Clandestine 70 le lieu de vie boulevard Poissonniere

#CampNaNoWriMo #printemps2021 #Confinement

#souvenirs #journal1970

En 1970, j’habitais 10 boulevard Poissonnière, l’immeuble à côté de celui de L’humanité, avant son déménagement rue du Colonel Fabien.

En bas de l’immeuble de l’Huma, se situait la Librairie Nouvelle où ma boulimie intellectuelle trouvait tous les livres de mes années d’étudiante à la fac de Vincennes en Droit-Science Po, Socio et Philo.

De notre balcon du 6eme étage en face du cinéma Rex, nous assistions à des événements comme les manifestations importantes, les soirées d’élection, l’enterrement d’Elsa Triolet ou l’arrestation de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir vendant le journal interdit La Cause de Peuple.

Je suis retournée sur les lieux le 17 août 2012 comme je séjournais à Paris pour faire les premières corrections du Journal de l’année 70, devenu Clandestine 70, publié en 2020.

La terrasse de l’appartement de ma sœur qui m’hébergeait alors, au sixième étage, était transformée en jardin. Il me plait de savoir que nous sommes remplacées par des passionnés de plantes, d’arbustes, de fleurs. Je crois que je l’avais rêvé ce jardin en terrasse parisienne…

En haut, au sixième de l’immeuble du centre, nous habitions ma sœur et moi de fin 1969 à fin 1972.

Retour sur les lieux le 17 août 2012, comme je faisais les premières corrections du manuscrit Clandestine 70 issu des Cahiers parisiens.

A notre époque, ce magasin était la Librairie Nouvelle, au rez-de-chaussée de L’humanité. C’était un lieu vibrant de culture, de connaissances, où je m’approvisionnais dès que j’avais quelques sous. Les temps changent…

L’entrée du 10 boulevard Poissonnière, Paris, 9e

En face de notre balcon, le cinéma REX

Notre station de métro était Bonne Nouvelle.

Extrait de Clandestine 70

***

3 juin 1970

le creux de la nuit est le seul moment où le bruit du boulevard s’estompe un peu

cinq heures du matin

en bas le trafic reprend

mon bureau est couvert de feuilles et de bouquins

il fait somptueusement beau

un soleil de passion se reflète dans les vitres du cinéma rex en face

je viens de bouffer du pâté et du saucisson

je pourrais continuer à travailler tant je me sens bien

il y a longtemps que je n’avais vu le soleil se lever

il y a deux ans en 68 avec brice j’appréciais les charmes d’un soleil en ciselure sur la chapelle de la sorbonne dans la cour d’honneur

il y a trois ans en 67 avec hélène nous avions passé quelques nuits sans dormir à errer dans les rues de paris en découvrant au petit matin le ciel immense du côté de notre-dame

à l’époque il y avait les halles et c’était le bon temps

mais aujourd’hui c’est pas mal non plus

et je suis bêtement heureuse

l’impression de ne pas être seule dans la nuit

d’être proche de platon qui écrit

peut-être même de mikis

tout est possible ce matin

l’époque est revenue où je peux de nouveau travailler

dynamisée par le soleil

soutenue par un afflux de forces vives

en fait je ne fais rien pendant l’hiver

j’hiberne

mes vraies périodes de travail ont toujours commencé au mois de mai

j’ai toujours préparé les examens vingt-et-un jours avant leur date

quand tout dans ma tête devient clair comme le temps

quand tout dans mon corps est en accord avec moi-même

quand ma peau brunit et que mes muscles existent

trois salutations au soleil

et j’entendais les oiseaux

dans les arbres du boulevard poissonnière

***

Gaelle Kermen, Kerantorec, 5 avril 2020

Clandestine 70 est disponible en ebook sur Amazon, Smashwords, Apple, Kobo, etc.

Fac de Vincennes–1969-février

(Les notes entre parenthèses sont de février 2019, en particulier pour préciser les noms de quelques personnes dont je ne donnais que les prénoms. Certaines sont devenues célèbres.)


iivret_64-69-tampons2
Transferts de dossier entre la Sorbonne, la fac de Nantes et le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes

Livret-CELG-66-transfert-68
Justificatif de diplôme de la Sorbonne lors du transfert des dossiers entre Universités CELG (Certificat Etudes Littéraires Général : Philosophie, Latin, Anglais)


samedi 1 février

9h30 droit constitutionnel

je n’arrive évidemment pas à me lever pour aller à vincennes où j’ai rendez-vous avec michel mon petit camarade
tant pis
d’ailleurs il y a ce foutu déménagement à faire

gilbert ne vient pas
je suis furieuse
d’accord ça ne l’amusait pas de venir nous aider mais moi non plus ça ne m’amusait pas de le présenter à kiki vu que kiki ne pouvait plus entendre parler de pierre et qu’elle met tous les frères dans le même sac
elle n’a sûrement pas tort
donc je les considère comme n’existant plus

maya (Evic) vient en voisine nous aider avec deux amis
philibert aussi
sympa


dimanche 2 février 1969

j’ai bien dormi
il s’agit ici de prendre possession de l’espace
ce dont nous n’avons pas l’habitude

je fais la cuisine
bien
sur ce minuscule camping-gaz

l’après-midi yvon (Yves Petit de Voize) vient
il joue à m’interviewer sur la mini-cassette en tant que contestataire de vincennes

puis arrivent maman grand-mère le cousin et sa femme qui persiste à m’appeler cousine ce qui m’agace fort

