commence avec pompidou
peur de ne pas prendre de place dans la vie de donald
peur de tout
ce soir j’ai le cœur au bord des cils
pas d’entrain
puis soudain le déclic en feuilletant mes revues agriculturelles
je fonce à l’u g e a union générale d’études agricoles avenue marceau pour l’agriculture de groupe
j’en reviens satisfaite
et donald m’appelle
il a appelé hier soir aussi
j’ai dit simplement
oh j’étais chez des amis
demain nous sortons ensemble
vendredi 20 juin
l’atmosphère se tend au département droit
c’est fort déplaisant
mais il paraît que je suis moi-même devenue déplaisante depuis que je suis monitrice
c’est marrant ça
surtout lorsque martine m’a rattrapée au service des bourses pour me demander si malgré tout je voulais bien travailler toujours avec elle sur l’agriculture de groupe
ben voyons
donald
je parle trop
cette soirée
deux points je suis trop politisée et je suis jalouse
des filles que connaît donald et que je ne connais pas
je me sens inquiète dès qu’il me quitte et s’attarde près d’une vieille amie qui sourit un peu trop à mon sens
alors je parle aux gens qui viennent s’asseoir près de moi
il y a son ami camille unglik qui crée des sacs et ceintures avec son fouet-ceinture en démonstration
il y a agathe merveilleuse en justaucorps et cuissarde noirs
agathe qui me plaît
son type lorgne mes seins
et puis donald revient
j’ai tellement tellement envie de faire l’amour avec lui
mais qu’il ne me perde pas
mariage d’un ami de belon connu il y a cinq ou sept ans
je me trompe d’église
soisick filou
un musicien ressemble à pierre en plus jeune
c’est gênant
un gros monsieur me drague
filou dit qu’au-dessous du quintal on ne peut plus espérer me séduire
dimanche 22 juin
réveil pénible
anne s’en va
je pleure dans la musique de bach
ces mariages ça me tue
donald appellera-t-il
j’aimerais aussi me marier pour avoir le droit de faire un bébé
mais je ne suis qu’une petite fille encore puisque je pleure
après-midi passée à couper la robe de mariée de soisick
elle vient d’essayer
ce sera très beau très simple
donald n’a pas appelé
je ne comprends plus
lundi 23 juin
ce lundi matin éclate avec martine qui après le cours va voir casamayor pour lui dire qu’elle est contre les monitorats institution aliénante inhibante et tout et tout
je la force à aller jusqu’au bout de ses attaques
elle finit par avouer qu’elle ne peut pas travailler avec luc
j’avais oublié que j’ai été plébiscitée par les étudiants du cours quand casamayor m’a proposée mais que luc s’est imposé pour m’accompagner
c’est grave
ce degré d’agressivité que nous laissons tous s’infiltrer dans nos rapports
c’est épouvantable
tant que nous n’aurons pas franchi cette barrière d’hostilité qui nous aveugle nous ne pourrons pas travailler ensemble
c’est ce que j’ai fini par comprendre moi-même il y a un mois
vis-à-vis de luc justement
ces rapports hostiles une fois dépassés nous travaillons bien
mardi 24 juin
journée pluvieuse froide déprimante banale
vincennes triste
je passe vite
après-midi douce
la robe de soisick devient robe de mariée toute simple
donald ne m’appelle pas
je ne l’attends pas
il m’appellera quand il aura vraiment envie de moi de me voir me toucher me boire m’embrasser me prendre et me garder
peut-être alors serai-je moi-même prête vraiment pour lui
l’autre soir j’avais trop l’impression d’être assise entre deux chaises
j’espère le fauteuil ou le canapé
mercredi 25 juin
il y a des jours où je sors du lit bondissante le matin déjà pleine de vie assoiffée de dynamisme
et d’autres comme aujourd’hui sans joie
est-ce parce que donald semble vouloir m’oublier
ou je ne sais quoi
et puis le soleil revient
je fonce à vincennes
et on discute
et je perds du temps
et je reviens
et je couds la robe de soisick
et le soir donald n’appelle toujours pas
et je lui envoie un mot écrit à vincennes rapidement entre deux chaises deux pages ou deux idées pour l’inviter à m’accompagner au mariage en bretagne
lettre brûlante douce et explosive
comment la lira-t-il
jeudi 26 juin
soisick est adorable dans sa robe toute douce
avec ses beaux yeux bleus et son joli sourire
je reste une heure à vincennes
on a l’impression d’être assis sur de la dynamite
u e c union des étudiants communistes face à la gauche prolétarienne
je me désolidarise de plus en plus des gauchistes
soisick vient de partir avec sa robe
brillante rayonnante intérieurement
elle m’a invitée à aller en vacances à kerfany si je voulais
j’ai presque pleuré
j’irai peut-être parce que le cadre de mon enfance est toujours mon seul refuge contre l’angoisse de rester seule
sans donald
sans amour vrai
je l’ai perdu
vendredi 27 juin
de nouveau j’ai peur de rester seule
quand anne s’en va je pleure
alors je sors moi aussi et fonce vers un centre de coopération agricole
je rentre et j’essaie de m’intéresser à marcuse
je ne suis tranquille qu’au retour d’anne
ce soir comme le ciel était beau nous sommes allées voir la sirène du mississippi de truffaut assez affligeant
j’essaie d’imaginer et de me faire à l’idée que les jours qui viennent je les vivrai sans donald
sans que je comprenne pourquoi
c’est comme ça
samedi 28 juin
je me suis réveillée gaiement
jésus que ma joie demeure
alors je me suis résolue à l’appeler pour savoir s’il n’était pas mort
non il a beaucoup de travail
il va bien
mais trop vite
il est évident que moi là-dedans je n’ai pas encore de place
et je le comprends
mais il ment aussi
je ne sais pourquoi j’ai envie de rire
soir j’ai bien travaillé
j’ai parlé de brendan dans un papier pour casamayor
j’ai lu marcuse
évidemment j’ai fait une erreur ce matin en dérangeant donald dans son travail
mais tant pis
il fallait que je sache n’importe quoi
il a dit qu’il m’appellerait
je n’en crois rien et pense déjà à ces quelques jours de repos en bretagne
sans lui tant pis
il est dommage de se perdre
mais je m’habitue à l’idée
dimanche 29 juin
nuit je travaille à des devoirs pour casamayor
valérie est venue me voir en fin d’après-midi
on a bien rigolé jusqu’au soir
j’ai bronzé encore sur la terrasse
on a parlé du front populaire
j’ai l’impression de vivre avec ce sacré front pop
je pense que les gens vont danser cet été sur des chansons qui chantent les larmes des esclaves comme disait patrice
cette époque est indécente
c’est drôle je suis euphorique
je pense que je ne vais plus voir donald avant longtemps et que j’ai eu raison de lui écrire même si mes mots lui ont fait peur sur le moment
je vais beaucoup travailler et je partirai en bretagne quelques jours
peut-être il retrouvera alors dans un coin de meuble mes quelques lignes oubliées là parce qu’il ne jette rien
il se rappellera peut-être que j’ai su l’aimer
like a woman
et que je sais encore rire
et vivre
lundi 30 juin
j’aborde un nouveau mois cette nuit avec marcuse et un concerto d’albinoni
émergeant des papiers d’anne je vois une feuille avec le signe de l’agence de décoration de donald c’est une lettre adressée par don à gault-et-millau dont anne gère les abonnements
zut c’est trop triste
ou trop bête
mais j’essaierai de l’attendre et d’être patiente
de toute façon c’est tout ce que je peux faire
étudiant marcuse
écoutant leonard cohen
j’ai perdu donald
je cherchais la révolution
je n’y croyais plus
j’ai manqué une marche
au fond je ne vois plus très bien pourquoi je me suis tellement attachée à lui puisque depuis que je le connais j’ai dû le voir quatre ou cinq fois
pas plus
non vraiment
alors il m’oublie
et moi j’embellis
so long
see you
later
Écrit en juin 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
je crois avoir trouvé le moyen de ne plus avoir ces crises d’asthme démentielles
je vais dorénavant faire l’amour
et faire l’amour
et faire l’amour
ça ne peut plus durer
ça fait plus d’un mois ou je ne sais combien que je n’ai pas touché un homme
j’en ai envie
de nouveau
ce salaud de pierre est mort pour moi
je crois que je vais commencer par michel mon petit camarade de vincennes qui a dix-huit ans
dimanche 4 mai tard le soir
jane a appelé de londres tout à l’heure
elle aimerait être mannequin chez féraud
je verrai ça avec louis cette semaine
surtout elle m’a appris que pierre était venu chez elle avec sa nana une blonde vraisemblablement la finnoise que j’avais vue avec lui la dernière fois
quand je pense qu’il a osé m’écrire et m’appeler au secours me dire qu’il avait froid qu’il avait faim qu’il était fauché et
je viens de relire sa lettre
que son seul refuge
était le lit
je suis furieuse
le salaud
je le vomis
qu’il ne reparaisse jamais ici
je lui arracherais les yeux
lundi 5 mai
voilà je suis promue au grade de moniteur du cours de casamayor
ai-je de la chance
j’estime la mériter
j’ai longtemps perdu mon temps j’ai souvent gaspillé mes talents mais j’en avais
je les dois à papa et à dix ans je m’étais juré de ne pas laisser pourrir mes dons
j’y arrive
j’arriverai
je réussirai
ce sera dur
je vais travailler comme une folle mais j’y arriverai
pierre tu serais heureux de ce que je deviens
à part ça une dent de sagesse me donne envie de hurler
lundi 12 mai
me sens bizarre vague triste
je meurs d’être seule
je ne sens plus mon corps
je n’ai pas compris casamayor ce matin
pourquoi tout à coup remettait-il en cause le bon fonctionnement des monitorats
non je n’ai pas compris
ça m’ennuie
enfin demain on va commencer à lui démontrer le contraire
je me languis d’être amoureuse
lundi 19 mai
journée agréable j’ai réussi à avoir par philippe houzé de la s f i o l’adresse de georges monnet ministre de l’agriculture du front populaire
il fait assez froid
lundi matin dans l’amphi
casamayor est gelé
professeurs vous nous faites
geler
je réclame un homme
un gros
quand je rentre à la maison philibert qui fait aussi des adresses a pris une communication de kiki
je la rappelle
je suis invitée à un méchoui à ris-orangis
après plusieurs appels téléphoniques je rejoins trois autres personnes qui m’y conduisent chez un décorateur de l’île saint-louis
mardi 20 mai
belle soirée hier
de la poésie
je me rends compte qu’à force de travailler de ne voir que les trucs concrets réels vitaux j’avais oublié la poésie
d’un feu de bois
dans la nuit
un psychanalyste s’intéressait à la dynamique de groupe
kiki jolie yves vivant
moi sûre de moi très à l’aise je me sens plus intelligente que les autres nanas
je ne crains plus personne
le décorateur donald
voix belle dans les flammes
il m’appellera
j’avais oublié tant de choses
et déjà je suis retombée dans le cycle du boulot
mercredi 23 mai
a g
histoires dans le département droit
tout le monde s’étripe
même moi je deviens agressive
un assistant a très peur de moi paraît-il
il fait beau
on rentre de la fac
jeudi 22 mai
a g
on travaille
on discute
on se passionne
on s’engueule
surtout
il y a des rapports de personne et des règlements de compte dans toutes ces salades
meeting de la ligue communiste à la mutualité avec daniel bensaïd henri weber et le camarade candidat à la présidence de la république alain krivine
je rentre avant qu’il prenne la parole
philibert a encore pris une communication pour moi
donald a téléphoné
je le savais
vendredi 23 mai
je rappelle donald
il m’invite ce soir
il vient me chercher
triumph blanche décapotable
voix grave voix belle
il parle il me parle
yellow submarine des beatles à la radio
la coupole
visages connus visages quittés tout à l’heure à vincennes à l’a g de droit
donald dit qu’il se sent vieux soudain près de moi
seine il pleut doucement sur la capote de la voiture
il m’embrasse
il m’emmène chez lui
il me prend sur des fourrures blanches
il croit que je suis plus faite pour les fourrures que pour les pavés
samedi 24 mai
au réveil enveloppe glissée sous la porte
c’est pour anne un relevé de la b n p banque nationale populaire
mais dessus au crayon en fautes d’orthographe que je reconnais toujours
— la révolution ?
— ouai
— avec qui ?
— y a personn !
suit une citation
am For you sir
entre parenthèses Roméo et Juliette
Sch
encore une faute Shakespeare n’a pas de c
en signature un soleil
il est revenu
pourquoi aujourd’hui
pourquoi maintenant que j’ai trouvé quelqu’un
ce soir en rentrant je vois un ticket de métro qu’il a dû glisser dans la porte
pour savoir si j’étais rentrée
dimanche 25 mai pentecôte
je travaille pas mal
j’attends le retour d’anne ce soir
don m’appelle
il m’invite
anne rentre
je le rejoins
est-ce de savoir pierre revenu à paris
mais je suis nerveuse
je me déteste quand je suis comme ça
et ça me rend encore plus nerveuse
don m’emmène à la contrescarpe
j’en tremble
brendan brendan
le centre du monde
en tout cas nous faisons très bien l’amour
je me sens devenir plus douce plus pleine
et au réveil il me fait un énorme petit déjeuner
je rentre quittant l’île saint-louis tendrement ensoleillée
hélène yannis
je travaille
mardi 27 mai
j’ai déjà perdu mon agressivité vis-à-vis de luc et des autres
au fond je m’en fous
ou j’ai oublié mes rancœurs
je me sens moins concernée par vincennes
il n’appelle pas
je travaille mal
mercredi 28 mai
valérie
bébés
articles sur naissance et sur attente
brusquement j’ai devant moi l’image
d’un petit garçon
issu de moi
qui ressemblerait à don
un petit garçon tout rond
avec beaucoup de cheveux
mon dieu
que j’ai mal au ventre
vincennes me pèse
vincennes m’ennuie
je dois je devrais
pouvoir faire
quelque chose
de plus important
comme un enfant
pourquoi ce silence de donald
depuis trois jours
j’en désespère
il est tellement trop occupé
peut-être n’a-t-il pas envie de me voir
j’ai envie de le voir de le toucher
je l’appelle il est occupé
soir il me rappelle
voix rassurante
pas tellement
il me rappellera demain soir
vendredi 30 mai
depuis patrice cournot je m’étais juré de ne plus jamais attendre un homme
juré d’être toujours suffisamment active et occupée pour ne pas penser à un homme
pour ne plus souffrir
pour ne plus jamais désespérer
il y a une semaine j’étais forte de moi
et puis aujourd’hui je ne sais pas j’ai peur l’autre jour d’avoir cassé quelque chose entre nous
ennuis de téléphone
donald ne pourra pas m’appeler
moi de vincennes je l’appelle
j’entends sa voix mais il ne m’entend pas
est-ce un symbole
je le perds
après il est trop tard
il est parti
mais j’ai tellement mal dans mon ventre
samedi 31 mai
tout à l’heure je pensais que maman était la personne au monde que j’estimais le plus et que j’arriverais à lui faire comprendre mon amour et à me rapprocher d’elle seulement lorsque j’attendrais moi-même un enfant
elle vient de m’appeler
pour m’apprendre
et je l’ai deviné avant qu’elle me le dise
youennick et rosa attendent un enfant
mon dieu j’en suis heureuse
mais moi je sers à quoi
soir
donald m’appelle
hier soir il a essayé pendant une heure de m’appeler
il voulait que j’aille dîner avec lui chez des amis
ce mois de mai a été pas mal
je me suis vue proposer un travail intéressant
puis comme je me languissais d’être amoureuse
au moment où j’y pensais le moins parce que je travaillais beaucoup
j’ai fait une rencontre
elle a mis un peu de poésie dans ma vie
puisse-t-elle y rester
pour la première fois de ma vie j’ai le sentiment d’être avec un homme
Écrit en mai 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
mardi 1er avril
ancenis la cana
la pilardière mme lambert
mercredi 2 avril
départ kerfany
samedi 5 avril
départ paris
16 h rendez-vous enghien docteur fleury
dimanche de pâques 6 avril
saint-leu
mercredi 9 avril
daniel
jeudi 10 avril
société polygraphique photos petrus
vendredi 11 avril
féraud kiki
cérémonie secrète mia farrow liz taylor
du lundi 14 avril au vendredi 18 avril
boutique féraud remplacement de la standardiste dany
dimanche 20 avril
rémy
lundi 21 avril
casamayor
mardi 22 avril
je suis heureuse de vivre
comme j’ai été rétribuée par la maison féraud j’ai pu m’offrir le dernier livre de casamayor
mon premier
féraud trouve que je ressemble à foujita
c’est vrai
j’ai écouté bernard lambert toute la soirée sur les cassettes que j’ai enregistrées chez lui ou à la c a n a coopérative agricole la noëlle ancenis
je n’ai pas lu lénine
mais je m’en fous
lénine il est mort
lambert il est vivant
et je suis heureuse
mercredi 23 avril
goût d’orange comme à courchevel dans le chalet où kiki m’avait emmenée après ma tentative de suicide
au fond j’ai eu beaucoup de chance
je ne pense pas avoir tellement appris depuis le lycée
j’ai surtout désappris et j’ai appris à désapprendre
c’est sans doute pourquoi le camarade casamayor pense que j’ai tout compris
dimanche 27 avril
marché avec simon
soisick filou catherine jean la bande à belon
vent du large
effluves de mer
rayons de soleil
ce soir résultats
à l’huma en bas branle-bas de combat
slogans de mai atmosphère des grands soirs de fête où tout semble devenir possible visages dans la foule
jacques de l’occupation sorbonne
étrange sourire
l’internationale
on va agir
on sera responsable
après tant de temps
enfin
Écrit en avril 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
peu à peu mes muscles reprennent leur place et mon souffle sa cadence
mais je n’ai pas envie de parler
maman ne le comprend pas
alors je me plonge dans la baignoire bleue avec le marxisme du XXe siècle
après-midi on commence en famille à écrire les adresses pour gault et millau pendant qu’ils parlent à la radio des amusements de paris de bouffe de clubs privés
comme si les jeunes n’avaient que ça à penser s’amuser
margot et simon arrivent
on dîne ensemble en bas
et puis ils partent avec ma sœur au théâtre de la huchette voir la cantatrice chauve de ionesco
je reste très éveillée à écrire ces foutues adresses jusqu’à presque trois heures du matin
dimanche 2 mars 1969
adresses adresses adresses
tour de notre société de consommation
margot descend puis revient avec des fleurs des anémones assorties à mes couleurs d’aujourd’hui qui s’éclaboussent doucement sur le mur blanc
simon m’apporte une rose
pour mon anniversaire demain
aujourd’hui c’est celui de pierre
il y a un an il avait trente ans
moi demain j’aurai vingt-trois ans
ma sœur m’offre le lever du jour de joan baez
un livre des rêves des pleurs dans un grand vide une force de violence d’amour
je ne me sens plus ces délires d’angoisses d’il y a deux ou trois ans
où vais-je
lundi 3 mars 1969
écoute-moi dieu veille sur lui de très près il est plus fragile que la plupart des gens et en outre je l’aime
joan baez pour bob dylan
matin gris
on part vers les nouvelles messageries de la presse parisienne
je reviens mourante de souffle et m’endors sans aller au cours de casamayor
petrus me réveille pour me souhaiter mon anniversaire c’est merveilleux qu’il ne m’oublie pas
vincennes
philippe et les autres
un a les yeux verts
je n’ai pas envie de travailler
rémy
rémy veut qu’on souhaite ensemble nos deux anniversaires
philippe les autres
un type se vante de ses exploits sur les coins de table et dans les lavabos dans tous les coins de vincennes
il nous déprime
pas envie de travailler
philippe bibliothèque
il a sa petite amie de médecine près de lui mais son attitude avec moi ne change pas
malgré moi je cherche daniel
soir cours avec rémy
soir je pars avec lui
je n’ai pas trouvé daniel
je ne veux pas mourir
nuit chez rémy
j’ai trop bu
je n’en peux plus
mardi 4 mars
je suis rentrée au matin
j’étais jolie bien maquillée et affreusement triste dans l’appartement gris de blanc
maintenant il fait beau parce que j’ai dormi
le jour s’est levé enfin
je n’en pouvais plus d’attendre
je vais sortir dans les rues avides de printemps
et puis je reviendrai et j’inventerai de jolies choses
à habiter
mais dieu que je suis seule sans pierre je n’ose l’admettre pourtant
je ne sais même plus de quoi j’ai envie
plus tard
le soleil est toujours là mais je pourrais pleurer
visage yeux daniel illusion
j’ai lu joanie baez
qu’est-ce que je fais de ma vie
au fond je ne crois à rien
mercredi 5 mars 1969
ce matin je dois enregistrer rouvier sur magnétophone pour conserver une preuve orale de ce qu’il va promettre à propos du problème des non-bacheliers
j’ai fait un effort pour me lever tôt
j’ai oublié la nuit désolante avec rémy qui ne méritait pas ça
je ne devrais pas boire autant
il fait beau la journée va être intéressante
j’ai du mal à respirer
tiens une lettre sous la porte
je l’attendais
timbre anglais
c’est de pierre
il a froid il a faim il n’a plus d’argent
à peine un je t’embrasse
je suis furieuse
mais au fond pour que pierre m’écrive une telle lettre difficile à écrire il faut qu’il m’aime vraiment ou du moins qu’il m’ait en grandes confiance et estime
toute la journée je vais très bien travailler