tout le monde me fatigue
j’ai horriblement mal au dos et je dors très mal

michel de vincennes m’a curieusement manqué tout le week-end
tout jeune sans doute
l’an dernier il était encore lycéen il faisait partie des c a l comités d’actions lycéens en mai dernier
tout enthousiaste
j’aime ça
les gens qui vivent et ne sont pas encore usés ni désabusés
intacts


lundi 3 février

je n’ai pas du tout envie de me lever pour aller au cours à neuf heures
j’ai le corps tout endolori
et puis comme je suis réveillée j’y vais

en allant vers le bus j’entends un sifflement appel
c’est michel on se retrouve toujours

cours de libertés publiques avec casamayor
un drôle de bonhomme très sympathique qui nous parle de langage et de cohn-bendit et de contestation et de camarades
qui nous donne un devoir en nous disant
dites-moi ce que vous pensez vous
n’allez pas chercher dans les livres
c’est la première fois de ma vie qu’on me demande de penser pour un devoir

au déjeuner je ne retrouve pas michel
je suis furieuse contre moi-même de l’attendre et de le chercher plus ou moins consciemment

je me résous finalement à aller à la bibliothèque lire le bouquin d’aron sur la société industrielle
je me réfère aussi à chevallier
et me passionne pour montesquieu

mon dieu commencerai-je enfin à comprendre les choses

mais j’ai mal aux dents


mardi 4 février 1969

courses pour ma sœur et l’appartement
je ne vais pas à la fac aujourd’hui
tant pis je ne verrai pas michel
mais il faut que j’aille voir l’oculiste j’y perds beaucoup de temps

puis je passe chez aurélia lui apporter l’ensemble en tricot fait par maman
elle prévoit que demain les flics seront sur les campus et autres conneries dramatiques de son genre elle est folle je pars vite

je rencontre une amie de la fac de droit d’il y a deux ans une jolie petite vietnamienne elle a revu récemment jacques mon meilleur copain d’alors j’aimerais le revoir

hélène n’est pas chez elle

j’achète chez maspero raymond aron et le themis de touchard je fais mon dernier chèque
je dois lire aron pour demain

la situation universitaire s’aggrave
ou peut-être est-elle excellente comme dirait le camarade mao


mercredi 5 février

cours avec rouvier
il parle à la fin du risque de fermeture de vincennes
je lui ai posé la question au cas où une grève serait décidée
la fermeture dit-il se fera département par département
d’abord ceux qui n’ont pas encore commencé comme la socio et la philo

dans l’escalier du restau u je retrouve michel il y a longtemps qu’on ne s’est vus oui on commençait à s’ennuyer nous déjeunons ensemble

hier des c d r comités de défense de la république ont menacé de venir
ça a été un ridicule branle-bas de combat

après le repas je me fais draguée par un jeune con qui doit être réac et je perds michel

cours de théorie marxiste un joli minet me sourit de ses yeux bleus
le chargé de cours lui-même engage le débat
le minet continue sur la grève
je donne l’information de rouvier

je retrouve le minet à l’ag il est anar c’est trop joli ça
il est tout doux
un doux anar c’est rare

grève votée hélas nous restons dans les cours à discuter

mon minet anar est très caressant je flirte avec lui en rentrant mais je rentre


jeudi 6 février 1969

je n’ai plus envie de flirter entre deux métros
je n’ai pas envie de revoir mon petit anar d’hier
d’ailleurs il vivait chez papa-maman

dentiste puis visite à hélène au lieu d’aller en socio où il sera
nous prenons le thé
maïté se ramène elle m’apprend que pierre est parti
de toutes façons il y a longtemps que je le considère comme parti
je l’avais même oublié

vincennes sciences po
michel n’est pas là mais philippe (Philippe Houzé) compte sur moi pour expliquer la situation

c’est dur dans ce groupe qui dit on veut travailler

a g un monde fou
je vois glücksman mais pas michel

je reviens au cours
ambiance idiote
philippe est sympa

michel arrive enfin il est furieux de voir un cours en amphi

plus tard nous discutons avec le prof et trois types réacs dont mon dragueur

j’ai envie de pleurer
michel aimerait peut-être me consoler
nous sommes déçus


vendredi 7 février 1969

que faire pour lutter mon dieu je ne sais plus
la grève active ne servira à rien
alors la défendre parce que je suis en minorité et engagée dans une idéologie
j’ai envie de pleurer

cinq heures trente a g
michel vient d’arriver nous nous trouvons tout de suite
il dit qu’on ne s’est pas tellement vus
que plusieurs fois il m’a cherchée vainement
c’est gentil ça

j’appelle gérard chez rychter
il prétend que les modèles ne marchent pas
il ne sait pas quoi faire
il a pas l’air d’aller bien je dois le voir lundi

a g glücksman parle bien un autre aussi
je suis avec michel et deux copains dont un de droit très sympa

je vais au cours de droit constitutionnel
discussion avec des types de l’a g e v
ils sont durs à convaincre ces réacs

je vais chercher michel et l’autre mais l’a g est finie je les ai perdus
je rencontre yannis
je retourne au cours

discussion toujours presque risible
pourquoi ça vous gène les flics dans la fac
évidemment on se demande


samedi 8 février

en quittant vincennes hier soir j’ai retrouvé michel dans le métro avec ali l’iranien connu au buci ami de brendan c’est marrant (une scène d’Aquamarine 67)

mais je suis rentrée pour travailler
matin de neige je tousse

hélène élise

soir à la radio j’entends annoncer que cent quatre-vingt-trois étudiants ont été choisis par le doyen sur les deux cent vingt qui ont occupé la fac le vingt-trois janvier ils risquent la même sanction que ceux du rectorat de la sorbonne