enregistrant au magnétophone nos débats sur l’ordre contestataire
assistant à deux cours jusqu’à neuf heures du soir
pas vu daniel
jeudi 6 mars 1969
réveil à neuf heures
en chantant
for just one too many mornings
and a thousand miles behind
de dylan
à dix heures et demi je suis prête lavée habillée maquillée
maison rangée
je commence à décrypter les enregistrements
fenêtres ouvertes dans le soleil
un pigeon a traversé l’horizon
avarro l’ami de penny arrive m’apporter la fin de sa thèse de doctorat d’histoire à taper sur l’histoire de l’esclavage
puis juste avant son départ arrive marc avec qui je travaille l’exposé
il me plaît il me plaît pas
la question ne se pose pas il a une femme et une petite fille
je me sens très démunie presque frustrée toute la journée
à vincennes toujours rencontres multiples discussions
en fait assez peu de travail
un cours celui de christian toujours adorable
vendredi 7 mars
soleil soleil soleil
j’ai envie d’un tas de nouvelles choses
je m’habille dingue
robe jaune ultra courte un petit foulard sur fond noir et de longues jambes noires
quand j’arrive à vincennes je rencontre luc et myriam que j’ai vus pour la première fois l’autre matin au cours de rouvier et pendant nos débats sur l’ordre contestataire
l’a g a lieu dans le bassin vide au soleil assis par terre
qu’est-ce que nous attendons
la marée dis-je
quelques guitares quelques folksongs de derrière les fagots
c’est le printemps
errances dans la fac assoupie
je m’engueule un peu avec rémy
finalement je pars avec luc et myriam au quartier
il fait trop beau
on fout rien
j’ai envie de tout
samedi 8 mars 1969
magasins tissus ceintures claquantes rêves d’autres choses
temps toujours joli
je n’ai pas tellement de courage pour me mettre au travail
luc m’appelle il veut venir prendre un pot ici
j’accepte
il vient l’après-midi
le soleil s’attarde sur le balcon
jeux de séduction en paroles
j’ai peut-être surtout envie de rire
il doit aller ce soir bouffer chez myriam il voudrait que j’y aille avec lui
moi ça ne me dit rien
myriam je la trouve très bien
ce genre de situation j’en ai assez
alors après son départ plutôt que d’attendre son coup de téléphone je pars à saint-leu avec ma sœur et la machine à écrire
ça évitera les complications
dimanche 8 mars saint-leu
dimanche joli ensoleillé
ma petite chatte nous prépare des bébés et fridu est toujours attendrissant
cet exposé nous ne l’avons pas suffisamment préparé
lundi 10 mars 1969
j’arrive en retard au cours de casamayor qui n’a pas encore commencé
luc et myriam sont là
je m’assieds près d’eux
j’entends alors casamayor demander
qui est gaelle kermen
je dis c’est moi
il me félicite chaleureusement
il a beaucoup apprécié mon devoir
il paraît que c’est très bien ce que j’écris que c’est excellent et tout
c’est bien la première fois que je me fais ainsi remarquer par tout un amphi
je rougis de plaisir
luc commence l’exposé puis marc
ils ne font qu’aborder l’introduction du sujet
casamayor me demande mon opinion et apprenant que je fais partie de leur groupe les prend à témoin
comment vous avez gaelle avec vous
mais alors foncez
vous avez vu comment elle écrit
n’hésitez pas
il a un impact formidable en disant ça avec toute sa fougue
je suis très heureuse
casamayor je l’estime
c’est un grand bonhomme
il peut m’aider
à oser être moi-même
luc et moi sans myriam au cours de droit constitutionnel
intéressant
vincennes c’est un feu d’artifices de connaissances et de découvertes
à nous de continuer
luc et les autres
marc rémy
luc m’appellera
je rentre au quartier avec marc
je passe rue visconti
je ne sais pas quoi faire pour pierre
mardi 11 mars
a time of peace i swear it’s not too late
jour de grève générale
papa va passer la journée ici il n’est pas dérangeant il dort
onze heures trente le téléphone me réveille je respire difficilement c’est luc
myriam n’est pas encore arrivée il a envie de venir ici
je dis mon papa est là
il dit bon alors non
myriam arrive
me parle très fort
mais je l’aime beaucoup cette fille
et bêtement hier j’étais jalouse d’elle
mon dieu les types il ne faut pas se laisser aliéner par eux
je n’ai pas le temps
papa est heureux de lire mon devoir
et fier de moi
je suis fatiguée
mais tape la thèse d’avarro bien et plus vite
le soir simon arrive
il était à la manif
il a rencontré philibert
mercredi 12 mars
qui m’a appris à écrire
patrice et michel cournot bob dylan anton tchekhov jd salinger
et jean-louis cure peut-être
je le dis maintenant il était un grand poète et je n’ai pas su voulu pu l’aimer ni le comprendre
j’ai retrouvé daniel
j’ai eu raison d’attendre de dire non à luc et aux autres
il était tard
j’ai attendu
il pleuvait un peu
nous avons marché
tous les deux
de la bastille à la république le parcours de la manif d’hier
sourires complices entre les gouttes
je l’attendais
demain
nous n’avons jamais été au cirque
jeudi 13 mars
hier il m’avait demandé si je venais aujourd’hui à la fac et m’avait dit à demain
je suis allée au cours
plus tard à l’étage au-dessus du département droit passant devant une salle de philo je l’ai vu il m’a fait un signe
j’ai reconnu françois châtelet
je l’avais déjà vu en 64 avec noëlle jospin place de l’odéon dans un restaurant
j’avais un autre cours de droit
et j’ai de nouveau perdu daniel
je n’aime pas les vitres entre nous
demain je repars à nantes parce que je dois aller toucher mon premier terme de bourse avant le quinze à midi
il est des bonnes surprises
mais j’ai raison de penser
chaque jour
que je suis heureuse de vivre
vendredi 14 mars
je partirai en fin d’après-midi
j’appelle gene j’ai hâte de la voir
mon dieu je pense que j’aurais été si heureuse d’aller à nantes si le bébé avait vécu
vincennes
rémy toujours caressant tout doux
un peu cassant aussi
mais il me fait rire
débat pour l’exposé
ça fouare pas mal
quand apprendrons-nous à travailler ensemble
et puis luc me révolte il n’a aucune notion du manque d’argent de l’insécurité
je sors
je ne trouve pas daniel
je pars
train je lis
nantes gene chérie
choc en ne la voyant plus ronde ni épanouie comme avant
j’aimerais pouvoir faire quelque chose mais quoi
elle est révoltée
on le serait à moins
samedi 15 mars
nous parlons nous parlons ça lui fait du bien elle est angoissée par son isolement à nantes avec ses deux gosses souvent sans paul qui voyage beaucoup pour son travail
elle n’a plus l’envie même de faire la cuisine
elle est lasse
n’a plus de courage
ma grande gene si forte
il faudrait qu’elle vienne nous voir à paris que je lui fasse des robes qu’elle s’occupe de sa tête
je vais à la fac on me donne mon chèque 1392,00 F pas mal
je suis toute sautillante
au passage j’achète des jonquilles pour gene
puis trop rapidement le déjeuner avec les enfants
le départ en taxi
la gare
j’ai laissé gene dans un sale état
elle ne mérite pas ça
c’est trop injuste
dimanche 16 mars
boulot sur la thèse d’avarro
puis je couds mon pantalon de lainage blanc
les cousins simon et jakez arrivent en fin d’après-midi et vont nous chercher des pâtisseries arabes écœurantes et dégoulinantes à souhait
nous prenons le thé
luc m’appelle il m’a déjà appelée hier pour que j’aille bouffer chez myriam
moi je n’ai encore rien fait
à onze heures je commence
paul arrive on l’héberge pendant son voyage éclair à paris
je travaille jusqu’à quatre heures et demie du matin
je ne suis pas folle de joie de ce que j’ai fait
lundi 17 mars saint patrice
le temps est incertain mais je tiens à mettre mon pantalon blanc pull blanc chaussures vernies blanches foulard féraud en soie rouge chaussettes rouges et manteau marine
je suis un peu en retard mais très jolie
comme j’allais m’excuser casamayor s’avance vers moi pour me serrer la main avec chaleur
martine est avec sa petite fille muriel
ça me frustre toujours de voir les bébés des autres
film sur mai et on commence l’exposé
enfin je commence très à l’aise
trop peut-être
mais je m’amuse
les autres continuent
ensuite discussion
l’après-midi je m’endors au cours de droit constitutionnel je suis complètement vaseuse et puis
peu après notre sortie devant le département droit je retrouve daniel
nous rentrons ensemble
à nation nous échangeons nos numéros de téléphone
à demain peut-être
mardi 18 mars
journée de récréation
daniel va m’appeler venir
ce sera bien j’ai envie de lui
envie au fond je ne sais
je n’ai plus du tout envie de baiser pour baiser
ça c’est sûr
et puis la journée passe
je vais à la banque et perds toute l’après-midi du côté des champs élysées
a-t-il appelé n’a-t-il pas
je ne sais
nous avons le temps
beaucoup de temps
c’eût été trop tôt
je tape la thèse d’avarro
j’ai acheté quelques jolies choses
et pour l’instant j’enregistre donovan à la radio europe 1 sur campus de michel lancelot
mercredi 19 mars
temps éclaboussé de soleil
vrai printemps demain mais aujourd’hui déjà
alors je suis pleine d’ardeur je finis ma tunique de lainage blanc et le bermuda assorti
je tape deux ou trois pages
c’est long une thèse d’histoire
j’arrive à vincennes dans l’après-midi
luc m’embête enfin il ne m’amuse plus s’il m’a amusée
cours de poulantzas
puis cafétéria avec christian duc
il admire ma tenue avec force termes délirants puis nous discutons d’histoires de cul évidemment
puis arrive daniel qui me cherchait partout depuis ce matin
cours de socio économique près de martine qui est intéressante
à huit heures je rejoins daniel au cours de psychanalyse de leclaire
plus tard arrive marianne
mais daniel rentre avec moi et reste dormir ici
échec
je ne comprends plus ce qui se passe
daniel m’emmène manger près des anciennes halles espérant que ça ira mieux ensuite mais c’est de plus en plus mauvais
je ne sais plus faire l’amour
je ne peux plus faire l’amour
et je n’ai pas vraiment envie de faire l’amour
alors nous dormons
jeudi 20 mars
c’est seulement aujourd’hui vers midi que nous arrivons à le faire cet amour comme si c’était une obligation pour ne pas se quitter trop déçus
mais ça me déprime
pierre m’a traumatisée
ou je ne sais quoi
je ne comprends plus
vincennes l’après-midi
je me sens assez mal et dois quitter un cours
je retrouve philippe et lui raconte mes malheurs
puis christian mon adorable homosexuel oriental
bref nous passons la soirée à parler de cul
vendredi 21 mars
thèse thèse thèse
je n’ai pas le temps d’aller à vincennes
thèse thèse thèse
ce soir je vais rue guynemer invitée par petrus à une boom
je dois y retrouver isabelle qui m’a appelée l’autre soir
patrice sera là sans doute
je veux être éblouissante
je m’achète quelques somptueuses choses
volupté de pouvoir dépenser de l’argent
après si longtemps
j’aime vivre vite
être occupée à plein comme aujourd’hui
soir simon vient dîner avec nous et reste avec moi pendant que j’attends daniel qui doit venir me chercher ici et tarde et tarde et me rend folle
j’ai trop de soirs attendu pierre pour supporter ça à nouveau
enfin il arrive et nous partons
la première personne rue guynemer est patrice qui ne me reconnaît d’abord pas et constate que décidément je change chaque année
normal je grandis
on tombe sur une nana qui prétend avoir assisté à mon exposé l’autre jour à vincennes au cours de casamayor
isabelle françois et antoine de g
ces gens connus il y a quatre ans à peu près
jean-françois qui ne me reconnaît pas non plus tout de suite mais est ravi de me revoir et reste discuter avec moi presque tout le temps en critiquant les gens comme avant
je l’aime beaucoup
mais je guette patrice et j’arrive à lui parler quelques minutes de droit de son métier et de casamayor
patrice tu es moins beau qu’avant mais je t’ai aimé tu me donnes envie de travailler et je ne peux m’empêcher de penser que si je t’avais écouté j’aurais maintenant ma licence en droit et je n’aurais pas tout gâché
mais je n’aurais pas non plus connu pierre ni balmain ni kiki féraud ni la sorbonne libre ni casamayor et je n’aurais pas comme maintenant envie de te parler de droit et de justice
je rentre avec daniel tout gentil
mais ça m’a fait un choc de revoir patrice
j’aimerais de nouveau
oh je ne sais pas
je crois que ce qui me gênait chez lui était son manque d’humour
ou alors je n’étais pas réceptive au sien
samedi 22 mars
soirée chez louis féraud avec kiki yves et son ami et aussi le chien sloopy un labrit des pyrénées le chien de mia fonsagrives la seconde femme de louis
dimanche 23 mars
hier soir marianne est venue ici je ne l’ai pas vue j’étais chez kiki
elle trouve que daniel et moi allons bien ensemble
c’est faux je crois que nous pourrions arriver à bien faire l’amour tous les deux mais je ne sais pas si ça me suffit
je m’ennuie un peu avec lui
c’est pas encore ça
et je n’ai pas de temps à gaspiller
heureusement anne et moi avons un boulot fou qui ne laisse pas de place pour un bonhomme
j’ai envie de bosser comme une dingue et de gagner du fric
pour égaler les cournot les féraud et tous mes petits amis plus fortunés
les égaler socialement comme intellectuellement
lundi 24 mars
je ne vais pas au cours de casamayor
je n’ai pas le temps il me faut finir la thèse d’avarro pour demain
alors que je pars à vincennes vers midi et demi on me téléphone de la fac c’est patrick qui m’invite à aller demain soir au théâtre pour faire la foule parce que la radio va venir enregistrer et tout
de toutes façons je le retrouve à vincennes juste avant le cours de droit constitu
lui les autres philippe et tous viennent au théâtre demain ça va être drôle
exercice écrit en constitu intéressant
je ne vois pas daniel alors je rentre au quartier avec philippe décidément on s’entend bien
hélène chérie
benoît effrayant
mardi 25 mars
hélène vient travailler aux mailings de gault-et-millau
elle est ponctuelle dix heures pile
jeudi 27 mars
départ pour nantes pendant les vacances
samedi 29 mars
saint julien g a e c groupement agricole d’exploitation en commun treffieux rené philippot
dimanche 30 mars
bernard lambert à teillé avec tonton francis et simon
lundi 31 mars
nantes chambre d’agriculture bernard thareau
Écrit en mars 1969 publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
Gaelle Kermen, Kerantorec, le 30 mars 2019
Gaelle Kermen est l’auteur des guides pratiques Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, Windows, iOS et Scrivener 3, publiés sur toutes les plateformes numériques.
Vaguemestre depuis 1997, blogueuse des années 2000, elle publie plusieurs blogs sur ses sujets de prédilection, l’écriture sur gaellekermen.net, les chantiers d’autoconstruction sur kerantorec.net, les archives d’un demi-siècle sur aquamarine67.net et les voyages ici ou ailleurs sur hentadou.wordpress.com.
(Les notes entre parenthèses sont de février 2019, en particulier pour préciser les noms de quelques personnes dont je ne donnais que les prénoms. Certaines sont devenues célèbres.)
Transferts de dossier entre la Sorbonne, la fac de Nantes et le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes
Justificatif de diplôme de la Sorbonne lors du transfert des dossiers entre Universités CELG (Certificat Etudes Littéraires Général : Philosophie, Latin, Anglais)
samedi 1 février
9h30 droit constitutionnel
je n’arrive évidemment pas à me lever pour aller à vincennes où j’ai rendez-vous avec michel mon petit camarade
tant pis
d’ailleurs il y a ce foutu déménagement à faire
gilbert ne vient pas
je suis furieuse
d’accord ça ne l’amusait pas de venir nous aider mais moi non plus ça ne m’amusait pas de le présenter à kiki vu que kiki ne pouvait plus entendre parler de pierre et qu’elle met tous les frères dans le même sac
elle n’a sûrement pas tort
donc je les considère comme n’existant plus
maya (Evic) vient en voisine nous aider avec deux amis
philibert aussi
sympa
dimanche 2 février 1969
j’ai bien dormi
il s’agit ici de prendre possession de l’espace
ce dont nous n’avons pas l’habitude
je fais la cuisine
bien
sur ce minuscule camping-gaz
l’après-midi yvon (Yves Petit de Voize) vient
il joue à m’interviewer sur la mini-cassette en tant que contestataire de vincennes
puis arrivent maman grand-mère le cousin et sa femme qui persiste à m’appeler cousine ce qui m’agace fort
tout le monde me fatigue
j’ai horriblement mal au dos et je dors très mal
michel de vincennes m’a curieusement manqué tout le week-end
tout jeune sans doute
l’an dernier il était encore lycéen il faisait partie des c a l comités d’actions lycéens en mai dernier
tout enthousiaste
j’aime ça
les gens qui vivent et ne sont pas encore usés ni désabusés
intacts
lundi 3 février
je n’ai pas du tout envie de me lever pour aller au cours à neuf heures
j’ai le corps tout endolori
et puis comme je suis réveillée j’y vais
en allant vers le bus j’entends un sifflement appel
c’est michel on se retrouve toujours
cours de libertés publiques avec casamayor
un drôle de bonhomme très sympathique qui nous parle de langage et de cohn-bendit et de contestation et de camarades
qui nous donne un devoir en nous disant
dites-moi ce que vous pensez vous
n’allez pas chercher dans les livres
c’est la première fois de ma vie qu’on me demande de penser pour un devoir
au déjeuner je ne retrouve pas michel
je suis furieuse contre moi-même de l’attendre et de le chercher plus ou moins consciemment
je me résous finalement à aller à la bibliothèque lire le bouquin d’aron sur la société industrielle
je me réfère aussi à chevallier
et me passionne pour montesquieu
mon dieu commencerai-je enfin à comprendre les choses
mais j’ai mal aux dents
mardi 4 février 1969
courses pour ma sœur et l’appartement
je ne vais pas à la fac aujourd’hui
tant pis je ne verrai pas michel
mais il faut que j’aille voir l’oculiste j’y perds beaucoup de temps
puis je passe chez aurélia lui apporter l’ensemble en tricot fait par maman
elle prévoit que demain les flics seront sur les campus et autres conneries dramatiques de son genre elle est folle je pars vite
je rencontre une amie de la fac de droit d’il y a deux ans une jolie petite vietnamienne elle a revu récemment jacques mon meilleur copain d’alors j’aimerais le revoir
hélène n’est pas chez elle
j’achète chez maspero raymond aron et le themis de touchard je fais mon dernier chèque
je dois lire aron pour demain
la situation universitaire s’aggrave
ou peut-être est-elle excellente comme dirait le camarade mao
mercredi 5 février
cours avec rouvier
il parle à la fin du risque de fermeture de vincennes
je lui ai posé la question au cas où une grève serait décidée
la fermeture dit-il se fera département par département
d’abord ceux qui n’ont pas encore commencé comme la socio et la philo
dans l’escalier du restau u je retrouve michel il y a longtemps qu’on ne s’est vus oui on commençait à s’ennuyer nous déjeunons ensemble
hier des c d r comités de défense de la république ont menacé de venir
ça a été un ridicule branle-bas de combat
après le repas je me fais draguée par un jeune con qui doit être réac et je perds michel
cours de théorie marxiste un joli minet me sourit de ses yeux bleus
le chargé de cours lui-même engage le débat
le minet continue sur la grève
je donne l’information de rouvier
je retrouve le minet à l’ag il est anar c’est trop joli ça
il est tout doux
un doux anar c’est rare
grève votée hélas nous restons dans les cours à discuter
mon minet anar est très caressant je flirte avec lui en rentrant mais je rentre
jeudi 6 février 1969
je n’ai plus envie de flirter entre deux métros
je n’ai pas envie de revoir mon petit anar d’hier
d’ailleurs il vivait chez papa-maman
dentiste puis visite à hélène au lieu d’aller en socio où il sera
nous prenons le thé
maïté se ramène elle m’apprend que pierre est parti
de toutes façons il y a longtemps que je le considère comme parti
je l’avais même oublié
vincennes sciences po
michel n’est pas là mais philippe (Philippe Houzé) compte sur moi pour expliquer la situation
c’est dur dans ce groupe qui dit on veut travailler
a g un monde fou
je vois glücksman mais pas michel
je reviens au cours
ambiance idiote
philippe est sympa
michel arrive enfin il est furieux de voir un cours en amphi
plus tard nous discutons avec le prof et trois types réacs dont mon dragueur
j’ai envie de pleurer
michel aimerait peut-être me consoler
nous sommes déçus
vendredi 7 février 1969
que faire pour lutter mon dieu je ne sais plus
la grève active ne servira à rien
alors la défendre parce que je suis en minorité et engagée dans une idéologie
j’ai envie de pleurer
cinq heures trente a g
michel vient d’arriver nous nous trouvons tout de suite
il dit qu’on ne s’est pas tellement vus
que plusieurs fois il m’a cherchée vainement
c’est gentil ça
j’appelle gérard chez rychter
il prétend que les modèles ne marchent pas
il ne sait pas quoi faire
il a pas l’air d’aller bien je dois le voir lundi
a g glücksman parle bien un autre aussi
je suis avec michel et deux copains dont un de droit très sympa
je vais au cours de droit constitutionnel
discussion avec des types de l’a g e v
ils sont durs à convaincre ces réacs
je vais chercher michel et l’autre mais l’a g est finie je les ai perdus
je rencontre yannis
je retourne au cours
discussion toujours presque risible
pourquoi ça vous gène les flics dans la fac
évidemment on se demande
samedi 8 février
en quittant vincennes hier soir j’ai retrouvé michel dans le métro avec ali l’iranien connu au buci ami de brendan c’est marrant (une scène d’Aquamarine 67)
mais je suis rentrée pour travailler
matin de neige je tousse
hélène élise
soir à la radio j’entends annoncer que cent quatre-vingt-trois étudiants ont été choisis par le doyen sur les deux cent vingt qui ont occupé la fac le vingt-trois janvier ils risquent la même sanction que ceux du rectorat de la sorbonne
recevrai-je une lettre
je me demande si je ne suis pas enceinte
je le serais de pierre et ce n’est plus le moment
je n’ai pas le droit d’attendre un petit bébé encore et c’est mon drame
j’ai tellement envie d’aimer
dimanche 9 février 1969
dimanche ensoleillé
errances dans quelques bouquins dont marcuse qui avec le pouvoir de sa pensée négative me dynamise
visites
philibert
hélène et yannis
discussions
c’est bien je m’affirme
j’ai le pouvoir de l’humour
ce qui m’effraie le plus dans le mouvement c’est qu’on perd cet humour qui était notre plus grande force
quand je vois ces discussions agressives et hargneuses je suis triste
c’est tellement bête
fini à trois heures du matin mon devoir sur le langage pour le cours de libertés publiques de casamayor qui nous a demandé ce que nous en pensions
c’est la première fois en autant d’années d’études qu’un prof me demande mon avis
je suis assez contente de moi
maintenant je sais m’engager
j’écris pas trop mal
j’ai une faim énorme de travail et d’amour
lundi 10 février 1969
libertés publiques devoir sur le langage
cours de casamayor qui m’autorise à partir vers dix heures trente pour me rendre à l’a g concernant ceux qui ont été emmenés à beaujon
projets de lettre en réponse au recteur
à la fin de l’a g je retrouve emmanuel du c r a c sorbonne pas vu depuis longtemps
michel a reçu sa lettre samedi matin il est avec une nana de son groupe d’éco po et je le perds de vue rapidement
je déjeune avec emmanuel puis nous allons à la bibliothèque
je tombe sur un bouquin de libertés publiques
l’oppression et la répression me révoltent
il faut arrêter ça
faire quelque chose
une grève de la faim
j’y crois
tout semble perdu
perdu pour perdu autant aller jusqu’au bout
à l’a g je me retrouve assise à côté de corinne connue cet été à kerfany
elle aussi était à beaujon
je retrouve michel il semble assez abattu
je propose mon projet de grève de la faim
on me le déconseille
films sur mai
je suis toujours révoltée
je rentre
je n’ai pas encore reçu ma lettre
mardi 11 février 1969
dix heures les types du téléphone me réveillent (pour la pose de la ligne)
je me sens horriblement mal
nausées vertiges
serais-je vraiment enceinte
hier j’ai repris normalement mon contraceptif
ça se bat peut-être là-dedans
si nous avons fait un bébé c’était au moment où nous avons vu rosemary’s baby
vraiment non merci
je n’en veux pas
onze heures moins le quart le facteur m’apporte ma lettre recommandée
vincennes sous la neige
michel tout de suite
je vais signer la lettre collective
on va au quartier sous la neige
au ramsès j’ai le temps de serrer la main de jacques bleiptreu d’embrasser françois donzel toujours aussi barbu
sorbonne déprimante
on rentre par maspéro
marcuse
soir on a le téléphone
on appelle nantes
gene a accouché hier
sa petite fille n’a pas vécu
je suis trop démoralisée
mercredi 12 février 1969
lire bouquin aron
socio économie
matin réveil normal je n’ai pas de bêtes nausées
j’essaie d’appeler la clinique de nantes c’est pas libre
cours de rouvier
je ris tout le temps sauf au cours de rouvier
malgré ses grands efforts rouvier est la seule personne qui ne me fasse pas rire
je bouffe avec un petit minet de socio mignon marrant intelligent avec des problèmes adolescents encore
théorie marxiste le prof veut créer un groupe de militants
je suis d’accord on doit se retrouver avec l’a g et le cours de nicos poulantzas
a g avec rémy kolpa-kopoul du comité d’action tout doux tout jeune
la plupart des étudiants sont tout doux et tout jeunes j’aime
de plus en plus de types de droit viennent me voir en dehors des cours pour discuter
poulantzas et son cours sur le fascisme
rémy m’y a suivie et nous restons ensemble ensuite pour discuter avec le prof de théorie marxiste
on veut faire des tracts le type tape le texte on cherche du papier on n’en trouve pas mais on rencontre beaucoup d’appariteurs musclés
je rentre avec le prof
jeudi 13 février 1969
exposé sur tocqueville
nuit agitée
au matin rêves de pierre
réminiscences de ses caresses de ses meilleurs baisers
eau port pont bateau
devoir à faire mais je préfère l’amour
appelé gene
elle semble toujours très forte mais flanche en me parlant
c’est atroce on a l’impression qu’un amour immense et inconditionnel peut être totalement stérile et vain
on ne peut empêcher l’impossible
j’arrive vers quatre heures à la fac à la sortie d’une a g
j’apprends que s’est créé un groupe d’intervention droit qui a décidé d’aller à la gare de l’est ce que je crois inutile
ça les déçoit beaucoup car ils le disent eux-mêmes ils viennent de se réveiller
je reste tirer des tracts
je retrouve michel dans une a g spontanée après la manif
nous traînons tard dans la fac et rentrons ensemble
vendredi 14 février
le jeune michel est de plus en plus caustique
il me rappelle l’esprit de guy s de saint-leu
j’ai enfin des lunettes
d’ailleurs on ne voit plus qu’elle je disparais derrière
ça me plaît
vincennes vers deux heures
film sur les black panthers et débat très intéressant avec julia herve du s n c c student nonviolent coordinating committee
je retrouve marianne
plus tard je retrouve aussi mais lui après trois ans daniel domingo et ça me fait très plaisir c’est lui qui a ouvert mes yeux sur l’art les peintures les sculptures les galeries les musées
il fait très froid à vincennes
je n’ai pas vu michel
il déserte
il faudrait que je travaille
mais je sais que tout ce temps qu’on perd à discuter on le gagne
samedi 15 février
marché de la porte saint-martin
je distribue des tracts pendant que ma sœur fait les courses
froid terrible qui me gèle les doigts les pieds la bouche
je crains que le militantisme ne soit pas fait pour moi ni moi pour lui
douce après-midi
ma sœur tape des articles pour gault et millau
je revois mon programme de droit constitutionnel
ces trois dernières années d’errance n’auront pas été vaines
je comprends un peu mieux maintenant
soir train saint-leu
fridu et cendrine mes animaux
dimanche 16 février 1969
rêves terribles de feu et de mort
je suis brûlée vive et enterrée mais pas tout à fait morte
et de nouveau le feu
puis plus tard rêve de pierre bien sûr
je lui en voulais horriblement
mais de quoi au fond
symboles oniriques de rosemary’s baby
le bébé de gene
le mien
j’en aurais tellement voulu à pierre s’il m’avait fait un bébé
parce que ça aurait été ma faute et parce qu’il n’est plus là
de toute façon consciemment ou non je lui en veux
et ça me rend folle
à part ça neige
je m’engueule toujours avec maman qui m’énerve
je réétudie mon livre d’histoire de seconde et ça me passionne
lundi 17 février
neige sur vincennes
c’est très beau
fourquet à cestas a tiré sur ses deux gosses et puis sur lui quand ces salauds de flics ont donné l’assaut
aberration de la soi-disant justice bafouée paraît-il et la police ridiculisée par elle-même
philippe au cours de libertés publiques
philippe au restau u
michel trente secondes
philippe au cours de droit constitu
philippe à la bibliothèque
jusqu’à ce que je quitte la fac
décidément je suis au mieux avec les biscuits geslot et voreux
marianne au téléphone
puis j’appelle michel
on parle longtemps ça m’étonne en général les types n’aiment pas rester au téléphone
j’ai envie de travailler plus
mardi 18 février 1969
j’aurais aimé que hélène me coupe les cheveux mais quand j’arrive rue guisarde elle est dans son lit et pleure
peu à peu elle m’explique que yannis et elle vont se séparer
il est là aussi mais descend acheter des cigarettes
elle m’expose la situation
elle est à bout de nerfs
alors je me souviens trop de ma propre situation il y a un an maintenant et de l’attitude qu’a eue kiki avec moi quand elle m’a secouée pour me réveiller
j’aimerais que hélène se lève et vienne avec moi
il faut qu’elle parte même une seule nuit
mais je ne peux pas la forcer
ils se disputent
ils ont les mêmes réactions que pierre et moi
je me sens étonnamment forte mais ça me désole
c’est tellement vain
mais christian duc notre ami vietnamien adorable arrive
le courage de sourire et même de rire revient
quand je rentre je trouve kiki devant ma porte du boulevard poissonnière
elle passait là sans savoir que j’habitais là maintenant
elle s’invite avec yves et son copain d’auvergne serge déjà vu chez féraud
nous passons une excellente soirée
ma sœur a invité une collègue d’un certain âge olga qui revit et rajeunit au milieu de nous
mercredi 19 février
hier je me suis surprise à dire à brigitte de la boutique féraud qui m’appelait pour prendre rendez-vous pour la collection
mais je suis très heureuse de vivre
je n’aurais pas pu dire ça il y a un an
et kiki le sait qui a suivi mon évolution pour finalement me récupérer à l’hôpital
tout ce que je dois à kiki
tout
elle est heureuse de me voir enfin installée dans un appartement stable clair propre agréable et confortable
et puis seule enfin
sans des individus comme pierre ou ses frères qui me minaient
3h collection féraud rue du faubourg saint-honoré en face du palais de l’élysée
certains trucs que j’adore qui m’iraient très bien avec des contrastes de couleurs mais beaucoup de choses me semblent trop classiques pour féraud
je n’arrive pas à joindre gérard rychter
il faut absolument que je gagne de l’argent
europe soir
casamayor parle de cestas et de la justice
jeudi 20 février 1969
joli temps plein de soleil
hélène téléphone elle va bien
avec yannis ça va
ça ne me semble que partie remise
elle le sait mais ils ne peuvent pas se résoudre à une séparation
j’arrive à vincennes après quatre heures
à l’a g rémy tout chaud tout doux comme d’habitude
préparation de l’action de demain journée anti impérialiste
puis nous montons au cours sur marx et le marxisme
je connais une demi-douzaine de personnes déjà dont germinal l’anar ami de dany cohn-bendit connu il y a trois ans
après je vais au cours de sciences po avec une camarade journaliste un peu noire
michel arrive me voit ou ne me voit pas et se met de l’autre côté
je suis furieuse
mais je prends ma revanche quand philippe se dérange bruyamment et traverse tout l’amphi pour s’asseoir à côté de moi
ça n’a pas d’importance au fond
à l’entracte joël me rejoint aussi et michel vient dîner avec moi
nous restons ensemble très tard à la cafétéria
il est toujours très caustique
vendredi 21 février 1969
il fait beau merveilleusement beau et si doux
c’est un avant-goût du printemps
cours avec poulantzas
je me trouve en face de christian gaspard qui m’avait raccompagnée un soir au quartier il est un des membres valables du c a comité d’action avec glücksman salmon et quelques autres
puis bibliothèque où je retrouve certains types sympas de droit
michel arrive aussi
j’ai beaucoup de mal à travailler lénine
il fait beau
je suis très vibrante
le drapeau f n l front national de libération du sud vietnam flotte sur la fac dans un vent léger
brusquement je vois daniel l’ami de marianne traverser la bibliothèque et sortir
je le rattrape sans savoir pourquoi
il n’a pas vu marianne depuis longtemps
il me plaît soudain dans ce soleil avec le ciel bleu et rose comme ma robe
il dit que je ressemble à une petite japonaise
une amie passe et dit
oh tu es adorable comme ça
samedi 22 février 1969
je crois que je suis en train de tomber amoureuse
j’ai rêvé et rêvé de daniel
ça m’étonne
j’ai follement envie de lui
j’ai envie de vivre
j’écris très mal
j’entre sans doute dans une période qui ne me laisse pas de place pour écrire puisque je crève de vivre
dessiné aujourd’hui pas mal dans le soleil
vu ce soir sur les grands boulevards en bas de chez nous le film delphine de éric le hung avec dany carrel frédéric de pasquale et maurice ronet
juste agréable pas très profond et déprimant sur le milieu de la mode
quelques robes féraud qui m’iraient encore
un style des gestes une silhouette qui ressemblent à kiki ou à moi en plus ronde
une belle voiture des arbres du mouvement un homme
dimanche 23 février 1969
je voudrais
me marier
bientôt
entre les pommiers en fleurs
près des talus en primevères
à la petite chapelle de kermen
sur le chemin de la source
journée de ciel en nuances
piscine balade
mais trop de monde dans les rues
on rentre on goûte
et je m’endors comme un bébé
le soir je me mets au travail pour faire les devoirs sur les oppressions et la liberté demandés par casamayor pour demain
je me choisis un titre
répression garantie de la liberté
je travaille jusqu’à quatre heures et demie du matin
j’aime travailler la nuit ici quand le boulevard devient enfin calme
marcuse toujours lui
et il a soixante-dix ans
lundi 24 février 1969
mauvais réveil pas assez dormi et mal
je suis nerveuse et de mauvaise humeur ce qui m’arrive rarement
ma sœur est très gentille car elle pourrait m’envoyer balader
mais sa gentillesse m’agace encore plus
après son départ je fais de la gym pour me calmer
mais ça ne m’empêche pas d’avoir une gueule horrible
cours près de philippe
je reste nerveuse parce qu’il ne m’a pas proposé d’entrer dans son futur mouvement politique comme il l’a proposé à d’autres
me croit-il non valable
puis beaucoup de gens au repas entre philippe toujours et rémy et mon petit anar d’un soir et puis vite marianne
mais où est daniel
et puis brice (Brice Lalonde)
même brice qui dit
tu es toute rose
je réponds toujours
ah
et yannis
et michel devant qui je passe très vite
cours avec philippe on s’entend bien et c’est passionnant
plus tard je le retrouve à la bibliothèque il discute avec un voisin
moi je m’avale en deux heures à peine les luttes de classe en france de marx et engels
puis philippe me parle de ses problèmes pour le mouvement et je comprends qu’il m’impliquait a priori dans son truc
je suis flattée mais il me laisse toute liberté d’adhésion ou non à ce nouveau parti socialiste destiné à rajeunir le s f i o section française de l’internationale ouvrière
simplement il refusait de me recruter comme d’autres
puis longtemps il me parle de ses problèmes
ça m’ébranle ça m’inquiète un peu ça me flatte aussi
est-ce mon physique qui lui donne cette confiance en moi
mon physique de petit page comme il dit
je n’ai pas vu daniel le soir
peut-être n’était-ce qu’une illusion entre deux rayons de soleil et un fragment de ciel
mardi 25 février 1969
mardi long et lent
je perds beaucoup de temps à feuilleter des livres dans les libraires proches de la maison dont la librairie nouvelle en bas de l’humanité voisine
puis tardivement je me lance dans un bouquin d’histoire
je n’ai pas fait grand chose
zut
mercredi 26 février 1969
je me réveille trop tard pour aller au cours de rouvier mais je m’en fiche
son cours est hors sujet
je préfère rester étudier l’histoire du sort des paysans avant de foncer à vincennes où j’écoute pendant deux heures sans relâche le cours sur la lutte des classes et le 18 brumaire
enfin je suis l’histoire j’en comprends le sens tout s’éclaire
ensuite le cours de poulantzas sur la théorie marxiste du travail me paraît évident
il m’aura fallu deux ans de droit et un de sorbonne pour comprendre ça
puis au restau u marianne qui s’étonne de me trouver toujours aussi pimpante et daniel arrive
j’aime le regarder droit dans le visage au cœur des yeux
j’aime son autorité
j’aime moins la présence de marianne parce que je la gène malgré elle
jeudi 27 février 1969
margot ma cousine me réveille au téléphone elle est à paris c’est formidable
elle arrive vers midi et demie toujours en retard
je suis ravie de la revoir
elle m’accompagne chez le dentiste et en m’attendant va se balader du côté de la sorbonne
puis nous allons vers la rue d’assas attendre simon à l’i s e p institut supérieur d’électronique de paris
en chemin une douleur commence à envahir mes muscles du dos puis des épaules et enfin de la poitrine je respire avec peine et quand je m’assieds à l’école électronique c’est la crise d’asthme
la vieille secrétaire douce et dynamique m’offre du rhum et du thé
de l’alcool comme marcel proust quand il prend le train pour balbec avec sa grand-mère
simon est en cours
en attendant le bus je suis obligée d’entrer dans une boutique
la fille est aussi très attentionnée
je retournerai lui acheter des pulls
la douleur cette nuit persiste encore
j’ai affreusement envie de vivre
pas de mourir
vendredi 28 février 1969
j’ai mal toujours mal
chaque mouvement chaque souffle est une torture
je dois pourtant aller à maubert porter des trucs pour gault-et-millau
je grelotte je transpire
j’ai mal au dos
je rentre enfin
après un œuf à la coque et un yaourt je m’offre un whisky à l’aspirine et je m’endors
le soleil erre sur les murs
je voudrais
je veux
daniel
je me sens perdue
j’ai mal
rien n’a d’importance
dans vingt jours je l’aurais peut-être oublié
mais peut-être aussi
l’aurais-je
aimé
Écrit en février 1969,
Gaelle Kermen, Kerantorec, le 28 février 2019
Recto de la lettre recommandée du restorat arrivée en retard en raison du déménagement de l’île Saint Louis au 10 boulevard Poissionnière.
Un seul feuillet plié et agraffé pour être sûr qu’on avait reçu la lettre recommandée.
Il y a cinquante ans, au mois de janvier 1969, je m’inscrivais à la nouvelle université de Vincennes, appelée alors Centre Universitaire Expérimental de Vincennes, le CUEV. Je reprends mes notes publiées dans Les maquisards du Bois de Vincennes et le Journal 60 pour donner une idée de l’ambiance de l’époque. J’ai aimé cette fac, plus que la Sorbonne et la fac de droit d’Assas. Je m’y suis sentie comme un poisson dans l’eau. Elle a forgé mon esprit critique, m’a donné de bonnes bases culturelles, une excellente méthodologie et les techniques de lecture rapide et de frappe dactylographique qui me servent encore tous les jours. Ces articles sont ma contribution à la célébration des 50 ans de Vincennes.
Mon Journal de l’année 1969 n’a pas été écrit sur un cahier à grands carreaux Héraclès ou Clairefontaine comme les autres années. J’ai pris mes notes sur un agenda disposant d’une page par jour. Le style devient plus rapide, plus concis. Toujours sans ponctuation ni majuscule.
J’ai changé des prénoms pour la publication des cahiers 1960. Pierre est le Michel des Pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne. 69 fut une année érotique, ô combien érotique ! Mais dans ces pages de cinquantenaire, j’élague cette partie intime pour conserver ce qui concerne la fac de Vincennes. Je garde tout ce qui est repérages de l’époque, comportements, modes de vie, styles, mobilier, objets, cuisine, livres, films, théâtre, restaurants, cafés, politiques…
***
Le mois de janvier me voit décider de quitter Nantes où je m’étais inscrite à la Faculté des Lettres, pour m’inscrire à Vincennes, la nouvelle université, créée pour répondre aux demandes des étudiants de Mai 68. J’y retrouve de nombreuses personnes connues à la Sorbonne ou au Quartier latin.
On me propose de travailler comme styliste de mode chez Rychter, une marque de tricot. Je reste à Paris chez ma sœur, d’abord dans l’île Saint-Louis, après le déménagement du Pot de fer. Puis, au 10 boulevard Poissonnière, quand elle devient secrétaire de la revue Gault-et-Millau et qu’elle bénéficie d’un logement de fonction, à côté de l’immeuble de l’Humanité, face au cinéma Le Rex.
Au cours de janvier 1969, je déménage de Nantes, 44, à l’île Saint-Louis, 4e, et de la rue Visconti, 6e, au boulevard Poissonnière, dans le 10e.
La vie à Vincennes commence. Intrépide, rapide, ardente, passionnée, enthousiaste.