recevrai-je une lettre

je me demande si je ne suis pas enceinte
je le serais de pierre et ce n’est plus le moment
je n’ai pas le droit d’attendre un petit bébé encore et c’est mon drame
j’ai tellement envie d’aimer


dimanche 9 février 1969

dimanche ensoleillé
errances dans quelques bouquins dont marcuse qui avec le pouvoir de sa pensée négative me dynamise

visites
philibert
hélène et yannis
discussions
c’est bien je m’affirme
j’ai le pouvoir de l’humour

ce qui m’effraie le plus dans le mouvement c’est qu’on perd cet humour qui était notre plus grande force
quand je vois ces discussions agressives et hargneuses je suis triste
c’est tellement bête

fini à trois heures du matin mon devoir sur le langage pour le cours de libertés publiques de casamayor qui nous a demandé ce que nous en pensions
c’est la première fois en autant d’années d’études qu’un prof me demande mon avis
je suis assez contente de moi
maintenant je sais m’engager
j’écris pas trop mal
j’ai une faim énorme de travail et d’amour


lundi 10 février 1969

libertés publiques devoir sur le langage

cours de casamayor qui m’autorise à partir vers dix heures trente pour me rendre à l’a g concernant ceux qui ont été emmenés à beaujon

projets de lettre en réponse au recteur

à la fin de l’a g je retrouve emmanuel du c r a c sorbonne pas vu depuis longtemps

michel a reçu sa lettre samedi matin il est avec une nana de son groupe d’éco po et je le perds de vue rapidement

je déjeune avec emmanuel puis nous allons à la bibliothèque
je tombe sur un bouquin de libertés publiques
l’oppression et la répression me révoltent
il faut arrêter ça
faire quelque chose

une grève de la faim
j’y crois
tout semble perdu
perdu pour perdu autant aller jusqu’au bout

à l’a g je me retrouve assise à côté de corinne connue cet été à kerfany
elle aussi était à beaujon
je retrouve michel il semble assez abattu
je propose mon projet de grève de la faim
on me le déconseille

films sur mai
je suis toujours révoltée

je rentre
je n’ai pas encore reçu ma lettre


mardi 11 février 1969

dix heures les types du téléphone me réveillent (pour la pose de la ligne)

je me sens horriblement mal
nausées vertiges
serais-je vraiment enceinte
hier j’ai repris normalement mon contraceptif
ça se bat peut-être là-dedans
si nous avons fait un bébé c’était au moment où nous avons vu rosemary’s baby
vraiment non merci
je n’en veux pas

onze heures moins le quart le facteur m’apporte ma lettre recommandée

vincennes sous la neige
michel tout de suite

je vais signer la lettre collective

on va au quartier sous la neige

au ramsès j’ai le temps de serrer la main de jacques bleiptreu d’embrasser françois donzel toujours aussi barbu

sorbonne déprimante
on rentre par maspéro
marcuse

soir on a le téléphone
on appelle nantes
gene a accouché hier
sa petite fille n’a pas vécu

je suis trop démoralisée


mercredi 12 février 1969

lire bouquin aron

socio économie

matin réveil normal je n’ai pas de bêtes nausées

j’essaie d’appeler la clinique de nantes c’est pas libre

cours de rouvier
je ris tout le temps sauf au cours de rouvier
malgré ses grands efforts rouvier est la seule personne qui ne me fasse pas rire

je bouffe avec un petit minet de socio mignon marrant intelligent avec des problèmes adolescents encore

théorie marxiste le prof veut créer un groupe de militants
je suis d’accord on doit se retrouver avec l’a g et le cours de nicos poulantzas

a g avec rémy kolpa-kopoul du comité d’action tout doux tout jeune
la plupart des étudiants sont tout doux et tout jeunes j’aime
de plus en plus de types de droit viennent me voir en dehors des cours pour discuter

poulantzas et son cours sur le fascisme
rémy m’y a suivie et nous restons ensemble ensuite pour discuter avec le prof de théorie marxiste

on veut faire des tracts le type tape le texte on cherche du papier on n’en trouve pas mais on rencontre beaucoup d’appariteurs musclés

je rentre avec le prof


jeudi 13 février 1969

exposé sur tocqueville

nuit agitée
au matin rêves de pierre
réminiscences de ses caresses de ses meilleurs baisers
eau port pont bateau

devoir à faire mais je préfère l’amour

appelé gene
elle semble toujours très forte mais flanche en me parlant
c’est atroce on a l’impression qu’un amour immense et inconditionnel peut être totalement stérile et vain
on ne peut empêcher l’impossible

j’arrive vers quatre heures à la fac à la sortie d’une a g

j’apprends que s’est créé un groupe d’intervention droit qui a décidé d’aller à la gare de l’est ce que je crois inutile
ça les déçoit beaucoup car ils le disent eux-mêmes ils viennent de se réveiller

je reste tirer des tracts
je retrouve michel dans une a g spontanée après la manif

nous traînons tard dans la fac et rentrons ensemble


vendredi 14 février

le jeune michel est de plus en plus caustique
il me rappelle l’esprit de guy s de saint-leu

j’ai enfin des lunettes
d’ailleurs on ne voit plus qu’elle je disparais derrière
ça me plaît

vincennes vers deux heures
film sur les black panthers et débat très intéressant avec julia herve du s n c c student nonviolent coordinating committee

je retrouve marianne

plus tard je retrouve aussi mais lui après trois ans daniel domingo et ça me fait très plaisir c’est lui qui a ouvert mes yeux sur l’art les peintures les sculptures les galeries les musées

il fait très froid à vincennes
je n’ai pas vu michel
il déserte

il faudrait que je travaille
mais je sais que tout ce temps qu’on perd à discuter on le gagne