Mercredi 1er janvier 1969
réveillon dans un lit avec ma sœur dans l’île saint-louis où elle habite en ce moment et où je l’ai suivie beaucoup dormi raté rendez-vous avec la bande à geismar et glücksman au balzar parce le balzar est fermé le mardi et puis assoupissement de l’île … télé julie driscoll et les beegees je suis contente de commencer quelque chose de nouveau surtout une année que ça soit positif
Jeudi 2 janvier 1969
douceur de l’île saint-louis les matins qui s’étirent envie de robe de velours mais envie de formes modernes
dynamisme piscine
je n’arrive pas à me décider si je rentre à nantes dans quatre jours ou si je reste à paris pour m’inscrire à vincennes pour foncer être entièrement dans le coup … au ramsès où je ne fais que passer bleiptreu me donne d’autorité le téléphone de rychter la maison de prêt-à-porter tricots pour mon avenir créateur est-ce un signe si j’ai un boulot je reste à paris d’autant que peut-être je serai logée gratis
Vendredi 3 janvier 1969
je crois que je vais rester à paris intuition bien commencer quelque chose pour arriver quelque part at least at last …
Samedi 4 janvier 1969
… alexandra m’appelle aurélia m’appelle j’ai beaucoup d’amies on a voulu aller à vincennes mais la fac est fermée
ma sœur vient de se voir proposer un boulot sensationnel secrétaire assistante dans une revue gastronomique et touristique faite par les critiques gault et millau en plus on lui propose un appartement de trois pièces cuisine salle de bain et tout
nous pourrons habiter ensemble en étant indépendantes et travailler surtout moi parce que ce n’est pas au quartier mais près du sentier et des trucs de couture …
Dimanche 5 janvier 1969
saint-leu crise d’asthme of course au fond comme ça j’échappe au repas de famille avec ma grand-mère mon cousin et sa femme qui est assez fatigante parce qu’elle pose des questions sans écouter les réponses
je tricote quand je vais mieux je mets l’après-midi à lire le monde d’hier
je me sens désormais personnellement concernée par les problèmes internationaux et intérieurs maintenant que je suis au courant l’essentiel c’est d’être dans le coup
j’ai aussi des envies de robes d’hôtesse au tricot longues et mousseuses
retour le soir dans l’île saint-louis …
Lundi 6 janvier 1969
c’est fou ce que je dors dans l’île
mon frère louis vient enregistrer des disques de dylan avant de regagner la caserne demain il part à djibouti où il sera moniteur de voile pendant son service militaire
piscine je nage beaucoup et mieux
vincennes beau soleil d’hiver sur le bois
a g dans truc moderne ça me plaît
la première personne que je rencontre est une fille rencontrée à la sorbonne l’an dernier elle fait partie du comité d’action
je rencontre aussi un m l marxiste-léniniste qui enseignera en philo ou socio et une fille qui nous avait apporté à la trésorerie du fric donné par les chanteurs de bobino en grève active
au ramsès bleiptreu me dit de téléphoner le plus vite possible chez rychter qui a besoin d’une modéliste il l’a vu hier mais je n’arrive pas à le joindre … ma vie à venir risque d’être formidable
Mardi 7 janvier 1969
aller à vincennes pour transfert dossier de nantes …
vincennes sous les pluies un peu triste mais envie folle de commencer enfin un genre d’enseignement nouveau
buci passage soloman me parle de pierre mais qu’est-ce qu’ils ont tous à me parler de lui heureusement que je crève d’humour et que je m’en fous …
Mercredi 8 janvier 1969
aller à vincennes 2 h christine au ramsès alexandra 5 h téléphone gérard aller chez rychter …
perdu mon temps avec christine et alexandra puisque j’arrive trop tard à vincennes pour m’inscrire
mais entrevue intéressante chez rychter je crois avoir compris ce qui m’est demandé une de mes qualités est de comprendre vite
Jeudi 9 janvier 1969
il fait beau à nantes merveilleusement départ très tôt le matin pour nantes où je rentre chercher mes affaires je n’ai plus l’habitude de me lever si tôt il va falloir la reprendre pour travailler il me faut tellement tellement toujours travailler … c’est un peu dommage de partir mais je ne regrette rien
Vendredi 10 janvier 1969
lever tôt aussi aujourd’hui pour repartir à paris avec tonton francis et le petit erwan … je commence à noter des idées de tricots
Samedi 11 janvier 1969
je me mets sérieusement au travail mais appels téléphoniques de mes meilleures amies … je me fous des histoires de nanas
après-midi visite du futur appartement boulevard poissonnière sur les grands boulevards face au cinéma rex à côté de l’humanité plein sud avec balcon ça va être sensationnel jamais nous n’aurions pu espérer ça
en tout cas je vois parfaitement ma chambre très moderne très nette avec un mur en vitres une table à dessin assez grande devant la porte-fenêtre et cetera j’y travaillerai très bien …
Dimanche 12 janvier 1969
ma sœur part à saint-leu vers 11 heures passées je vais à la piscine de pontoise après m’être baladée du côté de la mouff je nage beaucoup sans fatigue maintenant je rentre je bouffe me fais jolie et note quelques idées
puis je sors pour aller chez pierre puisque j’ai besoin de dessins qui sont restés rue visconti et que ce matin aurélia m’a appelée pour me dire qu’il me cherchait et qu’il fallait que je me méfie comme si je ne savais pas que pierre serait seulement ravi de me voir ce qui ne rate pas
pot au buci puis je l’accompagne chez lui parce qu’il a pour moi une locomotive miniature jouet c’est original comme cadeau de noël il est tellement sûr que je serai une locomotive si je ne rate pas le train
pour ma sœur il me donne un tatou puis je dîne avec lui rue privas
nous avons toujours beaucoup à dire … je rentre et je travaille jusqu’à trois heures du matin
Lundi 13 janvier
7 h 30-8 h gérard rychter
c’est ce soir que je saurai si je serai une grande styliste ou pas la locomotive
plaisir de rencontrer pierre dans la rue d’être invitée à déjeuner ça n’arrivait pas quand je vivais avec lui
symphonie triomphante de mozart et repos entre deux dessins j’ai fait beaucoup de dessins
vu gérard rychter il trouve qu’il y a beaucoup à faire et que je suis très dans le coup peut-être n’est-ce pas assez tricot trop couture
je dois faire d’autres croquis
lui aussi s’inscrit à vincennes
Mardi 14 janvier 1969
je pensais aller à vincennes m’inscrire mais mes meilleures amies décidément ne m’oublient pas de plus les peintres viennent dans le studio alors en attendant mon rendez-vous avec aurélia je dessine … puis je passe chez pierre il est tout beau tout heureux de me voir
son coup a marché il a passeport et tout bref il m’invite à voir mister freedom de william klein puis à manger une côte de boeuf au pop hot
je le quitte à deux heures du matin
Mercredi 15 janvier 1969
inscription vincennes
fragments les chinois avec terzieff
vincennes matin finalement je m’inscris en dominante sciences politiques en espérant que la licence sera créée
vers 6 heures je vais au quartier ne sachant si je vais ensuite à saint-leu ou si je reste avec pierre au cas où il n’a pas oublié qu’il m’a invitée à aller au théâtre voir terzieff dans fragments
je rencontre devant le buci ses frères et maïté qui veut que j’aille avec elle voir pierre rue visconti
je vais chez hélène très triste parce que yannis passe ses journées à vincennes et la laisse seule
puis je trouve pierre au buci il pensait que je ne viendrais pas
théâtre excellent comme toujours avec terzieff
nous dînons au pop hot nous évoquons les histoires de la sorbonne mais c’est dommage je n’ai plus confiance politiquement
je reste la nuit avec pierre
Jeudi 16 janvier 1969
rosemary’s baby avec pierre angoisse mais je connaissais déjà l’histoire je ne suis pas choquée dehors il fait froid j’ai mal au cœur
pierre m’entoure m’offre des huîtres quand nous rentrons j’ai une crise d’asthme je suis nerveuse et révoltée par la poussière de la pièce et la crasse ambiante
Vendredi 17 janvier 1969
pierre a essayé de me calmer mais n’a réussi qu’à aggraver mon état il prétend que je suis injuste qu’il cherche seulement à m’aider et moi je ne supporte pas
je pars tôt … j’ai une crise pénible angoissante
maman arrive je décide rapidement de rentrer à saint-leu avec elle
Samedi 18 janvier 1969
11 h sciences po réunion à vincennes
j’arrive tôt à vincennes enfin un quart d’heure avant la réunion ce qui représente un tour de force les profs auront fort à faire nous n’hésitons plus à les contrer il n’y a plus de barrières hiérarchiques je n’ose pas encore prendre la parole mais ça viendra
un type qui était deux rangs derrière moi vient s’asseoir à côté de moi il est sympa plein de vie je crois que je m’entendrai bien avec lui et c’est pratique de pouvoir désormais tout de suite tutoyer les gens
je rentre dans l’île per-jakez doit aujourd’hui me rapporter les derniers bagages restés à nantes …
Dimanche 19 janvier 1969
faubourg poissonnière
dessins
per-jakez nous réveille toujours ponctuel précis sûr certain solide je suis contente de le voir et puis il est mignon il a un très beau sourire il nous conduit boulevard poissonnière j’aime sa façon de conduire rapide et efficace sécurisante per-jakez c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau en moi c’est toute l’intégrité de l’enfance
je fais mon rideau de toile cirée jaune puis nous rentrons et je dessine jusqu’au soir
pierre n’a pas rappelé pendant que j’étais là
Mercredi 22 janvier 1969
soir rychter grandes discussions il va essayer de faire trois de mes modèles
alors pierre je m’en fous
Jeudi 23 janvier 1969
midi je frappe rue visconti pas de réponse je suis folle de rage maman doit venir tout à l’heure pour m’aider à déménager
je reste avec son frère au buci
à une heure trente nous allons rue visconti pierre a ouvert il paraît très dur et dit qu’il ne pouvait pas ouvrir tout à l’heure bon j’ai compris il y a une nana dans son lit à côté d’ailleurs son sac est là
maman et philibert sont arrivés avec un immense far breton que maman a fait spécialement pour pierre
déménagement nous prenons un maximum de choses
pierre me demande de passer demain à midi pour l’enregistrer sur l’occupation de la sorbonne
boulevard poissonnière je fais des rideaux encore et range l’appartement
à six heures vincennes où je dois avoir réunion d’information de sciences po
des types du comité d’action arrivent flics à la sorbonne profs exclus manifs grève votée avec occupation
arrive le type sympa de l’autre jour je reste manger au restau u et rencontre aurélia
a g à 8 h je décide de rester mon copain est à la tribune glücksman est très beau
Vendredi 24 janvier 1969
toujours à la fac
à une heure à la cafétéria je retrouve mon copain très étonné de me voir là
les voilà aurélia fonce moi aussi mais sans voir grand-chose les c r s courent partout je suis entrée dans le bâtiment c je me retourne les c r s entrent dix mètres derrière moi je fonce tout droit dans l’escalier et me retrouve dans la zone d’autodéfense où je ne voulais pas aller étant non-violente attente longue attente on se sent tous proches révoltés de voir les c r s faire les cent pas en bas devant les amphis
puis attaque je monte au 2e étage avec ceux qui ne veulent pas se battre on étouffe on pleure on entend crier descendez on descend ne les touchez pas
alors vous n’êtes pas mieux là grand amphi on respire si bien ici
attente des autres puis on est tous embarqués dans les cars vers beaujon
à beaujon attente parqués dans des cellules serrés comme du bétail
slogans nous sommes tous des juifs bretons on a tous tué marcovic
fouille identité photos fichage
attente on entend des cris pour nous mettre en condition
je commence à ne plus pouvoir respirer
à trois heures de l’après-midi on nous relâche là dans la rue devant l’hôpital j’ai une crise d’asthme épouvantable
j’appelle ma sœur qui a dû s’inquiéter aurélia l’a réveillée à trois heures du matin pour lui dire que je serais battue matraquée et tout parce qu’aurélia elle s’est tirée elle a eu raison d’ailleurs
je me repose me restaure m’endors
ma sœur revient nous allons dîner chez maya rue de fürstenberg
Samedi 25 janvier 1969
pierre nous réveille au téléphone vers onze heures il est très brillant il ne part pas aujourd’hui parce que les banques sont fermées et qu’il ne peut toucher le chèque qui devait payer son voyage il veut que je l’enregistre sur ses histoires de la sorbonne il n’a pas dormi son appartement avait été mis sens dessus dessous par ses futures occupantes et puis il a eu des histoires avec des nénettes
moi il m’embête avec ses conneries mais je fais assaut d’humour comme d’habitude
maya arrive vers midi je me lève avec effort j’ai des difficultés à retrouver mon rythme respiratoire
piscine eau trop froide ou moi trop fatiguée je perds complètement mon souffle
je m’endors après le repas tout l’après-midi jusqu’à huit heures
dîner avec ma sœur au théâtre de la ville
puis visite chez hélène qui nous coupe les cheveux il y a deux cinglés chez elle en plus de yannis
Lundi 27 janvier 1969
15 h vincennes marxisme et théorie de marx 17 h vincennes sociologie des classes sociales
il paraît qu’on risque des sanctions pour avoir occupé vincennes
je rencontre jacques de la sono sorbonne et philippe de l’occupation qui me dit voilà ce que c’est de devenir gauchiste ah bon
Mardi 28 janvier 1969
10 h 30 vincennes national-socialisme amphi 3 étrangeté de me retrouver dehors avant dix heures
cours avec rouvier jeune sportif actif brillant et horriblement cabot ne cesse de nous parler de ses petits copains edgar faure et autres mais son cours est pour l’instant intéressant
rencontre michel mon petit camarade de droit ravi de me voir était déjà dans l’amphithéâtre quand nous avons été pris dans la zone d’autodéfense m’avait fait de grands signaux que je n’ai pas vus
bon on ne se quitte plus on mange on prend le café
l’après-midi je rentre à paris j’ai mal aux dents je rate toute ma fin de journée
Mercredi 29 janvier 1969
10 h 30 national-socialisme 16 h sociologie économique
il y a beaucoup de choses pour lesquelles on peut et doit lutter mais pour ça il faut être fort
cours avec rouvier il m’énerve paraît que dès qu’il lève le petit doigt le monde s’empresse de faire des articles on verra de plus son cours devient trop érudit on veut de l’action cher professeur
après le déjeuner je finis par retrouver michel on passe les tests d’anglais ensemble c’est marrant
puis il part je reste à l’a g de socio puis on reste pour éco po pour voter la motion contre la participation
arrive aurélia puis brice aussi
a g successives
je dîne avec yannis qui mourait de faim
socio économique a g de psychanalyse près de glücksman
Jeudi 30 janvier 1969
18 h histoire des idées politiques
nuit de souffrance atroce je deviens folle avec ces foutues dents
j’ai dit à pierre que je n’aurai pas le temps de le revoir avant son supposé départ à londres déjà retardé de huit jours ni pour l’interviewer sur mai mai on s’en fout maintenant et je perds mon temps
à part ça difficultés pour faire soigner mes dents
mais vincennes c’est passionnant avec michel mon petit camarade de droit on intervient tout le temps on va avoir fort à faire avec les types de l’u e v union des étudiants de vincennes
jeu de mots quitte cette u v rejoins l’u e v
cours très intéressant
Vendredi 31 janvier 1969
18 h 30 droit constitutionnel 21 h 30 soirée chez kiki féraud
si nous voulons lutter activement il va nous falloir d’abord travailler comme des dingues ça a bien commencé il nous faut être les plus forts
je rencontre toujours michel à la bibliothèque nous nous retrouvons entre deux livres il est sympa nous travaillons ensemble assez longtemps
soir je vais chez kiki à un dîner avec gilbert le frère de pierre j’avoue que ça ne m’amusait pas mais ça ne se passe pas trop mal gilbert a l’air de plaire à yves le fiancé de kiki
je me sens un peu bizarre au début sortant de vincennes comme ça me retrouver là c’est étrange j’ai les yeux qui s’enfoncent
comme dit tout de suite yves avec des yeux pareils ou on fait beaucoup l’amour ou on fait la révolution
Quand une situation est devenue intolérable, il faut la changer. Ce devoir est inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793, préambule de la Constitution de 1958 et fondement de tous nos droits constitutionnels.
Article 35. – Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.
Il est temps d’un nouveau Mai 2018. Il faut rééquilibrer la société, au-delà des différences, au-delà des haines et des violences. Il faut restaurer l’harmonie entre les êtres vivants, humains, animaux, végétaux. L’exclusion n’existe pas dans la nature, sauf quand l’humain s’en mêle. Tout coexiste, s’unit, se transforme, mute et s’enrichit.
La nature est mon guide. Elle m’a soignée. Elle m’a appris les cycles de la vie, l’éternel retour du soleil et des étoiles, avec leurs aspects tendus ou harmoniques.
Les moments où il faut s’arrêter de lutter contre le courant pour retrouver son rythme propre.
Les périodes où se rechargent les batteries.
Les instants de grâce où l’inspiration nous invite à l’action.
La nature est notre mère à tous. Gaïa est notre Alma Mater. Écoutons-la. Quoi que nous fassions, elle restera, même après nous, quitte à évacuer le genre humain, comme un chien gratterait ses puces.
Si nous voulons survivre, nous devons nous unir et faire de nos différences nos richesses communes.
Ce n’était pas mieux avant !
Beaucoup pleurent sur le passé et gardent la nostalgie du « c’était mieux avant ! »
Quand on a un peu le sens de l’histoire et qu’on replace les événements dans leurs contextes spatio-temporels, on réalise vite que ce n’était pas mieux avant. Mais nous sommes arrivés à une période où nous pouvons tellement régresser que nous risquons de penser que « c’était mieux avant ! ». Rien n’est jamais définitif, tout peut être remis en question. Un pays garde sa cohésion quand les bases constitutionnelles sont admises par le plus grand nombre. Mais tout peut changer très vite, comme la dernière année nous le démontre.
Si j’ai pensé un temps que « c’était mieux avant », j’ai cessé de le penser quand, en Ariège dans les années 70, un retraité des Postes m’a raconté que non, ce n’était pas mieux de son temps.
Petit facteur ariégeois parti de la Cabirole, il avait fini sa carrière au ministère parisien. Revenu passer ses vieux jours au village où nous habitions, il me racontait la vie des facteurs quand ils travaillaient même le dimanche, par tous les temps, dans des conditions difficiles, dans des endroits retirés, même à l’accès escarpé, parce que chaque foyer avait droit au même service public.
Le vieil homme avait une noble prestance. Je le rencontrais parfois avec les autres personnes âgées du village, lors de leur tour régulier de marche à pied quand le soleil chauffait la route montant vers Burret.
Il s’appelait Léopold Teisseire et je n’ai jamais oublié son message.
Aucun droit n’est acquis sans rapport de force.
Alors, non, ce n’était pas mieux avant.
Certaines choses étaient plus faciles avant Mai 68, on trouvait plus de travail, me dit-on.
Oui, mais nous pouvions aussi le perdre plus vite, sans garantie sociale.
Nous vivions moins confortablement. De nombreux bidonvilles s’étendaient autour de Paris, y compris au pied de la fac de Nanterre.
Par exemple, les sanitaires n’existaient pas partout.
En Mai 68, dans le studio de ma sœur au Pot de fer, les toilettes étaient sur le palier, à la turque. Nous avions de l’eau à l’évier dans la cuisine, c’est tout, sans coin de toilette. Il fallait chauffer l’eau pour nous laver ou faire la vaisselle dans un seul endroit.
Rue Visconti, Michel Bablon, ancien élève d’architecture aux Beaux-Arts, bénéficiait d’un atelier de la Ville de Paris. Près de la petite chambre au bout de l’appartement avait été créé un coin toilettes et douche. C’est pourquoi en Mai 68 nous recevions tant de militants de la Sorbonne qui venaient se laver, prendre une douche, se reposer en buvant le thé.
Le thé c’était le Ty-Phoo Tea que m’apportait un certain Alan aux origines anglaises. Je l’achète encore au rayon anglais de mon supermarché local et je revois ces matins de Mai après les gardes de nuit à la Sorbonne, les beaux matins du soleil éblouissant sur la coupole de la chapelle.
Nous avons gagné en confort de travail et de vie.
Le vieux Léopold du Bosc avait commencé sa carrière dans les années 20, il avait connu les luttes du Front populaire de 1936 qui avaient « changé la vie » des classes ouvrières.
Nous avons obtenu des acquis par les luttes. Rien n’a jamais été donné sans être d’abord exigé, au besoin par la force. Il ne faut rien lâcher maintenant que le pays est en grève depuis des semaines au printemps 2018. Les cheminots, les étudiants, les services publics, sont allés trop loin pour renoncer maintenant devant l’usage de la force, censée faire respecter la loi, selon le gouvernement.
Mais quand les lois sont injustes, le devoir est de les enfreindre. La désobéissance civile est un combat responsable. Quand une situation est devenue insoutenable pour le peuple, il doit retrouver son devoir sacré, inscrit dans la base de nos constitutions depuis 237 ans, l’insurrection.
Il ne faut pas laisser le pays revenir en arrière. Nos acquis sociaux, humains, environnementaux faisaient notre gloire. Nous devons les conserver et les enrichir.
Il faut partager nos richesses avec ceux qui n’ont plus rien.
Le pillage est stérilisant.
Le partage est enrichissant.
Le goût du travail et la jeunesse
Je sais qu’on reproche à Mai 68 son laxisme pédagogique. Une fois de plus, je ne fais pas la même analyse. Avant 68, on croyait comme disent les Anglais que « no pain, no gain ». Il fallait souffrir tout le temps, pour apprendre et même pour être belle ! J’ai entendu des amies très âgées rager sept à huit décennies plus tard contre l’éducation subie dans des écoles catholiques, où l’humiliation et les punitions étaient considérées comme pédagogiques par des « bonnes » sœurs sans aucune humanité. Mes amies avaient survécu grâce à leur formidable personnalité, mais elles avaient le sentiment d’avoir été entravées dans leurs élans créatifs, cassées dans ce qu’elles avaient de meilleur à partager avec les autres.
J’ai apprécié lors de mes années universitaires à Vincennes d’avoir d’autres formes de pédagogie que celles que j’avais reçues à Assas ou à la Sorbonne. La parole était libérée, la pensée l’était aussi.
Pendant l’occupation de Tolbiac, devenue la Commune de Tolbiac, ou celle de Paris 8, ou ailleurs dans toute la France, il y avait plus d’ateliers, de cours et de conférences qu’en temps ordinaire. L’émulation était féconde, comme du temps de la Sorbonne occupée, où je note dans mon agenda ma lecture de Guevara, La guerre de guérilla.
J’ai gardé ce goût, cette ferveur, ce bonheur. Après la Sorbonne, je me suis inscrite à la fac de Vincennes et je peux affirmer que je n’avais jamais autant travaillé dans les autres facs, Sorbonne ou Assas, auparavant. Ce que j’ai acquis à Vincennes est colossal, sans commune mesure avec les transmissions de savoir traditionnelles. Ce n’est pas un hasard si le coauteur de Pierre Bourdieu dans Les Héritiers, Jean-Claude Passeron, mon directeur de maîtrise, a tenu à venir enseigner à Vincennes, lieu idéal pour aider à rompre le cercle infernal de la reproduction des élites.