samedi 15 février

marché de la porte saint-martin
je distribue des tracts pendant que ma sœur fait les courses
froid terrible qui me gèle les doigts les pieds la bouche
je crains que le militantisme ne soit pas fait pour moi ni moi pour lui

douce après-midi
ma sœur tape des articles pour gault et millau
je revois mon programme de droit constitutionnel
ces trois dernières années d’errance n’auront pas été vaines
je comprends un peu mieux maintenant

soir train saint-leu
fridu et cendrine mes animaux


dimanche 16 février 1969

rêves terribles de feu et de mort
je suis brûlée vive et enterrée mais pas tout à fait morte
et de nouveau le feu
puis plus tard rêve de pierre bien sûr
je lui en voulais horriblement
mais de quoi au fond
symboles oniriques de rosemary’s baby
le bébé de gene
le mien
j’en aurais tellement voulu à pierre s’il m’avait fait un bébé
parce que ça aurait été ma faute et parce qu’il n’est plus là
de toute façon consciemment ou non je lui en veux
et ça me rend folle

à part ça neige

je m’engueule toujours avec maman qui m’énerve

je réétudie mon livre d’histoire de seconde et ça me passionne


lundi 17 février

neige sur vincennes
c’est très beau

fourquet à cestas a tiré sur ses deux gosses et puis sur lui quand ces salauds de flics ont donné l’assaut
aberration de la soi-disant justice bafouée paraît-il et la police ridiculisée par elle-même

philippe au cours de libertés publiques
philippe au restau u
michel trente secondes
philippe au cours de droit constitu
philippe à la bibliothèque
jusqu’à ce que je quitte la fac
décidément je suis au mieux avec les biscuits geslot et voreux

marianne au téléphone
puis j’appelle michel
on parle longtemps ça m’étonne en général les types n’aiment pas rester au téléphone

j’ai envie de travailler plus


mardi 18 février 1969

j’aurais aimé que hélène me coupe les cheveux mais quand j’arrive rue guisarde elle est dans son lit et pleure
peu à peu elle m’explique que yannis et elle vont se séparer
il est là aussi mais descend acheter des cigarettes
elle m’expose la situation
elle est à bout de nerfs
alors je me souviens trop de ma propre situation il y a un an maintenant et de l’attitude qu’a eue kiki avec moi quand elle m’a secouée pour me réveiller
j’aimerais que hélène se lève et vienne avec moi
il faut qu’elle parte même une seule nuit
mais je ne peux pas la forcer

ils se disputent
ils ont les mêmes réactions que pierre et moi

je me sens étonnamment forte mais ça me désole
c’est tellement vain

mais christian duc notre ami vietnamien adorable arrive
le courage de sourire et même de rire revient

quand je rentre je trouve kiki devant ma porte du boulevard poissonnière
elle passait là sans savoir que j’habitais là maintenant
elle s’invite avec yves et son copain d’auvergne serge déjà vu chez féraud
nous passons une excellente soirée
ma sœur a invité une collègue d’un certain âge olga qui revit et rajeunit au milieu de nous


mercredi 19 février

hier je me suis surprise à dire à brigitte de la boutique féraud qui m’appelait pour prendre rendez-vous pour la collection
mais je suis très heureuse de vivre
je n’aurais pas pu dire ça il y a un an
et kiki le sait qui a suivi mon évolution pour finalement me récupérer à l’hôpital

tout ce que je dois à kiki
tout
elle est heureuse de me voir enfin installée dans un appartement stable clair propre agréable et confortable
et puis seule enfin
sans des individus comme pierre ou ses frères qui me minaient

3h collection féraud rue du faubourg saint-honoré en face du palais de l’élysée
certains trucs que j’adore qui m’iraient très bien avec des contrastes de couleurs mais beaucoup de choses me semblent trop classiques pour féraud

je n’arrive pas à joindre gérard rychter
il faut absolument que je gagne de l’argent

europe soir
casamayor parle de cestas et de la justice


jeudi 20 février 1969

joli temps plein de soleil

hélène téléphone elle va bien
avec yannis ça va
ça ne me semble que partie remise
elle le sait mais ils ne peuvent pas se résoudre à une séparation

j’arrive à vincennes après quatre heures
à l’a g rémy tout chaud tout doux comme d’habitude
préparation de l’action de demain journée anti impérialiste

puis nous montons au cours sur marx et le marxisme
je connais une demi-douzaine de personnes déjà dont germinal l’anar ami de dany cohn-bendit connu il y a trois ans

après je vais au cours de sciences po avec une camarade journaliste un peu noire
michel arrive me voit ou ne me voit pas et se met de l’autre côté
je suis furieuse
mais je prends ma revanche quand philippe se dérange bruyamment et traverse tout l’amphi pour s’asseoir à côté de moi