Je sens la même force actuelle dans les jeunes de Tolbiac et d’ailleurs. Et ces jeunes me redonnent confiance en mon pays.
Ce qu’ont vécu ces jeunes les transformera à jamais. Ils porteront en eux cet espace-temps entre parenthèses comme je porte encore l’esprit de Mai.
Prétendues dégradations de Tolbiac
Au moment où j’écris ce livre de souvenirs de Mai 68, j’entends parler de l’évacuation de la faculté de Tolbiac, justifiée par des dégradations matérielles, alors que les étudiants témoignaient en direct avoir vu les forces de l’ordre défoncer les portes et tout briser sur leur passage. On veut faire accuser les étudiants et ceux qui les ont soutenus.
J’étais à la Sorbonne encore le 15 juin 1968 au matin, la veille de son évacuation par les CRS. Je peux affirmer qu’il n’y avait aucune dégradation de la trésorerie ni du comité d’occupation où j’ai passé le plus clair de mon temps, tout était intact. C’était dans l’état où je l’ai vu sur les vidéos récentes de l’évacuation de l’occupation de la Sorbonne le 12 avril 2018. Il me semblait que nous venions de quitter leurs salles.
Les seuls dommages que j’ai vus étaient des graffitis faits sur la fresque de Puvis de Chavannes dans le hall en bas. La Sorbonne avait été autogérée et ne déplorait aucun dégât majeur, alors que nous recevions des milliers de gens tous les jours. Le journal Combat avait fait plusieurs articles sur le nettoyage de la Sorbonne. Leur relecture confirme mes souvenirs.
Si, pour certains journalistes ou pour des bien-pensants se donnant bonne conscience à peu de frais, les tags sont des dégradations, j’y vois plutôt une créativité débridée qui révèle la bonne santé de la jeunesse. Un slogan de Mai 68 le disait déjà :
Les murs avaient des oreilles.
Maintenant ils ont la parole !
Je revois plus tard ce chapitre après l’évacuation de la fac du Mirail le 8 mai 2018 et j’entends les mêmes déclarations à chaud des étudiant(e)s. Qui veut justifier la mort de son chien dit qu’il avait la rage. C’est exactement ce qui se passe actuellement. La méthode est éculée. Il faut changer de paradigme.
Il est sûr que le monde montré par les médias à la solde du pouvoir n’est pas celui que je regarde en direct lors d’événements retransmis par des militants ou des gens concernés par le sort de leur semblable.
Tout ce que nous dénoncions il y a cinquante ans est revenu en pire, en bien pire.
Ceux qui dégradent nos conditions de vie sont au gouvernement !
Ceux qui prennent le pays en otage sont au gouvernement !
J’ai été une jeune fille de Mai 68
J’ai été une jeune fille de Mai 68 au cœur du Comité d’Occupation de la Sorbonne où j’avais été étudiante.
Je ne me sens plus concernée par les vieux cons qui en ont été les vedettes à l’époque.
Je suis dans la même démarche que Gérard Miller dans son petit livre : Mélenchon, Mai oui. Seul Mélenchon représente nos espoirs de Mai 68. Seuls les discours de Mélenchon me redonnent ma dignité perdue au fil des décennies. Seul Mélenchon suscite l’envie de donner le meilleur de moi-même et comme l’écriture est mon vecteur, ce livre est un des ouvrages que je veux transmettre avant de partir dans une autre dimension.
Toute ma vie, j’ai gardé l’esprit de Mai, un esprit de partage des connaissances, de solidarité humaine. De respect et tolérance à l’égard des minorités, des faibles, des fragiles, des souffrants.
Des riens pour le Premier communiant qui prétend présider notre pays.
Des êtres humains pour moi, méritant assistance, dignité et protection.
Je ne regrette pas de n’avoir pas fait carrière, car je n’ai pas démérité. J’imagine ce que je serais devenue si j’étais restée à Paris dans le panier de crabes de la Maison de la Radio comme je l’appelais déjà au début des années 70 et je suis terrifiée de voir ce que sont devenues les émissions de télévision, alors que j’avais plaisir à y participer du temps de Michel Polac à Post-Scriptum. Je suis remplie de honte à l’idée que j’aurais peut-être moi aussi hurlé avec les loups, traqué la petite phrase à sortir de son contexte pour lui faire dire ce qu’elle ne disait pas.
Non, ce n’était pas concevable. La rigueur intérieure et la fidélité à mes idées ont toujours été les impératifs catégoriques kantiens qui ont guidé ma vie.
J’espère avoir évolué aux hasards des circonstances, mais sur le fond, quand je me relis, je ne peux pas me renier. En quittant les tapis rouges parisiens, j’ai opté pour une vie matérielle plus difficile, mais sur un plan spirituel, j’ai gagné en densité. Je suis restée fidèle à la jeune fille naïve et rêveuse que j’étais.
Je revendique le droit de rêve !
La vieille dame que je deviens est fière d’être restée une humaniste utopiste, croyant envers et contre tout que le monde peut être amélioré tous les jours par des petits gestes qui, ajoutés à d’autres, finissent par compter dans le bon sens du terme, pas seulement en comptabilité stricte, mais en influence générale pour le bien commun.
Les comptes sont toujours faux au fil du temps.
Seuls nos rêves sont vrais et méritent d’être vécus.
Rêveuses et rêveurs de tous les pays, unissons-nous !
Et comme une des composantes de la réussite d’une révolution est le beau temps, je souhaite un beau soleil de printemps !
Vive le printemps 2018 !
Sous les pavés, la grève
Ce monde est devenu trop violent. Tout va trop loin.
Cinquante ans après Mai 68, je réalise à quel point nous étions des gentillets, des utopistes, des rêveurs, des anarchistes non violents.
La situation est bien différente.
Police partout, Justice nulle part.
Aussi est venu le temps de la grève générale.
Comme le dit Gaël Quirante, syndicaliste CGT de la Poste dans un article de Reporterre le 10 mai 2018 :
« Pourquoi a-t-on gagné en 1995 ? Parce qu’il y a eu une grève reconductible chez les cheminots, qui reprenait tous les jours et imposait un rapport de force au gouvernement de l’époque. Pourquoi a-t-on gagné en 1936 ? Parce qu’il y avait une grève reconductible et des occupations d’usine. Pourquoi a-t-on gagné en 1968 ? Parce que sous les pavés, il y avait, avant tout, la grève. »
J’arrive à la fin de ce livre alors que le mois de mai s’achève. Le Grand Soir n’est pas encore là. Les jours heureux de la reconstruction de la France sous le Conseil National de la Résistance ne sont pas revenus.
Mais ce qui s’est passé entre les cheminots, les étudiants, les soignants, les retraités, les zadistes etc, personne ne peut nous le reprendre. Les luttes continuent partout, invisibles souvent, mais réelles et bien vivantes. Je sais qu’elles finiront par gagner sur les privilèges des élites.
Sous les pavés, la grève !
« — Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui battez les rues, manifestant, jetant au milieu de nos discordes la bravoure et l’espoir de vos vingt ans ?
— Nous allons à l’humanité, à la vérité, à la justice ! »
Émile Zola in Lettre à la jeunesse, La vérité en marche, Charpentier, Paris, 1901
Fin du livre Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne
Gaelle Kermen,
Kerantorec, écrit en mai 2018, publié sur ce blog le 20 janvier 2019
Extrait de Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne, disponible en tous formats numérique et sur broché en impression à la demande (deux formats : normal et grands caractères)
*** Gaelle Kermen est l’auteur des guides pratiques Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, Windows, iOS et Scrivener 3, publiés sur toutes les plateformes numériques.
C’était un slogan maoïste autodérisoire des années 68-70 !
Jamais elle n’a été pire depuis que je suis consciente de la res publica.
Jamais nous n’avons connu de telles disparités de fortune.
Le fondateur de Microsoft, Bill Gates, aurait pu à lui seul payer la dette de la Grèce. Il aurait d’ailleurs dû le faire, eu égard aux droits d’auteur qu’il devait aux Grecs pour avoir utilisé un de leurs mots dans sa marque.
Si les dirigeants de la SNCF n’étaient pas payés des sommes folles par rapport aux salaires des cheminots, la « dette » serait moins abyssale. Ils et elles devraient être les premiers et les premières à proposer de la résorber s’ils étaient des citoyens et des citoyennes responsables et dignes. Les cheminots n’y sont pour rien. Comment comparer leur salaire de moins de 2 000 euros avec les 50 000 euros des dirigeants qui ont mal géré la situation ? Des dirigeants qui osent demander aux plus fragiles de mettre la main à la poche, parce qu’eux-mêmes ont fait évader leurs capitaux dans des paradis fiscaux ?
Que devient ce monde ?
Le problème est le même dans les médias. Comment des journalistes stars payés 50 000 euros par mois peuvent-ils rendre compte de ce que vivent des gens avec moins de 1 500 euros par mois ?
Alors, arrêtons de dresser des populations les unes contre les autres en les culpabilisant. Ce sont les dirigeants les coupables. Le jour où les gens qui nous gouvernent géreront leur budget public aussi bien que j’ai géré la pénurie du mien, je leur accorderai quelque confiance. Le seul politique a qui j’accorde quelque crédit est Jean-Luc Mélenchon, le seul candidat présidentiel dont la déclaration de patrimoine était claire et nette.
La campagne présidentielle de 2017 m’a politisée comme jamais je ne l’avais été depuis que je vote. J’ai rejoint le mouvement de la France Insoumise en m’inscrivant sur la plateforme en ligne, je suis tous les événements et campagnes lancées par ce vecteur de communication. Moi qui m’ennuyais toujours en regardant les séances de l’Assemblée, je me régale à écouter les 17 parlementaires du Groupe de la France Insoumise, qui sont pour moi les Gaulois du Petit village résistant contre les armées de César. Moi qui n’ai aucun souvenir de mes propres députés, à part Louis le Pensec devenu ministre de la Mer sous Mitterrand, je les connais toutes et tous et je sais que la relève est assurée après Mélenchon. Sa dernière mission est de nous conduire à la VIe République, après il pourra rentrer chez lui, dans sa petite maison que j’imagine comme celle de Maigret au bord du Loing. Il a fait le job, comme disent les Québécois.
Certes, je ne suis pas d’accord avec toutes les prises de position de Mélenchon, je trouve même, après avoir écrit ce livre, qu’il est trop consensuel, trop civil, trop urbain, trop parlementaire sans doute. Il me semble qu’il faut arrêter de balader les gens de manifestations en marches gentillettes. Il faut appeler à la grève générale, paralyser le pays comme en Mai 68, aller au bout de ce qui a été commencé depuis le 22 mars. Seul ce rapport de forces obligera le pouvoir à arrêter ses errances.
Mais je le crois capable de reconnaître ses erreurs et d’évoluer dans ses analyses. Il est capable de conduire le pays vers une nouvelle constitution. En 2018, nous célébrons aussi l’anniversaire de notre actuelle constitution. Soixante ans, c’est trop long. Les dérives monarchiques du Premier communiant et de sa Première cagole ne sont plus tolérables au « château ».
60 ans de constitution, ça suffit !
1 an de Macron, ça suffit aussi !
Jean-Luc Mélenchon est prêt et il a su s’entourer de gens compétents, plus soucieux du bien commun que de se remplir les poches.
Un détail, entre bien d’autres, me donne confiance en lui : il est le seul à avoir su gérer ce qu’il a gagné pendant sa carrière d’élu. Les autres ont bradé notre argent. Macron a gagné des fortunes et on ne sait pas ce qu’il en a fait. Mélenchon est le seul à qui je confierai les clés de la Maison France les yeux fermés. Lui saura gérer les ressources du pays en bon père de famille.
J’espère juste qu’il saura se débarrasser des ors et pompes de la République qui semblent rendre fous tous ceux qui les touchent !
C’est la première fois de ma vie que je me sens concernée par un mouvement politique, La France Insoumise, au beau symbole phi, parce qu’il est humaniste, écologiste et pacifiste.
Je m’y sens bien, comme chez moi, parce qu’il propose le monde que j’ai tenté de construire à mon simple niveau, en militant au quotidien par de petits gestes.
Jusque-là, j’avais le sentiment de ne pas exister pour les gouvernants. Je vivais avec la moitié du seuil de pauvreté. J’étais invisible. Jamais je n’avais l’impression qu’on s’adressait à moi. Mais je vivais bien dans ma propre bulle et je me satisfaisais de ce que j’avais, trouvant l’harmonie dans mes actions quotidiennes.
Depuis la campagne de 2016-2017, j’ai retrouvé en plus ma dignité de femme pensante et responsable. Chaque discours de Jean-Luc Mélenchon fait appel au don du meilleur de soi-même pour contribuer au progrès commun. À moi, il transmet la force de faire ce que je connais le mieux : écrire.
J’écris en liberté, délivrée des contraintes de l’édition traditionnelle.
J’écris pour aider mes camarades francophones à utiliser le logiciel anglais Scrivener pour leurs écritures. Nous construisons la communauté d’écriture dont je rêvais en lisant Kerouac autrefois.
J’écris pour transmettre mon témoignage éclairé sur les décennies qui passent pour en tirer la substantifique moelle rabelaisienne et aider à prendre conscience des évolutions en évitant les régressions.
Or, nous sommes en pleine régression. Le Premier communiant qui prétend diriger la France nous fait revivre dans les années 50. À l’éclairage des événements de Mai 68, il est temps que Mai 2018 arrive !
Le 22 mars 2018 a été une réussite
Les premières manifestations du printemps 2018 ont commencé le 22 mars 2018. Elles ont vu plus de cheveux d’argent que jamais. Les soixante-huitards sont de nouveau dans la rue. Le sursaut s’accomplit après la sidération des premiers mois de magistrature macronienne.
Mais les médias pervertissent intentionnellement les messages. Les sujets sur les manifestations ont été occultés par la mise en examen d’un ancien Président de la République la veille et par un attentat terroriste le lendemain.
De quoi détourner l’intérêt médiatique des manifestations.
De quoi penser aussi que tout est téléguidé, orchestré, scénarisé, pour faire accepter par le peuple des projets liberticides.
Ne croyons pas que les lois sécuritaires antiterroristes nous protègent. Bien au contraire, elles peuvent s’appliquer à chacun et chacune d’entre nous, même quand nous n’avons encore rien fait !
La protection policière n’a pas empêché l’assassinat de Cabu et Wolinski, nos grands-frères dessinateurs qui nous ont élevés au fil des décennies, à Hara-Kiri d’abord, Charlie Hebdo ensuite. Aucune protection ne les a empêchés de mourir dans un bain de sang avec leurs gardes du corps. Depuis leur mort et celle de leurs camarades, la peur est tombée de mon corps et de mon esprit.
Ce n’est pas en mettant la police partout que nous sommes protégés. Bien au contraire, cet attentat a été le prétexte pour renforcer les lois d’état d’urgence désormais inscrites dans le droit commun, des lois liberticides qui s’appliquent plus contre les militants que contre les terroristes. Car à voir les atrocités qui sont arrivées ensuite le soir du Bataclan à Paris ou le jour du 14 juillet à Nice, il n’est pas évident que le pays ait été protégé par la perte de nos libertés. Attiser la peur de l’autre permet à l’État d’asseoir son pouvoir de dictature.
Je suis d’un naturel optimiste, mais le manque de déontologie de l’État et la collusion des médias au mépris de la séparation des pouvoirs me rendent suspicieuse, méfiante et critique. Je ne crois plus aucune version officielle.
Aussi je ne regarde plus les médias traditionnels, je fais ma revue de presse quotidienne par les abonnements à des citoyens qui me donnent à voir en direct ce qui se passe réellement.
Je partage sur Twitter et Facebook beaucoup de vidéos prises sur le vif. Je vois des vidéos qui n’ont pas été modifiées, pas montées, pas tronquées. Je les vois en entier. Comme je me lève très tôt en pleine nuit, je vois des choses qui parfois sont complètement modifiées ensuite dans la journée quand les médias en parlent.
Mes amies qui regardent encore la télé n’ont aucune idée de ce que je vois et apprends tous les jours. Elles me disent souvent : « Mais ils n’en ont pas parlé à la télé ! » ou « France Inter n’a rien dit de ça, au contraire, etc. ».
Le fossé de la communication s’est creusé, mais les outils technologiques nous permettent de transmettre la réalité. J’essaie de contrer les versions médiatiques et officielles, à ma mesure, je fais la part à ma portée. La part du colibri. Mon éthique me l’impose. C’est un devoir de rétablir la vérité. Ce qui est juste est juste, rien d’autre ne compte.
Heureusement, rien n’est jamais perdu
Aucun expert, aucun spécialiste, aucun politique n’avait prévu les deux événements qui ont marqué le plus ma vie en soixante-douze ans au moment où j’écris ces lignes : Mai 68 et l’Internet. Je viens de parler de Mai 68 et de son importance. Je prévois un autre ouvrage sur l’impact de l’Internet dans nos vies.
Aucun professeur n’avait enseigné l’Internet à ses élèves. La société s’est adaptée et a évolué sous l’effet des pionniers et des avant-gardes, des gens comme moi et tous ceux qui ont cru en ce nouveau vecteur de communication. Pourtant, les médias nous faisaient croire que c’était un gadget, puisqu’en France nous avions le Minitel. Certes, mais l’Internet était plus ouvert.
J’ai été traitée de folle quand j’en ai parlé en 1995. J’ai laissé dire et je me suis organisée pour y accéder, avec mes petits moyens bien gérés. Et j’avais raison. Certains se sont excusés plus tard de ne pas m’avoir crue.
Toute ma vie, j’ai affronté des conditions matérielles difficiles, parfois extrêmes, sans solution apparente. Si j’avais dû attendre d’avoir devant moi les budgets nécessaires à ma survie, je me serais découragée. J’ai survécu, j’ai avancé un pas après l’autre en gardant mes projets en tête et j’ai pu accéder à la vie dont j’avais toujours rêvé. En vivant à mon rythme, j’ai même récupéré ma santé et je suis en meilleure forme que je ne l’étais il y a cinquante ans.
Tout est possible à qui reste de bonne volonté.
Les ressentiments sont des pertes de temps.
Restaurons l’harmonie en nous et le reste suivra.
Mon message sera sans doute naïf pour beaucoup. Mais mon expérience étaye mes théories. J’ai vu des gens pleurer d’avance sur des problèmes qui n’arriveraient jamais, pleurer avant d’avoir mal et ne jamais oser vivre leur vie. On ne peut pas tout prévoir dans la vie. Mais on peut faire confiance aux forces essentielles pour nous aider à trouver les bonnes solutions en nous. Quand les problèmes arrivent, il est temps de bander nos arcs pour tirer les flèches au centre de la cible.
Le reste est gaspillage d’énergie, perte de temps et d’argent.
Faire confiance à la vie.
Donner le meilleur de soi-même.
Partager son savoir et ses ressources avec les autres.
Rester solidaires.
Ne pas laisser quelques-uns vampiriser le plus grand nombre.
Rester vigilant sur les Libertés publiques !
Gaelle Kermen,
Kerantorec, écrit en avril 2018, publié sur ce blog le 20 janvier 2019
Extrait de Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne, disponible en tous formats numérique et sur broché en impression à la demande (deux formats : normal et grands caractères)
Gaelle Kermen est l’auteur des guides pratiques Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, Windows, iOS et Scrivener 3, publiés sur toutes les plateformes numériques.
L’élection présidentielle nous obligeait à voter Emmanuel Macron pour faire barrage à l’extrême droite incarnée par Marine le Pen. Quiconque osait ne pas l’affirmer était rejeté dans les bas-fonds, balayé vers les caniveaux, moqué, vilipendé, ostracisé, nié.
Un an plus tard, je suis convaincue que Marine le Pen n’aurait pas pu faire pire. Elle avait le mérite d’avancer à visage découvert. Nous connaissions l’ennemi. Le président des très riches a avancé masqué, il a toujours eu un discours biaisé, truqué et déloyal vis-à-vis du peuple piégé. Un peuple, abruti par des médias vendus au capital, mais quand même subventionnés par l’argent public, a été convaincu de voter pour le Premier communiant au motif qu’il fallait empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.
Comme je ne me laisse pas influencer par les organes de presse officiels, je n’ai pas suivi cette analyse fallacieuse. J’ai donc voté deux fois pour Jean-Luc Mélenchon aux deux tours de l’élection présidentielle. J’avais gardé son bulletin de premier tour. Je savais que mon bulletin serait nul, mais je serais au moins en paix avec ma conscience, la seule à qui j’ai des comptes à rendre.
Quand je vois les horreurs perpétrées au quotidien par un président illégitime, je me réjouis de n’avoir pas voté pour lui. Et si Mélenchon m’avait demandé de voter pour Macron, je serais moins laudative que je ne le suis en ce moment.
Pour empêcher un mal possible, on nous a imposé un mal abusif. Les médias ne sont plus fiables. Les valeurs de l’État ne sont plus garanties. Il est temps de réagir.
France, réveille-toi, le vieux Monde est derrière toi !
La diversité est une richesse
Qui connaît un peu l’Histoire sait que la France s’est construite sur l’immigration. Le monde s’est construit sur l’immigration. L’humanité s’est construite sur l’immigration.
Le repli sur soi est solution temporaire de survie, mais à terme assurance de sclérose et de mort. Sans diversité, un milieu s’appauvrit et finit par disparaître.
En rejetant nos semblables, nous nous condamnons à mourir. En les acceptant, en les accueillant, en les protégeant, c’est nous-mêmes que nous secourons. La diversité est la richesse du genre humain comme des règnes animaux ou végétaux.
Je viens d’une famille nombreuse. Mon père gagnait peu d’argent, 600 francs selon mes souvenirs avant Mai 68, petit employé de surveillance à la librairie Hachette et aux Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, il en gagnait plus de 1 000 francs après les accords de Grenelle. Rien que pour ce changement de niveau de vie matérielle, je peux témoigner que Mai 68 a été une avancée sociale majeure dans l’Histoire de la France.
Mais l’argent n’était pas le principe premier de la famille. Maman disait quand nous amenions des amis et amies à la maison : « Quand il y en a pour quatre, il y en a pour cinq ! Quand il y en a pour huit, il y en a pour dix ! »
J’ai retenu la leçon. Le partage est toujours plus que la somme de ce qu’on croit posséder. Le partage est source de richesse et non d’appauvrissement.
Voir la vie à l’aune de la mathématique est se limiter avec aigreur.
Partager le peu qu’on a est un bonheur sans frontière.
Le sinistre de l’Intérieur calcule que l’afflux des migrants représente la valeur d’une ville chaque année.
Je doute que ses calculs soient valables. La vie humaine ne se résume pas à des calculs économiques. Elle est plus généreuse que la stricte comptabilité, qui ne fait que mesurer des moyens matériels au mépris des formidables forces spirituelles qui peuvent se libérer si on ne bloque pas les flux d’énergie.
On ne calcule pas ce qu’on partage. Et on trouve ce qu’il faut pour nourrir ses proches et ceux qui en ont besoin. Quel que soit le niveau de revenus, on peut se débrouiller.
Comment rejeter nos semblables ? Nous sommes frères et sœurs d’une même planète. Nous ne sommes pas obligés de vivre tous ensemble, toujours, mais nous pouvons au moins respecter les autres pour nous respecter nous-mêmes. C’est une garantie de survie.
Il s’agit de remettre l’imagination au pouvoir, car laisser les technocrates et les oligarches s’en occuper, c’est aller au casse-pipe comme en Grèce. Si nous laissons la situation actuelle aller au bout de sa logique, nous allons vivre comme les Grecs dans très peu de temps.
Honte à celles et ceux qui nous gouvernent en prétextant le contraire.
Mais cela ne peut pas se prolonger indéfiniment. Un jour, il faudra rendre des comptes.
Quand une situation est mauvaise Il faut la changer
J’ai l’impression d’être encore dans les années 1950 quand j’entrevois ce président cinquante ans après les événements de Mai 68. Nous avions l’histoire derrière nous avec le Général De Gaulle. Il incarnait encore la Libération du pays et, même si dix ans de pouvoir suffisaient, nous gardions du respect pour l’homme qui incarnait l’État en une majesté bien comprise.
Là, quel respect pouvons-nous avoir devant le Premier communiant des années 50 ?
Lui qui dit des énormités injurieuses à chaque intervention non écrite par une plume négrière.
Lui qui croit faire des bons mots sur le dos des Comoriens, des gens qui ne sont rien, des ouvrières illettrées, des fainéants ou des envieux.
Lui qui semble chaque fois si satisfait de lui-même qu’il en devient stupide.
Que va devenir notre pays en de si mauvaises mains ?
Les forces de l’ordre, que l’on voit partout désormais, vont-elles longtemps continuer d’appliquer des ordres odieux contre les étudiants ou les zadistes ?
Un État qui traite si mal sa jeunesse perd le peu de légitimité qu’elle semblait avoir.
Quel crédit pouvons-nous accorder à un président aux dents longues qui parle d’optimisation fiscale quand on l’interroge sur la fraude et l’évasion des capitaux ? Quel respect accorder à quelqu’un qui a toujours trahi, ses amis comme ses propres engagements ?
Quand une situation est mauvaise, il faut la changer.
En Mai 68, il semble que les forces de l’ordre aient résisté aux ordres, dans l’armée et la police. On a évité des drames.
En mai 18, que les forces de l’ordre se réveillent ! Il est temps de tout arrêter. On peut s’étonner qu’il y ait un tel budget pour les équipements des forces de l’ordre quand il n’y en a pas assez pour les hôpitaux ou les maisons de retraite. Quand on dira aux policiers, qui attaquent les universités, les gares et les ZAD, qu’il n’y a plus d’argent pour payer leurs primes, peut-être même pour payer leurs salaires, ou garder leur statut spécial, j’espère qu’il se réveilleront ! On entend déjà des grondements.
Insoumission et résistance doivent être les maîtres-mots pour nous sortir de cette situation qui va être dramatique si on continue sur cette lancée.
Comme disait Gébé dans L’an 01 : « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ! »
En Mai 68, les jeunes se sont rebellés. Les ouvriers ont suivi. Les syndicats ont négocié. Les salaires ont augmenté. Une quatrième semaine de congés payés a été accordée. La vie a changé. Les relations humaines se sont modifiées.
Un slogan des manifestations du printemps 2018 est : « Quand tout sera privé, nous serons privés de tout. »
À quoi servira l’État quand tout aura été privatisé ?
Quand tout sera privé, sera-t-il possible à un dictateur d’acheter aussi l’État pour le privatiser ?
C’est l’autoroute que nous lui déroulons, si nous laissons faire ces privatisations généralisées de nos services publics.
Il faut se battre contre les iniquités de ce nouveau régime monarchique.
Le général De Gaulle, avant d’être le sauveur de la France, avait été hors-la-loi sous le régime de collaboration du maréchal Pétain. Ce fut le cas de Nelson Mandela et d’autres combattants des luttes pour leurs pays.
Ne l’oublions jamais : avant d’être légitime, il faut parfois résister au pouvoir en place. Il est temps de se réveiller de ce cauchemar.
Vive Mai 2018 !
Élément déclencheur : l’intervention des CRS dans l’Université
Pour qu’il y ait révolution, il faut un élément déclencheur.
Les violences policières ont été l’élément déclencheur des événements de Mai 68. Elles ont choqué tout le monde, les voisins des quartiers des barricades, les ouvriers dans les usines, tout le monde s’est senti concerné et tout le monde a réfléchi à ses conditions de travail et de vie.
La grève générale a été suivie par dix millions de salariés qui ont réussi à faire plier le régime, à le faire asseoir à une table pour obtenir des acquis sociaux sur lesquels le Premier communiant des années 50 entend revenir par ordonnances et pressions multiples dans tous les secteurs d’activité.
Lorsque je me suis inscrite à la fac de droit d’Assas en octobre 1964, la documentation jointe à mon carnet universitaire expliquait que seul le doyen de l’Université pouvait faire entrer les forces de l’ordre dans les bâtiments.
J’avais été surprise qu’on envisage de faire entrer la police à la fac.
Pour nous, ce n’était pas envisageable. L’Université et l’Église étaient des zones protégées, des asiles de sécurité.
Aussi, à Nanterre en janvier 68, les étudiants sont-ils devenus « enragés » quand ils ont vu entrer des CRS dans l’Université.
L’occupation de la tour s’est organisée spontanément le 22 mars à cause de la mobilisation policière impressionnante dans les locaux.
Plus tard, le doyen Grappin ferme l’université le 2 mai.
Le 3 mai, rendez-vous est donné à la Sorbonne, pour une Assemblée Générale.
Le doyen appelle encore les forces de l’ordre. Et tout explose ! Plus rien n’est maîtrisé. Rien n’avait été prévu par les dirigeants étudiants. Tout est spontané.
Comme à Nanterre en janvier, à l’entrée des CRS une manifestation spontanée se déclenche près de la Sorbonne, appuyée par les lycéens qui sortaient du lycée voisin, Louis le Grand.
Le soutien de la population locale confirme la thèse guévariste de la guerre de guérilla.
La femme du proviseur de Louis-le-Grand me le racontera l’été 69 lors du mariage d’une amie d’enfance au Pouldu, dont j’avais créé la robe. Ils avaient rouvert les grilles pour faire entrer les manifestants.
En 1973, lors d’une retraite d’écriture dans une abbaye savoyarde, une nonne de la Congrégation religieuse non loin du Pot de fer me racontera la nuit du 10 mai dans le quartier autour de la rue Gay-Lussac, lorsque les portes de la chapelle avaient été ouvertes pour que les étudiants puissent se mettre à l’abri des violences policières. Ils avaient respecté l’office des matines des moniales.
Les deux militants du Comité d’Occupation de la Sorbonne, Rabinovitch et Bablon, précisent bien qu’ils n’ont pas supporté de voir la police à la Sorbonne ! Certes, ils étaient engagés dans le militantisme depuis la guerre d’Algérie, mais cette vision leur était intolérable. Les CRS à la fac étaient le symbole de l’oppression. On ne pouvait l’accepter.
Le problème au printemps 2018 est que les violences policières sont devenues la norme quotidienne et que la population est en état de sidération. Que certains trouvent cela normal me choque encore plus ; cela veut dire qu’on s’habitue à l’anormalité des comportements, chemin rapide vers une dictature acceptée, vers une servitude volontaire.
Chaque jour, je visionne en direct les vidéos tournées par une jeune zadiste courageuse, Armelle Borel, juriste, qui nous montrent et nous expliquent le quotidien de l’occupation policière du bocage. Je suis scandalisée. Mais certaines personnes trouvent cet état de fait normal !
Non, cela ne peut pas être normal.
Victor Hugo déclarait à l’Assemblée législative en avril 1851 après le coup d’État du petit Napoléon : « Ce gouvernement, je le décris d’un mot : la police partout, la justice nulle part ! »
C’est devenu un slogan de Mai 2018 : « Police partout, Justice nulle part. »
On en est au même point. Nous avons un petit Napoléon, qui, souffrant d’un complexe d’impuissance, ne peut s’imposer qu’en faisant appel à des forces policières.
Pour en finir avec Mai 68 ? Le réussir en 2018 !
Dans le Gardian, journal de la presse anglaise qui n’est pas à la solde du pouvoir français comme le sont les organismes de presse en France, je vois une équation :
Fillon + Le Pen = Macron
On voulait éviter les deux premiers.
On a les trois pour le prix d’un.
Mai 68 n’était qu’une crise adolescente, la maladie infantile du capitalisme. Maintenant que le néo-libéralisme nous étrangle, il est temps de tirer les leçons de l’histoire.
Je suis étonnée qu’il n’y ait pas plus de débordements dans les manifestations.
Je suis surprise qu’il n’y ait pas encore d’émeutes.
On ne peut imaginer notre pays supporter un tel rouleau compresseur pendant plusieurs années.
Tenir bon.
Oui, pour en finir avec Mai 68, il faut le réussir en 2018 !
Gaelle Kermen,
Kerantorec, écrit en avril 2018, publié sur ce blog le 20 janvier 2019
Extrait de Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne, disponible en tous formats numérique et sur broché en impression à la demande (deux formats : normal et grands caractères)
*** Gaelle Kermen est l’auteur des guides pratiques Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, Windows, iOS et Scrivener 3, publiés sur toutes les plateformes numériques.
50 ans plus tard, comment se reconnaître dans Daniel Cohn-Bendit ou Romain Goupil, devenus des soutiens d’Emmanuel Macron, qui ne sera jamais mon Président ? Son apparente innocence ne m’a pas abusée et mon intuition ne m’a jamais trompée.
La dernière Une du Libération sorti le samedi matin, la veille du premier tour, alors que la campagne était terminée depuis minuit, nous donnait une injonction : « Faites ce que vous voulez, mais votez Macron »
Cette Une de Libé à elle seule discrédite la légitimité du résultat.
Personnellement, il m’était impossible de me laisser dicter un choix de vote. Par essence, on n’est plus en démocratie quand un vote est imposé à une population.
Le samedi après-midi, toujours en dehors de la campagne électorale, les contribuables gagnant plus de 2 500 euros ont été contactés par téléphone avec un message de Macron les invitant à voter pour lui. C’était le cas de l’amie romancière qui était avec moi le jour du vote. Rien que ce message aurait dû invalider l’élection présidentielle. Surtout si l’on peut supposer que le ministre de l’Économie Macron avait utilisé les ressources de son cabinet pour préparer sa campagne présidentielle, autre cause d’invalidation de l’élection, avec bien d’autres exactions pour l’instant couvertes par les différents organismes officiels. Le régime actuel aura des comptes à rendre et ils seront sévères.
Lors du résultat du premier tour, nous étions devant l’écran de mon ordinateur sur une chaîne publique lorsque nous avons vu le Premier communiant des années 50 prendre le pouvoir en direct. Nous n’oublierons pas de sitôt le regard qu’il a lancé. Son regard de serpent basilic, menaçant, balayant la salle, n’augurait rien de bon.
Quinze jours plus tard, nous étions encore ensemble quand le résultat lui donnait 64% des voix après le calcul réducteur ne tenant pas compte des douze millions d’abstentions ni des six millions de votes blancs ou nuls. En fait, le président était élu par 17% de la population votante, loin du résultat final publié, lui ôtant toute légitimité pour un futur programme. Surtout quand on calcule que le total des abstentions et des votes blancs ou nuls était plus élevé que les votes Macron !
Nous venions donc d’apprendre qu’il était élu avec 64 % des voix. Soudain, l’homme s’est figé. Sous nos yeux, il s’est transfiguré en commençant son allocution. On aurait dit un robot débitant un discours d’automate. Il venait de se transformer en une poupée Barbie, disons Ken, dont la voix aurait été enregistrée sur cassette.
Que se passait-il ? Nous nous regardions.
Soudain, j’ai compris. Le Premier communiant des années 50 lisait son texte sur un prompteur.
Comment faire confiance à quelqu’un qui a besoin d’une plume pour écrire ses discours ? On est loin d’un général De Gaulle ou d’un Mitterrand depuis que les politiques ont besoin de plumes ou de nègres comme on disait avant.
Et là, j’ai regretté Mélenchon et ses magnifiques discours salvateurs, rafraîchissants comme des eaux vives, que j’avais suivis pendant toute la campagne présidentielle avec passion. Ah ! qu’il aurait été beau le premier discours de Mélenchon, élu Président ! Lui n’a pas besoin qu’on lui écrive son texte sur un prompteur pour avoir des idées. Lui sait galvaniser son public. Lui sait parler à nos cœurs fatigués et réveiller le meilleur de nous-mêmes.
Le meilleur de moi-même, il me l’a fait comprendre au fil de la campagne et il continue à le révéler avec ses camarades de la France insoumise à l’Assemblée nationale enfin sortie de sa torpeur acceptée. Le meilleur de moi-même, c’est l’écriture et je la révèle enfin après soixante-dix ans. Grâce à Mélenchon !
Les élections sont illégitimes. Je ne croirai jamais qu’un candidat qui n’avait pas de programme et ne remplissait pas ses salles à plus de trois ou quatre milliers de participants puisse avoir remporté plus de suffrages qu’un candidat dont le programme était prêt depuis des mois (L’Avenir encommun) et dont nous suivions les discours avec enthousiasme dans des salles archi pleines, sur Facebook et YouTube à plusieurs centaines de milliers de vues.
Les médias ont justifié le vote de Macron par le risque lepeniste d’extrême droite. Ils l’ont fait en manipulant l’opinion de la façon la plus basse possible.
Autrefois, en fac de droit, on nous disait qu’il suffisait de lire le journal Le Monde tous les jours pour avoir nos examens. Ce ne doit plus être le cas. Même Le Monde a baissé en qualité et surtout en neutralité. Quant à Libération créé après Mai 68, il est devenu la propriété d’organes de presse achetés par des milliardaires, qui assoient ainsi leur pouvoir, mais ne sont pas là pour informer le peuple. La presse traditionnelle n’est plus fiable et c’est un drame pour la démocratie.
On ne crée le buzz sur les réseaux qu’en commentant des phrases sorties de leur contexte et leur faisant dire toute autre chose. Les journalistes, ou plutôt les animateurs, ont passé leur temps à imposer une pensée unique, peu démocratique : il fallait élire Macron pour barrer la route à Marine le Pen.
Un an plus tard, on voit où cela nous a menés. La situation est bien pire que celle que Marine le Pen aurait pu mettre en pratique. En prime, nous avons Fillon ! Au secours !
Nous avons laissé se recomposer le système des castes du régime hindouiste ou de l’ancien régime. Pour quelques brahmanes protégés, nous sommes devenus des millions d’intouchables. Pour quelques seigneurs, nous sommes redevenus des serfs corvéables à merci. Il est temps de refaire la Révolution !
Je suis effrayée par la violence ambiante
Lors de la campagne présidentielle de 2017, la violence des médias s’est révélée d’une cruauté terrible envers Mélenchon. J’ai vu des déferlements de haine se propager par des scènes médiatiques relayées sur Twitter et Facebook, mes sources d’information principales, qui ne me donnaient pas envie de passer mon temps devant les émissions télévisées concernées. Après en avoir regardé quelques-unes en direct, je suis sortie de là dégoûtée, nauséeuse et inquiète pour l’équilibre de Mélenchon.
Je ne faisais jamais la même interprétation des discours de Mélenchon que les « experts » médiatiques. J’avais l’avantage de les regarder intégralement, je ne me contentais pas d’extraits sortis du contexte pour trouver la petite phrase qui fait le buzz. Je n’échangeais pas des brèves de comptoir au Café du commerce.
Lors de la campagne présidentielle de Mélenchon, j’écoutais tous ses discours, j’organisais mes emplois du temps en fonction de ses déplacements, puis je partageais mon enthousiasme avec quelques personnes et quelques groupes. Je me sentais de nouveau de quelque part. Je reprenais confiance en la Res Publica. Enfin ! Après des décennies de décalage avec un monde où je devenais une autiste sociale, je retrouvais enfin ma dignité de femme pensante.
Ses discours, traitant chaque fois d’une thématique, mériteraient le prix Nobel de Littérature. Maintenant que mon cher Bob Dylan, que j’appelais déjà en 1966 le « Shakespeare de notre époque », a obtenu ce prix ultime, je me prends à rêver que Mélenchon l’obtienne à son tour. Winston Churchill l’a eu pour ses discours de guerre, Mélenchon peut y prétendre pour ses discours de campagne.
La violence qui s’abat sur lui en déformant ses propos est indigne. Chaque insulte faite à Mélenchon m’atteint et me blesse personnellement. Je suis malheureuse pour lui. J’espère qu’il n’est pas seul et qu’on prend soin de lui. Sa personne m’est précieuse comme le serait celle de mon papa s’il était encore là. Et comme mon papa n’est plus là, je fais en toute conscience un transfert sur Mélenchon. Même s’il a l’âge de mon petit frère Philibert ! Parce qu’il a la culture et la pédagogie qu’avait mon père et que l’écoute de ses discours a comblé un grand vide.
Je préfère être rêveuse que venimeuse
Ça pourrait m’être un slogan.
Plutôt naïve et rêveuse qu’aigrie et venimeuse.
Je ne regarde plus la télé depuis 1996, en fait depuis que je suis sur Internet. Mais il m’arrive sur Twitter ou Facebook de voir des « morceaux choisis » de ce monde vociférant et haineux.
Je sens que Mai 68 va encore faire débat cette année. Et cela pourrait m’empêcher de finir ce livre, tant j’ai horreur de la polémique et des insultes basses par petites phrases interposées, relayées par médias ou réseaux.
Mais une visiteuse m’a rappelé récemment que mes cahiers donnaient bien l’ambiance des époques traversées, qu’on avait besoin de replacer les choses vécues dans leur contexte et qu’elle, avec d’autres, attendait la suite de mes écrits des cinq dernières décennies.
Alors, je fais ce travail. Je ne vais pas laisser la parole aux grandes gueules des anciens gauchistes devenus macronistes. Je préfère être restée une rêveuse de Mai qu’être devenue une venimeuse de Mai, comme le sont devenus les leaders historiques qui ne nous représentent plus, comme le sont les censeurs du clavier sur l’Internet qui se sentent impunis, comme le sont les experts médiatiques qui se croient tout permis.
Les hontes de la République
En un an de règne quasi monarchique, puisque la séparation des pouvoirs n’existe plus, alors que c’est le fondement même de notre république, la situation est devenue inhumaine partout et dans tous les domaines que l’on croyait auparavant garantis par l’état.
Dans les maisons de retraite, qu’on appelle maintenant Ehpad (Établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes) et dans les Hôpitaux, les moyens manquent depuis qu’on privilégie les résultats économiques au détriment des résultats humains.
Les retraités qui ont travaillé et cotisé toute leur vie dans des conditions difficiles doivent encore se priver alors qu’ils ont fait de longues semaines de travail. Les 40 heures de travail sont un des acquis de Mai 68 demandées depuis le Front populaire de 1936. Avant, on travaillait 48 heures et on n’avait pas de congés payés.
Le Droit du travail, bien dégradé depuis Sarkozy, a volé en éclat depuis l’élection du Premier communiant des années 50.
Toutes les garanties sur lesquelles nous pouvions compter depuis la fin de la guerre, grâce au Conseil National de la Résistance, sont remises en question, celles qui nous donnaient confiance en l’avenir, celles qui faisaient rayonner la France dans le monde entier, par les droits de l’homme et du citoyen hérités des philosophes des Lumières, mis en déclaration et en œuvre par la Révolution française. Toutes les garanties de base de notre vie sont foulées au pied, méprisées, au profit de la rentabilité économique et de la concurrence.
L’inhumanité envers les migrants comme envers les familles sans domicile fixe m’a souvent empêchée de dormir cet hiver, alors même que je pouvais, après des années matériellement difficiles, enfin me réjouir de quelque confort dans ma vie ou simplement du bonheur d’être à l’abri quelque part. Penser aux gens sous les tentes me réveillait la nuit.
La précarité s’est généralisée. Ce régime s’attaque aux plus fragiles pour conforter les plus forts. « Prendre aux pauvres pour donner aux riches » est la devise d’un Robin des bourges, selon un des slogans de 2018.