ça n’a pas d’importance au fond

à l’entracte joël me rejoint aussi et michel vient dîner avec moi
nous restons ensemble très tard à la cafétéria
il est toujours très caustique


vendredi 21 février 1969

il fait beau merveilleusement beau et si doux
c’est un avant-goût du printemps

cours avec poulantzas
je me trouve en face de christian gaspard qui m’avait raccompagnée un soir au quartier il est un des membres valables du c a comité d’action avec glücksman salmon et quelques autres

puis bibliothèque où je retrouve certains types sympas de droit
michel arrive aussi
j’ai beaucoup de mal à travailler lénine

il fait beau
je suis très vibrante

le drapeau f n l front national de libération du sud vietnam flotte sur la fac dans un vent léger

brusquement je vois daniel l’ami de marianne traverser la bibliothèque et sortir
je le rattrape sans savoir pourquoi
il n’a pas vu marianne depuis longtemps
il me plaît soudain dans ce soleil avec le ciel bleu et rose comme ma robe
il dit que je ressemble à une petite japonaise
une amie passe et dit
oh tu es adorable comme ça


samedi 22 février 1969

je crois que je suis en train de tomber amoureuse
j’ai rêvé et rêvé de daniel
ça m’étonne
j’ai follement envie de lui
j’ai envie de vivre

j’écris très mal
j’entre sans doute dans une période qui ne me laisse pas de place pour écrire puisque je crève de vivre

dessiné aujourd’hui pas mal dans le soleil

vu ce soir sur les grands boulevards en bas de chez nous le film delphine de éric le hung avec dany carrel frédéric de pasquale et maurice ronet
juste agréable pas très profond et déprimant sur le milieu de la mode
quelques robes féraud qui m’iraient encore
un style des gestes une silhouette qui ressemblent à kiki ou à moi en plus ronde
une belle voiture des arbres du mouvement un homme


dimanche 23 février 1969

je voudrais
me marier
bientôt
entre les pommiers en fleurs
près des talus en primevères
à la petite chapelle de kermen
sur le chemin de la source

journée de ciel en nuances

piscine balade
mais trop de monde dans les rues
on rentre on goûte
et je m’endors comme un bébé

le soir je me mets au travail pour faire les devoirs sur les oppressions et la liberté demandés par casamayor pour demain
je me choisis un titre
répression garantie de la liberté
je travaille jusqu’à quatre heures et demie du matin
j’aime travailler la nuit ici quand le boulevard devient enfin calme

marcuse toujours lui
et il a soixante-dix ans


lundi 24 février 1969

mauvais réveil pas assez dormi et mal
je suis nerveuse et de mauvaise humeur ce qui m’arrive rarement
ma sœur est très gentille car elle pourrait m’envoyer balader
mais sa gentillesse m’agace encore plus

après son départ je fais de la gym pour me calmer
mais ça ne m’empêche pas d’avoir une gueule horrible

cours près de philippe
je reste nerveuse parce qu’il ne m’a pas proposé d’entrer dans son futur mouvement  politique comme il l’a proposé à d’autres
me croit-il non valable

puis beaucoup de gens au repas entre philippe toujours et rémy et mon petit anar d’un soir et puis vite marianne
mais où est daniel

et puis brice (Brice Lalonde)
même brice qui dit
tu es toute rose
je réponds toujours
ah

et yannis
et michel devant qui je passe très vite

cours avec philippe on s’entend bien et c’est passionnant
plus tard je le retrouve à la bibliothèque il discute avec un voisin

moi je m’avale en deux heures à peine les luttes de classe en france de marx et engels

puis philippe me parle de ses problèmes pour le mouvement et je comprends qu’il m’impliquait a priori dans son truc
je suis flattée mais il me laisse toute liberté d’adhésion ou non à ce nouveau parti socialiste destiné à rajeunir le s f i o section française de l’internationale ouvrière
simplement il refusait de me recruter comme d’autres

puis longtemps il me parle de ses problèmes
ça m’ébranle ça m’inquiète un peu ça me flatte aussi
est-ce mon physique qui lui donne cette confiance en moi
mon physique de petit page comme il dit

je n’ai pas vu daniel le soir
peut-être n’était-ce qu’une illusion entre deux rayons de soleil et un fragment de ciel


mardi 25 février 1969

mardi long et lent
je perds beaucoup de temps à feuilleter des livres dans les libraires proches de la maison dont la librairie nouvelle en bas de l’humanité voisine
puis tardivement je me lance dans un bouquin d’histoire
je n’ai pas fait grand chose
zut


mercredi 26 février 1969

je me réveille trop tard pour aller au cours de rouvier mais je m’en fiche
son cours est hors sujet
je préfère rester étudier l’histoire du sort des paysans avant de foncer à vincennes où j’écoute pendant deux heures sans relâche le cours sur la lutte des classes et le 18 brumaire
enfin je suis l’histoire j’en comprends le sens tout s’éclaire

ensuite le cours de poulantzas sur la théorie marxiste du travail me paraît évident
il m’aura fallu deux ans de droit et un de sorbonne pour comprendre ça

puis au restau u marianne qui s’étonne de me trouver toujours aussi pimpante et daniel arrive
j’aime le regarder droit dans le visage au cœur des yeux
j’aime son autorité
j’aime moins la présence de marianne parce que je la gène malgré elle


jeudi 27 février 1969

margot ma cousine me réveille au téléphone elle est à paris c’est formidable
elle arrive vers midi et demie toujours en retard
je suis ravie de la revoir

elle m’accompagne chez le dentiste et en m’attendant va se balader du côté de la sorbonne

puis nous allons vers la rue d’assas attendre simon à l’i s e p institut supérieur d’électronique de paris

en chemin une douleur commence à envahir mes muscles du dos puis des épaules et enfin de la poitrine je respire avec peine et quand je m’assieds à l’école électronique c’est la crise d’asthme
la vieille secrétaire douce et dynamique m’offre du rhum et du thé
de l’alcool comme marcel proust quand il prend le train pour balbec avec sa grand-mère

simon est en cours

en attendant le bus je suis obligée d’entrer dans une boutique
la fille est aussi très attentionnée
je retournerai lui acheter des pulls

la douleur cette nuit persiste encore
j’ai affreusement envie de vivre
pas de mourir


vendredi 28 février 1969

j’ai mal toujours mal
chaque mouvement chaque souffle est une torture
je dois pourtant aller à maubert porter des trucs pour gault-et-millau
je grelotte je transpire
j’ai mal au dos

je rentre enfin
après un œuf à la coque et un yaourt je m’offre un whisky à l’aspirine et je m’endors

le soleil erre sur les murs
je voudrais
je veux
daniel

je me sens perdue
j’ai mal
rien n’a d’importance
dans vingt jours je l’aurais peut-être oublié
mais peut-être aussi
l’aurais-je
aimé


Écrit en février 1969,

Gaelle Kermen, Kerantorec, le 28 février 2019


69-lettre-Occupation-2
Recto de la lettre recommandée du restorat arrivée en retard en raison du déménagement de l’île Saint Louis au 10 boulevard Poissionnière.