Combien de temps allons-nous endurer cet état de fait ?
Gaelle Kermen
Kerantorec, écrit en avril 2018, publié sur ce blog le 20 janvier 2019
Extrait de Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne, disponible en tous formats numérique et sur broché en impression à la demande (deux formats : normal et grands caractères)
*** Gaelle Kermen est l’auteur des guides pratiques Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, Windows, iOS et Scrivener 3, publiés sur toutes les plateformes numériques.
Comprendre le passé. Apprécier le présent. Préparer le futur.
Lorsque j’ai écrit Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de La Sorbonne, je voulais comprendre ce qui faisait que nous en parlions encore 50 ans plus tard. Dans mon bilan de 2018, j’espérais que le peuple se soulève. Le mouvement historique comme celui des Gilets jaunes va au-delà de mes rêves et j’apprécie le présent. Je publie ici les derniers chapitres du livre qui donnait des pistes de réflexion pour préparer le futur.
Chapitres extraits de la fin du livre écrit au printemps 2018 Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne
Avant Mai 68 le mouvement hippie
Avant Mai 68, le mouvement hippie avait déjà changé les mœurs en apportant un début de liberté sexuelle. La pilule circulait déjà en 1967 et permettait à certaines d’entre nous de ne pas subir de grossesses non désirées. J’étais dans ce cas de figure comme mes amies, mais il faudra encore plusieurs années de combats pour arriver au vote de la loi Weil sur la possibilité d’avorter pour toutes et pour que la contraception soit remboursée par la Sécurité Sociale.
Mai 68 n’a pas créé le mouvement de libération des mœurs, il l’a accompagné.
Les féministes faisaient un travail important, les écrits de Kate Millett ou de German Greer ont fait boule de neige jusqu’au mouvement du MLF (Mouvement de Libération des Femmes) dont j’ai vu les premières manifestations à l’université de Vincennes au début des années 70.
Le mouvement hippie n’était pas politisé comme l’étaient les nombreux groupuscules qui se sont rués dans les manifestations de Mai 68 et auxquels j’avoue ne pas avoir compris grand-chose.
Je reste une hippie. Si je dois avoir une étiquette, ce serait encore celle-là. Ma protestation se fait par ma vie simple. L’exemple me semble toujours préférable aux grandes leçons de morale.
Sur le féminisme en 68
Au fil des années, la référence à Mai 68 est devenue caricaturale et réductrice.
On voudrait en faire une crise adolescente de libération sexuelle. Je n’ai trouvé aucune référence dans mes notes ou documents à ce sujet. La visite à la piscine de Nanterre du ministre François Misoffe apostrophé par Daniel Cohn-Bendit est pourtant mise en avant dans les documentaires qui sortent cinquante ans plus tard.
En relisant mes textes, je vois quelques images du machisme ordinaire qui régnait encore à la Sorbonne en mai et juin 1968 :
• Les filles font les tâches subalternes.
• Les hommes prennent la parole.
• Les filles prennent des notes, tapent à la machine.
• Je repasse la combinaison de plâtrier de mon mec avant les manifs.
La libération des mœurs était déjà avancée. Les jupes des femmes avaient raccourci depuis le début des années 60, sous l’influence de Mary Qwant à Londres en Prêt-à-porter et d’André Courrèges à Paris en Haute-Couture.
On voudrait en faire une libération des femmes. Or dans la réunion du comité d’occupation que j’ai suivie, je n’ai noté qu’une seule femme : Marie-Pierre qui s’occupe de la presse.
On savait que la crèche de la Sorbonne avait été créée par une femme, Françoise Lenoble-Pradines qui avait pu appliquer ses idées dans le ministère de Georgina Dufoy sous Mitterrand en 1981.
Mais, l’an dernier en 2017, Clémentine Autain, députée de la France Insoumise, a dû réclamer une crèche à l’Assemblée Nationale, restée dans ses ors machistes et empesés, sans grande liaison avec la réalité de la société.
Dans les documentaires sur les manifestations, que je regarde en 2018, on voit peu de militantes. Les filles sont venues plus tard, comme je l’ai fait moi-même, seulement à la fin du mois de mai. On nous demandait surtout d’être des secrétaires ou d’œuvrer pour le repos du guerrier.
Si une réunion s’est faite dans un amphi de la Sorbonne sur la condition de la femme, je n’en ai pas entendu parler alors. La sociologue Évelyne Sullerot représentait le courant officiel des recherches sur le sujet.
Il a fallu l’influence du Women’s Lib pour permettre au Mouvement de Libération des Femmes (MLF) de se révéler plus tard à partir de 1971. Si le féminisme n’était pas d’actualité dans les préoccupations des militants politiques, les femmes ont pris elles-mêmes leur destin en main grâce au mouvement de Mai 68, au point de créer d’abord un mouvement non mixte pour ne pas fausser les relations de travail, tant étaient ancrées les notions de suprématie du mâle.
Mai 68 a surtout permis une libération de la parole entre les gens et entre les classes. La grève générale a fait craquer les structures sociales et permis aux différentes classes de se côtoyer.
Je me souviens avoir rencontré en haut du boulevard Saint-Michel, juste avant la manifestation du dimanche soir 26 mai, mon ami Petrus Cournot (c’était son quartier il est vrai, il habitait de l’autre côté du Luxembourg) et ses amis les vicomtes de Ganay qui eux venaient des beaux appartements de la Place des Vosges. Ils avaient des casques de chantier et se préparaient à jouer les secouristes.
Je me souviens avoir rencontré, dans le grand amphi de la Sorbonne où la discussion était permanente, Kiki Féraud et des amis venus des beaux quartiers s’encanailler à la Sorbonne libérée.
Dehors, dedans, dans un brouhaha généreux et joyeux, tout le monde parlait, osait discuter de sujets qu’on n’aurait jamais osé évoquer auparavant.
Rien que pour ça, Mai 68, on en parle encore, cinquante ans plus tard !
Après Mai 68 les luttes
Après Mai 68, j’avais eu besoin de comprendre le nouveau monde et les nouvelles idées qui bouleversaient la société en profondeur. Inscrite d’abord en septembre 68 à la fac de Nantes en sociologie, je suis revenue à Paris quand le nouveau Centre Universitaire Expérimental s’est créé sur terrain militaire dans le bois de Vincennes. J’avais suivi les cours de Maurice Duverger à la fac de droit d’Assas, ceux de Raymond Aron à la Sorbonne, j’avais besoin de travailler sur des matériaux plus politisés.
Les cours de Théorie marxiste me plongeaient dans des ouvrages comme celui de Lénine que je viens de rouvrir : LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE et le renégat Kautsky, V. I. Lénine, Éditions sociales, 2e trimestre 1953. Une citation cochée au crayon me tombe sous les yeux.
« L’impérialisme est le capitalisme arrivé à son stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier ; où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan ; où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du monde entre les plus grands pays capitalistes. »
Lénine a fait cette analyse en 1916, il y a plus d’un siècle.
Cinquante ans après Mai 68, j’ouvre au hasard un autre livre de ma bibliothèque politique : Malaise dans la civilisation, publié à Vienne en 1929, de Sigmund Freud. Je vois cette phrase soulignée.
« Quand une communauté humaine sent s’agiter en elle une poussée de liberté, cela peut répondre à un mouvement de révolte contre une injustice patente, devenir ainsi favorable à un nouveau progrès culturel et demeurer compatible avec lui. Mais cela peut -être aussi l’effet de la persistance d’un reste de l’individualisme indompté et former alors la base de tendances hostiles à la civilisation. La poussée de liberté se dirige de ce fait contre certaines formes ou certaines exigences culturelles, ou bien même contre la civilisation. »
Il me semble que l’esprit de Mai, tel que nous le vivions alors, tel que nous l’avons vécu ensuite, participait de la première partie de la citation. Mais depuis quelques années, depuis Sarkozy et sa mise en œuvre de décomplexion des riches, nous vivons sur la forme des tendances hostiles à la civilisation.
« Un bon nombre de luttes au sein de l’humanité se livrent et se concentrent autour d’une tâche unique : trouver un équilibre approprié, donc de nature à assurer le bonheur de tous, entre ces revendications de l’individu et les exigences culturelles de la collectivité. Et c’est l’un des problèmes dont dépend le destin de l’humanité que de savoir si cet équilibre est réalisable au moyen d’une certaine forme de civilisation, ou bien si au contraire ce conflit est insoluble. »
Pourquoi autant de temps s’est-il passé depuis qu’ont été écrites ces phrases ? Pourquoi n’avons-nous pas avancé ? Perdrions-nous notre temps à discutailler de points de détail sans avancer sur l’essentiel ? Nous bornerions-nous à stigmatiser l’inutile au lieu de mettre en œuvre le vital ?
Ou est-ce qu’au final il n’est plus utile d’écrire ni de lutter ? Devons-nous imiter Nikos Poulantzas, notre professeur de Théorie marxiste de la fac de Vincennes, qui, après avoir jeté ses propres livres et documents, s’est jeté lui-même dans le vide de la Tour Montparnasse, sous les yeux de son ami de toujours Constantin Tsoukalas, autre professeur grec, qui m’avait raconté leur adolescence et leur jeunesse à Athènes, leurs vacances au Mont-Athos (in Clandestine 70, un de mes cahiers en cours de publication).
L’histoire est racontée par un assistant de nos cours, Michael Löwy. Je la lis, bouleversée, au moment de finir ce livre.
Tsoukalas, connu en dehors de la fac, avait été un autre de mes mentors. Il m’avait appris à « devenir méditerranéenne », à ne plus être la « petite Bretonne angoissée » d’alors, à être dans le Carpe Diem, pour vivre chaque moment comme si c’était le dernier.
Je ne connais plus la peur pour moi-même depuis que j’ai failli mourir plusieurs fois.
J’ai appris de ces expériences hors-norme que la vie peut être très forte, là où nous avions cru être vulnérables.
Mon naturel est confiant et optimiste.
J’ai vu la Bretagne, polluée par les marées noires de 1976 et 1999 ou abattue par l’ouragan de 1987, reprendre vie.
Et quand je vois les manifestations du printemps 2018, je reprends confiance en la santé de la France.
Il me semble que les luttes du printemps 2018 sont de nature à reciviliser la société française.
On voit des cheminot(e)s et des étudiant(e)s lutter contre des projets qui ne les concernent pas directement, mais qui auront un impact sur la vie de celles et ceux qui viendront après eux. Ce ne sont pas pour des revendications strictement individualistes qu’ils et elles se battent, malgré les forces de police disproportionnées que le régime oligarchique leur oppose, c’est pour le bien commun.
Nous sommes tous et toutes concerné(e)s par les services publics, du transport, de l’éducation, de la santé, des impôts. Nous devons les soutenir pour ne pas mourir.
L’échec de Mai 68
C’était mieux avant ?
Pas sûr.
Les auteurs des siècles précédents, et même de l’antiquité, se plaignaient déjà de la décadence, du manque d’attention, de la baisse de qualité de l’éducation.
Le genre humain n’est jamais content.
C’est sans doute ce qui lui permet de progresser.
Mais comme nous le recommandait Casamayor, il faut rester vigilant, surtout sur nos Libertés publiques. Car d’elles dépendent notre intégrité, notre sécurité et notre dignité.
Si je devais incriminer une baisse de niveau, ce serait la télévision que je mettrais en première responsable : piètre niveau culturel, perte de l’activité personnelle, baisse des échanges, matraquage de l’information en continu, passivité sur canapé.
Je me rappelle avoir participé à une kermesse de l’école primaire de ma dernière fille née en 1988. Le livret de la pièce jouée était sur Mai 68 et la suite. Les enfants avaient choisi leurs personnages dans des clichés simplistes qui m’avaient alertée, même dans un divertissement. J’avais tenté d’en discuter avec les maîtresses et d’autres parents, mais j’étais complètement décalée par rapport à l’évolution des intérêts avant le passage à l’an 2000, donc avant que l’Internet entre dans les maisons.
J’étais sur Internet depuis 1995, j’avais d’autres sources d’information que la télévision.
Où je mettais Angela Davis, activiste des droits civiques, on m’opposait Michael Jackson, chanteur populaire. Un des personnages rêvait d’être riche comme lui. Un autre rêvait d’être footballeur pour être riche aussi. Une des filles voulait être mannequin parce que ça gagnait bien. Aucun enfant n’avait choisi de métier où l’on parlait, s’exprimait, écrivait, soignait, échangeait, faisait, construisait. Tous voulaient travailler dans le loisir ou les apparences. Aucun enfant n’avait envie de faire des études pour comprendre le monde, y participer et le faire progresser pour le bien commun. J’étais atterrée.
J’ai craint que la société du spectacle dénoncée par le situationniste Guy Debord avant Mai 68 soit là, terriblement là. Une société où les journalistes devenaient des animateurs devant faire le buzz pour être reconnus du plus grand nombre, les consommateurs.
Car la télévision avait servi de nounou et de baby-sitter à ces enfants de la fin des années 80.
J’avais déjà eu conscience de cet état de fait dès 1971, quand j’ai travaillé à France-Culture dans une émission de radio culturelle où le producteur me demandait d’être aussi impertinente et même agressive que l’était Yves Mourousi à la télévision le midi. Bien sûr, je n’étais pas faite pour ce genre de choses. J’ai préféré partir à la montagne ariégeoise que de participer à une dégradation de l’intellect. Au moins, au village, j’étais avec des gens que je pouvais respecter.
Mes vieilles voisines du Bosc m’apprenaient leur culture ancestrale et je leur rends grâce tous les jours encore de m’avoir tant appris après mes années d’université. J’avais été bien accueillie, alors que je débarquais de chez Féraud et de Vincennes. Pas vraiment la formation idéale pour une vie néo-rurale. Mais on disait que j’avais été institutrice. On ignorait mes diplômes universitaires, mais cette fonction républicaine respectable m’a donné tout de suite une place légitime au village. Lors des élections de 1974 et 1981, on venait me consulter pour savoir pour qui il fallait voter. Le village avait voté en grande majorité pour René Dumont et Brice Lalonde aux premiers tours. Aux seconds tours, c’était bien sûr pour François Mitterrand, on était dans un bastion socialiste par tradition.
Nos voisins communautaires des villages au-dessus inventaient une nouvelle vie issue de l’esprit de Mai, en autogestion, testant de nouveaux modes de comportement entrés plus tard dans nos mœurs, en alimentation, pédagogie, agriculture, culture. Ils tournaient le dos à des carrières sociales où ils auraient été bien rémunérés pour vivre selon d’autres critères que les références économiques ou matérielles.
C’est ce qu’ont fait les gens sur le Larzac et les zadistes à Notre-Dame-des-Landes que les gendarmes mobiles inondent encore, à la minute où j’écris, de grenades lacrymogènes polluantes pour le sol, détruisant la flore comme la faune et intoxiquant gravement une population qui n’agressait personne, mais entretenait bénévolement les terrains de zone à aménagement différé, parfois depuis les années 60.
Ce que j’ai vu vivre en Ariège après Mai 68 est devenu la norme dans de nombreux domaines en mai 2018. Les avant-gardes ont raison avant les autres. Elles devraient être protégées au lieu d’être éradiquées. On avait dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes de formidables laboratoires. En les détruisant, l’État perd des années d’expérimentations, détruit des innovations précieuses dont notre monde a un besoin urgent pour survivre.
Sans parler du terrible gaspillage d’argent qui se fait là alors qu’on supprime les postes et budgets pour les écoles, les lycées, les facultés, les hôpitaux, les maisons de retraite, les gares, les lignes de transport.
Sans parler de l’utilisation d’armes de guerre, dont une grenade vient d’arracher une main à un jeune étudiant en sociologie venu étudier de nouveaux comportements pour mieux gérer la planète sans la polluer. Effrayant ! Injustifiable !
Aucun régime démocratique ne peut légitimer une telle violence contre le peuple.
La France était considérée comme la patrie des droits de l’homme, c’était un phare pour la plupart des peuples de l’humanité.
En 2018, la solidarité, qui était un devoir humain, la solidarité est devenue un délit. Je répète, la solidarité qui était un devoir est devenue un délit.
Alors oui, si effectivement on en est là en 2018, Mai 68 a été un échec. Si on veut lui faire porter tous les maux, oui c’est sûr, Mai 68 est un échec. Un terrible échec.
Je crains le pire pour les manifestants actuels en butte à des violences policières bien plus graves que celles que nous avions l’habitude de voir dans notre quartier entre la rue Visconti à Saint-Germain-des-Prés, en bas du Boul’ Mich’, et la rue du Pot de fer à Mouffetard en haut du Boul’ Mich’.
Dans un documentaire sur Mai 68, j’avais entendu le petit-fils du général De Gaulle, Yves De Gaulle, raconter des conversations qu’il avait eues avec son grand-père. Il lui aurait dit : « Je n’ai pas utilisé la force contre les généraux putschistes, je ne vais pas l’utiliser contre des jeunes de l’âge de mon petit-fils. »
Le général savait ce que force veut dire. Il incarnait celle de la France. Le Premier communiant actuel n’en a aucune idée, il doit faire la preuve de ses compétences à gouverner et il ne sait qu’envoyer ses petits soldats « Playmobil » au combat.
Un combat perdu d’avance, car, s’il semble légal, il n’est pas légitime.
Gaelle Kermen, écrit au printemps 2018
Kerantorec, le 19 janvier 2019
À suivre : En 2018 50 ans de Mai 68 à Kerantorec
Chapitres extraits du livre écrit au printemps 2018 Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de La Sorbonne
Comprendre le passé. Apprécier le présent. Préparer le futur.
Lorsque j’ai écrit Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de La Sorbonne, je voulais comprendre ce qui faisait que nous en parlions encore 50 ans plus tard. Dans mon bilan de 2018, j’espérais que le peuple se soulève. Le mouvement historique comme celui des Gilets jaunes va au-delà de mes rêves et j’apprécie le présent. Je publie ici les derniers chapitres du livre qui donnait des pistes de réflexion pour préparer le futur.
Archives personnelles 1967-68
Nota Bene : je fais des économies de redevances de domaines internet et supprime mes autres blogs pour rassembler toutes mes productions depuis dix ans dans celui-ci : gaellekermen.net
Les sujets en sont variés comme le sont mes passions dans la vie. J’espère qu’ils vous intéresseront et vous stimuleront à apporter vos pierres à l’édifice commun d’une société plus humaine et naturelle.
Voici mon premier bilan de mon Mai 68 sur mon camarade compagnon de l’époque Michel Bablon (1938-2012).
Portrait de Michel Bablon 67
Qu’est devenu Bablon ?
Sur mon blog d’archives aquamarine67.net, j’ai commencé, avant la parution de cet ouvrage, à publier des articles sur mes souvenirs de Mai 68, dans la catégorie Il y a cinquante ans.
J’ai commencé par la Une de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 30 avril au 7 mai 1968 sur le film de Michel Cournot à Cannes.
J’ai continué par l’inauguration de la boutique de mode Mia et Vicky le 3 mai 1968 au 21 rue Bonaparte, à l’angle de la rue Visconti.
Le troisième article est sur la photo prise l’après-midi du 3 mai 1968 dans la cour de la Sorbonne, j’y parle des personnes reconnues, en plus de Daniel Cohn-Bendit, Brice Lalonde, Jacques Bleiptreu et Michel Bablon, enfin retrouvé dans des photos d’archives, après des décennies de recherches vaines.
Des photos tirées de mes archives seront disponibles sur mes blogs pour en visualiser certains aspects.
Je ne voudrais pas finir ce livre sans donner une idée de ce qu’est devenu Michel Bablon, qui n’a pas eu la lumière des projecteurs médiatiques posée sur lui comme d’autres militants politiques.
Nous nous sommes connus, aimés, déchirés, aimés encore, séparés, retrouvés, de nouveau séparés et enfin perdus.
Si le lendemain du 22 mars, j’avais eu la tentation d’en finir, il m’avait aidée à devenir « qui » j’étais dans une démarche nietzschéenne consciente. Il m’apprenait aussi le détachement et je lui rends grâce à l’âge avancé de ma vie d’avoir appris de lui qu’il ne faut jamais compter que sur ses propres forces, comme disait le camarade Mao à l’époque.
Bablon n’était pas maoïste, mais se tenait informé de ce qui se passait en Chine populaire, il avait des revues chinoises, j’ai dû les détruire fin juin ou début juillet quand nous craignions une descente de police qui risquait de le faire expulser de France. Nous écoutions aussi la radio de propagande diffusée depuis l’Albanie.
Je crois qu’il était surtout guévariste, il dormait souvent sur le lit de camp de l’atelier pour s’entraîner à être un bon guérillero. Pour lui, j’avais un point commun avec le Che, j’étais aussi asthmatique. Mais, Bablon n’en parlait pas beaucoup et je n’ai pas de souvenir de discours d’endoctrinement.
Il m’encourageait plutôt à être moi-même, à suivre mes propres routes, à exploiter mes propres talents. Il disait que je pouvais être une « locomotive » pour les autres.
Oui, je peux lui rendre grâce si longtemps après d’avoir continué le travail de confiance initié par mes propres parents avant lui, consolidé l’année suivante par Casamayor, qui m’avait demandé des articles pour la revue Esprit et mis le pied à l’étrier de l’écriture.
La fin de Bablon
Le 12 juillet 1968 au soir, j’avais demandé à Bablon de m’emmener à la gare Montparnasse pour rejoindre ma terre natale en Bretagne après les délires parisiens du ménage à trois depuis le retour de sa précédente compagne arrivée de Toulouse dix minutes avant que je ferme l’appartement de la rue Visconti, alors que je venais de brûler les documents politiques compromettants.