69-lettre-Occupation-1
Un seul feuillet plié et agraffé pour être sûr qu’on avait reçu la lettre recommandée.

Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M


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Fac de Vincennes 1969-Janvier

Il y a cinquante ans, au mois de janvier 1969, je m’inscrivais à la nouvelle université de Vincennes, appelée alors Centre Universitaire Expérimental de Vincennes, le CUEV. Je reprends mes notes publiées dans Les maquisards du Bois de Vincennes et le Journal 60 pour donner une idée de l’ambiance de l’époque. J’ai aimé cette fac, plus que la Sorbonne et la fac de droit d’Assas. Je m’y suis sentie comme un poisson dans l’eau. Elle a forgé mon esprit critique, m’a donné de bonnes bases culturelles, une excellente méthodologie et les techniques de lecture rapide et de frappe dactylographique qui me servent encore tous les jours. Ces articles sont ma contribution à la célébration des 50 ans de Vincennes.

Mon Journal de l’année 1969 n’a pas été écrit sur un cahier à grands carreaux Héraclès ou Clairefontaine comme les autres années. J’ai pris mes notes sur un agenda disposant d’une page par jour. Le style devient plus rapide, plus concis. Toujours sans ponctuation ni majuscule.

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J’ai changé des prénoms pour la publication des cahiers 1960. Pierre est le Michel des Pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne. 69 fut une année érotique, ô combien érotique ! Mais dans ces pages de cinquantenaire, j’élague cette partie intime pour conserver ce qui concerne la fac de Vincennes. Je garde tout ce qui est repérages de l’époque, comportements, modes de vie, styles, mobilier, objets, cuisine, livres, films, théâtre, restaurants, cafés, politiques…

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***

Le mois de janvier me voit décider de quitter Nantes où je m’étais inscrite à la Faculté des Lettres, pour m’inscrire à Vincennes, la nouvelle université, créée pour répondre aux demandes des étudiants de Mai 68. J’y retrouve de nombreuses personnes connues à la Sorbonne ou au Quartier latin.

On me propose de travailler comme styliste de mode chez Rychter, une marque de tricot. Je reste à Paris chez ma sœur, d’abord dans l’île Saint-Louis, après le déménagement du Pot de fer. Puis, au 10 boulevard Poissonnière, quand elle devient secrétaire de la revue Gault-et-Millau et qu’elle bénéficie d’un logement de fonction, à côté de l’immeuble de l’Humanité, face au cinéma Le Rex.

Au cours de janvier 1969, je déménage de Nantes, 44, à l’île Saint-Louis, 4e, et de la rue Visconti, 6e, au boulevard Poissonnière, dans le 10e.

La vie à Vincennes commence. Intrépide, rapide, ardente, passionnée, enthousiaste.


Mercredi 1er janvier 1969

réveillon dans un lit avec ma sœur
dans l’île saint-louis où elle habite en ce moment et où je l’ai suivie
beaucoup dormi
raté rendez-vous avec la bande à geismar et glücksman au balzar parce le balzar est fermé le mardi
et puis assoupissement de l’île

télé julie driscoll et les beegees
je suis contente de commencer quelque chose de nouveau
surtout une année
que ça soit positif


Jeudi 2 janvier 1969

douceur de l’île saint-louis
les matins qui s’étirent
envie de robe de velours
mais envie de formes modernes

dynamisme piscine

je n’arrive pas à me décider si je rentre à nantes dans quatre jours ou si je reste à paris pour m’inscrire à vincennes
pour foncer
être entièrement dans le coup

au ramsès où je ne fais que passer bleiptreu me donne d’autorité le téléphone de rychter la maison de prêt-à-porter tricots
pour mon avenir créateur
est-ce un signe
si j’ai un boulot je reste à paris d’autant que peut-être je serai logée gratis


Vendredi 3 janvier 1969

je crois que je vais rester à paris
intuition
bien commencer quelque chose pour arriver quelque part
at least
at last


Samedi 4 janvier 1969


alexandra m’appelle
aurélia m’appelle
j’ai beaucoup d’amies
on a voulu aller à vincennes mais la fac est fermée

ma sœur vient de se voir proposer un boulot sensationnel
secrétaire assistante dans une revue gastronomique et touristique faite par les critiques gault et millau
en plus on lui propose un appartement de trois pièces cuisine salle de bain et tout

nous pourrons habiter ensemble
en étant indépendantes
et travailler
surtout moi parce que ce n’est pas au quartier mais près du sentier et des trucs de couture


Dimanche 5 janvier 1969

saint-leu crise d’asthme of course
au fond comme ça j’échappe au repas de famille avec ma grand-mère mon cousin et sa femme qui est assez fatigante parce qu’elle pose des questions sans écouter les réponses

je tricote quand je vais mieux
je mets l’après-midi à lire le monde d’hier

je me sens désormais personnellement concernée par les problèmes internationaux et intérieurs
maintenant que je suis au courant
l’essentiel c’est d’être dans le coup

j’ai aussi des envies de robes d’hôtesse au tricot longues et mousseuses

retour le soir dans l’île saint-louis


Lundi 6 janvier 1969

c’est fou ce que je dors dans l’île

mon frère louis vient enregistrer des disques de dylan avant de regagner la caserne
demain il part à djibouti où il sera moniteur de voile pendant son service militaire

piscine je nage beaucoup et mieux

vincennes beau soleil d’hiver sur le bois

a g dans truc moderne ça me plaît

la première personne que je rencontre est une fille rencontrée à la sorbonne l’an dernier elle fait partie du comité d’action

je rencontre aussi un m l marxiste-léniniste qui enseignera en philo ou socio et une fille qui nous avait apporté à la trésorerie du fric donné par les chanteurs de bobino en grève active

au ramsès bleiptreu me dit de téléphoner le plus vite possible chez rychter qui a besoin d’une modéliste il l’a vu hier mais je n’arrive pas à le joindre

ma vie à venir risque d’être formidable


Mardi 7 janvier 1969

aller à vincennes pour transfert dossier de nantes

vincennes sous les pluies
un peu triste mais envie folle de commencer enfin un genre d’enseignement nouveau

buci passage
soloman me parle de pierre
mais qu’est-ce qu’ils ont tous à me parler de lui
heureusement que je crève d’humour
et que je m’en fous


Mercredi 8 janvier 1969

aller à vincennes
2 h christine au ramsès
alexandra
5 h téléphone gérard
aller chez rychter

perdu mon temps avec christine et alexandra puisque j’arrive trop tard à vincennes pour m’inscrire

mais entrevue intéressante chez rychter
je crois avoir compris ce qui m’est demandé
une de mes qualités est de comprendre vite


Jeudi 9 janvier 1969

il fait beau à nantes merveilleusement
départ très tôt le matin pour nantes où je rentre chercher mes affaires
je n’ai plus l’habitude de me lever si tôt il va falloir la reprendre pour travailler
il me faut tellement tellement toujours travailler

c’est un peu dommage de partir
mais je ne regrette rien


Vendredi 10 janvier 1969

lever tôt aussi aujourd’hui
pour repartir à paris avec tonton francis et le petit erwan

je commence à noter des idées de tricots


Samedi 11 janvier 1969

je me mets sérieusement au travail
mais appels téléphoniques de mes meilleures amies

je me fous des histoires de nanas

après-midi visite du futur appartement boulevard poissonnière
sur les grands boulevards
face au cinéma rex
à côté de l’humanité
plein sud avec balcon
ça va être sensationnel
jamais nous n’aurions pu espérer ça

en tout cas je vois parfaitement ma chambre
très moderne très nette avec un mur en vitres une table à dessin assez grande devant la porte-fenêtre et cetera
j’y travaillerai très bien


Dimanche 12 janvier 1969

ma sœur part à saint-leu vers 11 heures passées
je vais à la piscine de pontoise après m’être baladée du côté de la mouff
je nage beaucoup sans fatigue maintenant
je rentre je bouffe me fais jolie et note quelques idées

puis je sors pour aller chez pierre puisque j’ai besoin de dessins qui sont restés rue visconti et que ce matin aurélia m’a appelée pour me dire qu’il me cherchait et qu’il fallait que je me méfie
comme si je ne savais pas que pierre serait seulement ravi de me voir
ce qui ne rate pas

pot au buci
puis je l’accompagne chez lui parce qu’il a pour moi une locomotive miniature jouet
c’est original comme cadeau de noël
il est tellement sûr que je serai une locomotive si je ne rate pas le train

pour ma sœur il me donne un tatou
puis je dîne avec lui rue privas

nous avons toujours beaucoup à dire

je rentre et je travaille jusqu’à trois heures du matin


Lundi 13 janvier

7 h 30-8 h gérard rychter

c’est ce soir que je saurai si je serai une grande styliste ou pas
la locomotive

plaisir de rencontrer pierre dans la rue d’être invitée à déjeuner
ça n’arrivait pas quand je vivais avec lui

symphonie triomphante de mozart et repos entre deux dessins
j’ai fait beaucoup de dessins

vu gérard rychter
il trouve qu’il y a beaucoup à faire et que je suis très dans le coup
peut-être n’est-ce pas assez tricot
trop couture

je dois faire d’autres croquis

lui aussi s’inscrit à vincennes


Mardi 14 janvier 1969

je pensais aller à vincennes m’inscrire mais mes meilleures amies décidément ne m’oublient pas
de plus les peintres viennent dans le studio alors en attendant mon rendez-vous avec aurélia je dessine

puis je passe chez pierre
il est tout beau
tout heureux de me voir

son coup a marché il a passeport et tout
bref il m’invite à voir mister freedom de william klein
puis à manger une côte de boeuf au pop hot

je le quitte à deux heures du matin


Mercredi 15 janvier 1969

inscription vincennes

fragments les chinois avec terzieff

vincennes matin finalement je m’inscris en dominante sciences politiques en espérant que la licence sera créée

vers 6 heures je vais au quartier ne sachant si je vais ensuite à saint-leu ou si je reste avec pierre
au cas où il n’a pas oublié qu’il m’a invitée à aller au théâtre voir terzieff dans fragments

je rencontre devant le buci ses frères
et maïté qui veut que j’aille avec elle voir pierre rue visconti

je vais chez hélène très triste parce que yannis passe ses journées à vincennes et la laisse seule

puis je trouve pierre au buci
il pensait que je ne viendrais pas

théâtre excellent comme toujours avec terzieff

nous dînons au pop hot
nous évoquons les histoires de la sorbonne
mais c’est dommage je n’ai plus confiance politiquement

je reste la nuit avec pierre


Jeudi 16 janvier 1969

rosemary’s baby avec pierre
angoisse mais je connaissais déjà l’histoire je ne suis pas choquée
dehors il fait froid j’ai mal au cœur

pierre m’entoure m’offre des huîtres
quand nous rentrons j’ai une crise d’asthme
je suis nerveuse et révoltée par la poussière de la pièce et la crasse ambiante