À dix minutes près, nos vies prenaient une direction différente.
Soudain, il fallait que je change d’air. J’avais besoin de retrouver la plage après les pavés. Même si je n’avais pas jeté de pavés, si j’avais seulement apporté mon aide à l’expérience d’autogestion qu’était la Sorbonne occupée, j’avais besoin de m’allonger sur le sable et de reposer mes muscles fatigués.
Plus tard, Bablon est parti vivre à Londres, j’ai servi d’intermédiaire avec les filles des îles à qui il avait confié l’atelier de la rue Visconti, nous les appelions Wallis et Futuna. Mon amie Jane, ma Calamity Jane, my Sweet Lady Jane d’Aquamarine 67, l’avait hébergé à son arrivée à Londres.
Il a voyagé très loin. Il me recontactait quand il revenait, d’Inde, de Chine, de Cuba, m’invitait parfois à déjeuner, nous retombions dans les bras l’un de l’autre, mais comme il n’était pas question de s’attacher, nous nous séparions sans état d’âme. J’étais devenue la fille libérée qu’il avait souhaité que je sois. Je dévorais les hommes comme il dévorait les filles. Mais il gardait une place spéciale dans mon cœur, il était le premier homme avec qui j’avais vécu.
Lorsqu’il avait déménagé ses affaires de la rue Visconti, il m’avait laissé sa bibliothèque politique, qui m’a servie lors de mes études à Vincennes, et quand j’en ouvre encore un, comme je l’ai fait pour ce livre, j’ai toujours un sourire en voyant apparaître au détour d’une page sa signature ample et généreuse. C’est comme s’il me disait de sa voix charmeuse : « Tu vois petit, je suis toujours là ! »
Et moi, je continue ma route, la mienne, celle qu’il m’a aidée à trouver.
Le temps a passé, j’ai quitté Paris, j’ai perdu de vue de nombreux amis avec qui j’avais été liée. Je n’ai plus jamais eu de contact direct avec Bablon.
En 1998, j’ai publié un article sur Trois jours de folie à laSorbonne en mai-juin 68 qui commençaient ainsi : « Tant que j’aurai soif de musique, soif de justice… », un article relayé par de nombreuses publications sur Mai 68.
J’ai été contactée par un de ses cousins, qui dressait l’arbre généalogique de la famille Bablon. C’était les débuts d’Internet, il avait trouvé tout de suite mon article. J’ai su que Michel avait eu connaissance de ce que je racontais. Il n’a pas souhaité me recontacter. D’après son cousin, il s’était assagi et avait fini par épouser une fille de gendarme. Il avait une fille. Il vivait à Toulon.
Michel restait ainsi dans le Sud, au soleil dont il avait tant besoin, dont nous avons tous tant besoin, comme sa famille avait choisi Toulouse lorsqu’il avait fallu quitter Madagascar.
Mon article m’a permis d’être contactée par deux des nombreux enfants de Michel.
Un garçon me trouvait très romantique dans ma description de son père. Mais c’est encore l’image que je garde de lui après un demi-siècle. Une fille m’avait écrit parce que sa mère venait de lui dire qui était son père biologique, elle venait de trouver mon article après une recherche sur Michel Bablon.
Elle m’avait fait un courriel juste avant un Noël et c’était merveilleux de pouvoir raconter à un enfant de Bablon la belle vision que je gardais de son père. Je pouvais la mettre alors en relation avec le cousin de Michel. Elle n’a pas voulu aller plus loin. Elle avait été élevée par un beau-père qui avait été un excellent père. Elle avait les réponses aux questions qu’elle s’était posées sur elle-même, sur ses propres engagements. Elle voulait continuer sa vie avec des valeurs qu’elle reconnaissait comme venant de lui, mais sur ses critères personnels. Oui, elle était bien la digne fille de Bablon.
Le cousin a eu la délicatesse de m’informer de sa mort. Le message m’annonçant la fin de Michel m’a permis de faire le deuil de sa personne. Bablon, le guérillero du Quartier latin, le fils des rois malgaches, l’élégant baladin parisien, le grand voyageur, le révolutionnaire du Grand Soir, est mort. Son personnage fait partie de ma vie et gardera toujours une place privilégiée.
Ce que m’a appris Bablon
Bablon m’a beaucoup appris.
Que je pouvais tout faire.
Qu’on pouvait apprendre et progresser toute la vie.
Que rien n’était impossible à qui savait se servir de son intelligence et de ses mains.
Il m’a donné confiance en moi, appris à ne compter que sur moi-même, à ne pas attendre que les autres m’apportent des solutions, mais à les chercher moi-même.
Je n’ai pas mis toutes ses leçons en application tout de suite.
Mais après cinquante ans, je peux dire qu’il a été un formidable Pygmalion.
Merci Bablon !
Bablon, Casamayor, mentors
En ce mois de mai 2018, je ne me presse pas à finir le livre que je consacre à mes souvenirs de Mai 68, parce que j’aime retrouver l’ambiance de l’époque dans ce qu’elle avait de positif. J’ai oublié les crises amoureuses qui avaient pu me faire souffrir comme une bête pour ne garder que le meilleur de notre relation.
Dans ma cuisine, je vois les meubles que j’ai construits moi-même et je me dis que sans Bablon, je n’aurais peut-être jamais pensé à les faire. Il avait taillé la table et les deux bancs de l’atelier de la rue Visconti dans des troncs d’arbres, laqués ensuite à la laque glycérophtalique industrielle, du même type que la peinture utilisée plus tard sous nos yeux émerveillés par Yves Samson, mon troisième homme, en septembre 1987.
Moins bûcheronne, plus menuisière, j’ai utilisé des planches pour faire mes meubles. J’ai acheté du bois de chêne pour en garder la noblesse dans la cuisine ouverte sur le jardin. Dans mon bureau, j’ai opté pour un bois de pin des Landes traité en planches plus brutes pour garder le côté atelier qui rappelle qu’on n’est pas là pour glander, mais pour bosser sur les œuvres que nous nous sommes imposées.
Bien sûr, les talents manuels étaient dans ma famille du côté de ma mère. Mais sans Bablon, je ne suis pas sûre que je les aurais si bien exploités.
Si j’ai besoin d’un meuble, je me le fais. Si j’ai besoin d’un vêtement, je me le couds. Si j’ai besoin de réparer quelque chose, j’apprends à le faire, je n’appellerai quelqu’un d’autre que lorsque j’aurai épuisé les solutions à ma portée. En toute indépendance, parce que Bablon m’avait convaincue en 1968 que je pouvais faire ce que je voulais.
J’ai vu beaucoup de gens au cours de ma vie ne jamais oser faire ce qu’ils désiraient, prétexter que ce n’était pas possible, qu’il fallait avoir tant d’argent avant de pouvoir l’envisager.
Je n’ai jamais fonctionné sur ces principes limitatifs. Mes moyens matériels étaient limités, mais je prévoyais mes projets longtemps à l’avance et dès que c’était possible, là où d’autres auraient dépensé en loisirs l’argent imprévu, moi je l’investissais en outils et matériaux, pour réaliser enfin ce que j’avais conçu, dessiné, planifié et rêvé, parfois des années et décennies plus tôt.
Grâce à Bablon !
Un changement radical de vie
Ce printemps 2018, j’ai fait la saisie des notes du Comité d’Occupation de la Sorbonne retrouvées dans mes archives. C’est seulement maintenant que j’apprends certaines choses qu’il m’avait racontées, mais que j’avais oubliées, ou mal comprises sur le moment.
Bablon avait dû connaître la théorie castro-guévariste lors de la conférence tripartite de La Havane. Il avait vu les choses de près, in situ, sans se contenter de lire des articles ou des livres, même s’il lisait aussi beaucoup.
Bablon avait participé à la conférence de La Havane, comme Casamayor avait participé au procès de Nuremberg après la guerre, puis au Conseil de l’Europe au moment du régime des Colonels grecs, avec Constantin Tsoukalas, un de nos professeurs de sociologie de Vincennes, Tsoukalas dont le père était le Ministre de la Justice et représentait le régime. Tragédie grecque !
Ces gens qui m’entouraient avaient un regard privilégié sur le monde. On n’était pas au Café du Commerce à échanger des brèves de comptoir ni à extraire des petites phrases pour faire le buzz.
Ils m’ont appris la synthèse, l’art de dire beaucoup en peu de mots, que j’ai continué à travailler dans mon Journal au fil des décennies.
Bablon et Casa m’ont appris à comprendre les problèmes et m’ont donné l’injonction de ne jamais me contenter de la surface des choses ni de leur apparence, de toujours aller creuser en profondeur et analyser les différentes implications dans tous les champs d’expérimentation de la vie.
Cournot, Bablon, Casamayor, Tsoukalas, Lambert, Polac un peu plus tard, font partie des gens qui me permettent aujourd’hui d’écrire en liberté. Ils ont créé le terreau sur lequel j’ai pu semer mes graines et dont je peux diffuser les fruits en 2018.
Gaelle Kermen, écrit au Printemps 2018
Kerantorec, le 19 janvier 2019
C’était un jour de grande marée au mois de septembre, le sentier, toujours le même, conduisait à la cale en tournant à travers les pins. C’était ici qu’elle avait l’habitude de venir avec son frère. Elle se rappelait encore ces jours-là.
Belon en face de Riec
Ils marchaient pieds nus comme elle venait de le faire sur la route caillouteuse. Ils arrivaient à la maison des viviers surplombant la rivière, puis sur la droite ils tournaient dans le petit chemin entre les grands cyprès. Enfin ils étaient sur la cale. Ils retrouvaient Jacques et Françoise, des gosses de leur âge, qui les attendaient en plate et ils s’en allaient à la rame ou la godille sur la rivière.
Aujourd’hui, elle était seule. Pour la première fois, depuis plusieurs années, elle revenait. Elle voulait revoir avant de repartir la plage d’enfance. La plage ! oui, elle l’avait revue, grise, sale, avec trop de monde. Avant, il n’y avait personne, tout était sauvage. Mais maintenant !
Elle avait pourtant voulu tout revoir. Reparcourir les sentiers au-dessus de la rivière.
Partout des fils de fer barbelés ! Partout des pancartes « propriété privée » !
Les rochers n’avaient pas changé. Non, la main de l’homme n’avait pas encore été jusque là ! Lorsqu’elle était arrivée à la Pointe, il n’y avait personne, par bonheur, aucun touriste. Elle s’était assise un moment sur un bloc de granit entre les bruyères, face au large. Le soleil s’éclaboussait en nappes étincelantes dans l’eau, en bas. La Mer s’engouffrait dans les grottes et faisait résonner son souffle.
La Pointe
Puis, elle était repartie, lasse, très lasse, sur la route caillouteuse. La rivière n’était plus accessible par le sentier au-dessus de la rivière. Il fallait prendre la route des viviers, puis le petit chemin à travers les grands cyprès.
Elle passa derrière la maison, quelques marches encore, elle était sur la cale. Avant, c’est là qu’elle venait avec son frère, c’est là qu’ils rencontraient Jacques et Françoise.
Cale de Beg Porz par très grande marée
Aujourd’hui, rien de tout cela.
Le soleil l’éblouissait, lui faisait mal aux yeux. Elle avait envie de pleurer. Elle mit sa main au-dessus des yeux.
Sur la rivière, un petit bateau rouge.
À bord, deux personnes.
Non, ce ne pouvait être vrai !
Tout vacillait. Tout bourdonnait !
Elle ouvrit les yeux en grand.
La rivière n’avait pas changé.
Toujours ce calme étrange, un peu étouffant par moment. Un vent très léger soufflait dans les pins. Elle croyait entendre encore le clapot de l’eau contre la carène du bateau. C’était bien les mêmes pins, la même cale, les mêmes rochers, le même vent dans les pins.
Et là-bas, au milieu de la rivière, elle les reconnaissait maintenant, Jacques et Françoise dans leur bateau rouge.
C’était bien eux, les compagnons de son enfance. Ils avaient grandi. Évidemment. Cela faisait si longtemps qu’elle ne les avait vus !
Elle entendait le bruit confus de leurs voix portées par la Mer et le vent.
Ils pêchaient.
Elle voulut les appeler.
Mais elle pensa à la plage grise et sale, à la rivière inaccessible, aux fils de fer barbelés et aux pancartes. Son cri s’étrangla dans la gorge.
La nausée, qu’elle avait déjà vaguement sentie tout à l’heure, revenait. Plus la peine maintenant. Eux aussi avaient dû changer.
Ce monde n’était plus pour elle. Elle n’était plus de ce monde.
Elle regarda sa montre. Il était temps, temps de repartir, temps de rentrer.
Elle aurait pu les appeler.
Mais elle préféra partir.
Aucun goéland n’était sur la côte. Les oiseaux s’étaient envolés, la laissant seule à terre, pauvre mouette prisonnière des hommes, du temps, de la vie.
Mouette au-dessus du Belon
Il fallait partir.
Arrivée sur la route surplombant les rochers, elle se retourna une dernière fois.
Là-bas, sur la rivière, le petit bateau rouge s’en allait. Elle le voyait à travers les troncs des pins s’éloigner. Plus de godille silencieuse, ils avaient mis le moteur !
Et l’eau clapotait toujours…
Gaelle Kermen
(Paris internat lycée des Maraîchers), 19 janvier 1963)
Extrait du Journal 60(1960-1969), publié en 2011, reformaté sur Scrivener et republié en 2018
Crédit photos de l’auteur en 2017 (Beg Porz, Belon)
Scrivener 3 plus simple, guide francophone de la version 3.0 pour Mac, Guide Pratique 6. Kerantorec, 2018.
Cahiers des Années 1960-70
Kermen, Gaelle. Aquamarine 67. 2e éd. Smashwords, Inc, 2010 #01 Au Loin un Phare. 2e éd. Smashwords, Inc, 2010. #02 Le Vent d’Avezan. 1re éd. Smashwords, 2010. #03 Le Soleil dans l’Oeil. 1re éd. ACD Carpe Diem, 2011. #04 Les Maquisards du Bois de Vincennes. 1re éd. ACD Carpe Diem, 2011.
En exclusivité numérique sur Amazon tout l’été 2018
Bientôt en deux versions papier broché : format normal et format grandes lettres
Souvenir de Jakez Morpain (1947-2018) qui nous a quittés le 31 mai 2018. Cousin compagnon photographe de mes chemins en 67, 68, 70, 97. Trugarez, Jakez !
Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »
RENAULT FERA TACHE D’HUILE
Chez Citroën et Peugeot les syndicats réclament la reprise des négociations sur la base des accords ratifiés par les ouvriers de la Régie Nationale
Le droit syndical est reconnu chez Renault
Les problèmes d’emploi seront traités par une commission paritaire direction-syndicats
LES DÉLÉGUÉS POURRONT CONSACRER À LEUR ACTIVITÉ 100 HEURES PAR MOIS PAYÉES PAR L’ENTREPRISE
L’AFFICHAGE, LE COLLECTAGE ET LA DIFFUSION DE LA PRESSE SYNDICALE SE FERONT LIBREMENT
Extrait de l’éditorial : la fin
« Le pouvoir peut occuper la Sorbonne. Il est trop tard : le grain qui y avait été semé en Mai commence déjà à lever. »
COMBAT
« L’INFORMATION EST SERVE »
Le rapport de la Commission sénatoriale d’enquête sur l’ORTF dénonce la soumission de l’Office au gouvernement (page 16).
OPÉRATIONS LÉGISLATIVES
Aujourd’hui une interview de Michel Rocard, secrétaire général du PSU
18 JUIN
par Maurice CLAVEL
Cette année c’est net. Hors quelques héros vénérables et indignés, le 18 juin sera fêté par tous ceux qui l’auraient vomi en 40 ; (…) qui ont, qui auraient tremblé de toutes leurs tripes liquides que la patrie se libère… Voici le 18 juin des âmes vichyssoises et versaillaises. Voici le 18 juin des Daumier qui sortent de leur cadre et grouillent, et se vengent avec cautèle de leur trouille. Voici le 18 juin de nos enfants humiliés. O comme la coupole de la Sorbonne aujourd’hui est lourde ! (…)
LE RETOUR DES BATONS
par Jacques-Arnaud PENENT
Ils ont encore volé la Sorbonne ! Pour avoir vécu, seul journaliste parisien, mais surtout seul militant journaliste, les péripéties de ce vol, je déclare bien haut que le « Comité d’occupation » n’a fait qu’opposer la force redoutable de la bonne foi aux manœuvres policières. Car, devant les CRS, on avait mis Maigret. Et toute la P.J. Mais depuis l’affaire Ben Barka, nous savons que les secrets d’Etat, que les vérités gênantes brûlent aussi dans la pipe de ces Maigret pour s’évanouir en fumée. Et, les poings serrés, les vu les rats en gabardine ronge tous nos drapeaux. Ah ! les bien-pensants peuvent pavoiser ! La Sorbonne entre en servitude. Ah ! les folliculaires aux ordres peuvent applaudir ! La Sorbonne a retrouvé son calme et les murs leur mémoire du vide. On nettoie la Sorbonne ? Voire. La jeunesse ouvrière, ces dizaines de jeunes chômeurs prêts, hier, à toutes les résistances, cette jeunesse n’a pas sali la Sorbonne. Au contraire, elle y était chez elle. C’est cela la démocratisation de l’enseignement. C’est cela la révolution universitaire. Tout le reste, tous les colloques, toutes les réformes entre initiés n’intéressent que les gens d’un même monde, l’ancien. Furieux d’avoir raté « l’opération des Katangais », furieux de subir une Faculté libérée et ordonnée par ses occupants, le Pouvoir a voulu montrer sa force aux électeurs, tandis qu’il prouvait, en fait, son hypocrisie et sa lâcheté. (…) Allons ! finissons-en. Nous reprendrons la Sorbonne. Définitivement. Nous la rendrons à sa destination populaire. »
Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »
L’IMPOSTURE
SOUS PRÉTEXTE D’UNE ENQUÊTE JUDICIAIRE LA POLICE INVESTIT ET FAIT ÉVACUER LA SORBONNE
Extrait de l’éditorial
Fort de ses victoires sociales, fier d’avoir noyauté les milieux étudiants et semé la discorde, le pouvoir se montre de plus en plus boulimique et glouton. Hier, les choses se sont pourtant gâtées : dans son impatience, la police prenant prétexte d’une sombre histoire de blessé accueilli à la Sorbonne, devait évacuer les étudiants « manu militari » et chasser les irréductibles en pénétrant de nouveau dans la cour de la Faculté des Lettres, comme ce fut le cas le 3 mai, avec l’assentiment du recteur Roche. Cette agression, à la différence de ce qui s’est passé à l’Odéon, montre bien que le pouvoir entend réprimer, et que la volonté de s’informer comme M. Ortoli, comme celle de négocier affichée par M. Pompidou est une imposture, un message éhonté. En effet, alors que les occupants de la Sorbonne avaient fait eux-mêmes leur ménage, en éliminant les « Katangais » et en déclenchant l’opération « propreté », il n’y avait aucune raison de s’attaquer aux commissions de travail, qui restaient justement en place pour préparer ce plan de réforme, en y associant les enseignants, et le personnel administratif de la Sorbonne. (…)
Il est évident que cette fois-ci encore, le pouvoir emportera la première manche. Mais, qu’il n’ait pas assimilé la leçon, qu’il cherche à reprendre par la force les facultés occupées, qu’il croit avoir tué la contestation dans l’œuf en reprenant possession de quelques vieilles bâtisses, voilà bien qui dénote l’incorrigible aveuglement de ce régime. La jeunesse ne capitulera pas, même si elle baisse la tête devant les fusils, même si la rue devient calme. La coupure du pays redevient une menace qui précipitera la décomposition du régime, à moins que le général de Gaulle n’y instaure une dictature fasciste. (…) COMBAT
HEURTS AU QUARTIER-LATIN ET A SAINT-GERMAIN
Après l’évacuation de la Sorbonne, les étudiants ont manifesté par petits groupes et ont été chargé par la police (en page 16 le reportage de Jacques-Arnaud PENENT)
VOTE CHEZ RENAULT CE MATIN
Peugeot : le vote est ajournée
Citroën : la CFDT se retire des négociations
La vente des quotidiens parisiens perturbée ce matin par la grève des vendeurs
LES GUEUX
par Maurice CLAVEL
Soyons précis. Soyons froids. Cette fois, c’est absolument injustifiable. Le mois dernier l’affolement d’un recteur, le vertige d’un ministre devant la nouveauté de la contestation pouvait offrir un semblant d’excuse à cet attentat unique : l’entrée de la police en Sorbonne. Il y a quelques jours encore le désordre du « bateau ivre » que décrivait un peur trop complaisamment un de nos confrères, pouvait offrir une apparence de motif à un « nettoyage ». Il s’agissait de glisser en fraude d’un sens à l’autre du mot « nettoyer ». L’ennui pour eux, c’est que la Sorbonne, les étudiants l’avaient nettoyée eux-mêmes. Dès lors, il ne leur restait plus que le prétexte d’une très bizarre histoire, que je n’ai pas encore les moyens de résoudre et que je ne saurais trancher, me méfiant de ma formation : on sait en effet combien l’affaire Ben Barka-Figon m’a éduqué sur ce régime. La cause est entendue. Ils récidivent et savent ce qu’ils font. Il n’y a pas de pardon. Le cri « de Gaulle assassin » n’est pas encore sorti de ma gorge, malgré le gaz et la honte qui s’y pressaient. Mais aussi vrai que Georges Bernanos m’a investi, quand j’avais 20 ans, pour continuer sa tâche, j’écris, je crie, comme il l’eût fait, que ce sont des gueux. Ceci au nom de la plus jeune et de la plus vieille France.