Vendredi 17 janvier 1969

pierre a essayé de me calmer mais n’a réussi qu’à aggraver mon état
il prétend que je suis injuste qu’il cherche seulement à m’aider
et moi je ne supporte pas

je pars tôt

j’ai une crise pénible angoissante

maman arrive je décide rapidement de rentrer à saint-leu avec elle


Samedi 18 janvier 1969

11 h sciences po réunion à vincennes

j’arrive tôt à vincennes
enfin un quart d’heure avant la réunion ce qui représente un tour de force
les profs auront fort à faire
nous n’hésitons plus à les contrer
il n’y a plus de barrières hiérarchiques
je n’ose pas encore prendre la parole mais ça viendra

un type qui était deux rangs derrière moi vient s’asseoir à côté de moi il est sympa plein de vie je crois que je m’entendrai bien avec lui et c’est pratique de pouvoir désormais tout de suite tutoyer les gens

je rentre dans l’île
per-jakez doit aujourd’hui me rapporter les derniers bagages restés à nantes


Dimanche 19 janvier 1969

faubourg poissonnière

dessins

per-jakez nous réveille
toujours ponctuel précis sûr certain solide
je suis contente de le voir
et puis il est mignon il a un très beau sourire
il nous conduit boulevard poissonnière
j’aime sa façon de conduire rapide et efficace sécurisante
per-jakez c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau en moi
c’est toute l’intégrité de l’enfance

je fais mon rideau de toile cirée jaune puis nous rentrons
et je dessine jusqu’au soir

pierre n’a pas rappelé pendant que j’étais là


Mercredi 22 janvier 1969

soir rychter grandes discussions
il va essayer de faire trois de mes modèles

alors pierre je m’en fous


Jeudi 23 janvier 1969

midi je frappe rue visconti pas de réponse
je suis folle de rage maman doit venir tout à l’heure pour m’aider à déménager

je reste avec son frère au buci

à une heure trente nous allons rue visconti
pierre a ouvert il paraît très dur et dit qu’il ne pouvait pas ouvrir tout à l’heure
bon j’ai compris il y a une nana dans son lit à côté
d’ailleurs son sac est là

maman et philibert sont arrivés avec un immense far breton que maman a fait spécialement pour pierre

déménagement
nous prenons un maximum de choses

pierre me demande de passer demain à midi pour l’enregistrer sur l’occupation de la sorbonne

boulevard poissonnière je fais des rideaux encore et range l’appartement

à six heures vincennes où je dois avoir réunion d’information de sciences po

des types du comité d’action arrivent
flics à la sorbonne
profs exclus
manifs
grève votée avec occupation

arrive le type sympa de l’autre jour
je reste manger au restau u et rencontre aurélia 

a g à 8 h je décide de rester
mon copain est à la tribune
glücksman est très beau


Vendredi 24 janvier 1969

toujours à la fac

à une heure à la cafétéria je retrouve mon copain très étonné de me voir là

les voilà
aurélia fonce
moi aussi mais sans voir grand-chose
les c r s courent partout
je suis entrée dans le bâtiment c
je me retourne
les c r s entrent dix mètres derrière moi
je fonce tout droit dans l’escalier et me retrouve dans la zone d’autodéfense où je ne voulais pas aller étant non-violente
attente
longue attente
on se sent tous proches
révoltés de voir les c r s faire les cent pas en bas devant les amphis

puis attaque
je monte au 2e étage avec ceux qui ne veulent pas se battre
on étouffe on pleure
on entend crier
descendez
on descend
ne les touchez pas

alors vous n’êtes pas mieux là
grand amphi
on respire si bien ici

attente des autres
puis on est tous embarqués dans les cars vers beaujon

à beaujon attente
parqués dans des cellules
serrés comme du bétail

slogans
nous sommes tous des juifs bretons
on a tous tué marcovic

fouille
identité
photos
fichage

attente
on entend des cris
pour nous mettre en condition

je commence à ne plus pouvoir respirer

à trois heures de l’après-midi on nous relâche
là dans la rue devant l’hôpital j’ai une crise d’asthme épouvantable

j’appelle ma sœur qui a dû s’inquiéter
aurélia l’a réveillée à trois heures du matin pour lui dire que je serais battue matraquée et tout
parce qu’aurélia elle s’est tirée
elle a eu raison d’ailleurs

je me repose me restaure m’endors

ma sœur revient nous allons dîner chez maya rue de fürstenberg


Samedi 25 janvier 1969

pierre nous réveille au téléphone vers onze heures
il est très brillant
il ne part pas aujourd’hui parce que les banques sont fermées et qu’il ne peut toucher le chèque qui devait payer son voyage
il veut que je l’enregistre sur ses histoires de la sorbonne
il n’a pas dormi
son appartement avait été mis sens dessus dessous par ses futures occupantes
et puis il a eu des histoires avec des nénettes

moi il m’embête avec ses conneries
mais je fais assaut d’humour comme d’habitude

maya arrive vers midi
je me lève avec effort
j’ai des difficultés à retrouver mon rythme respiratoire

piscine eau trop froide ou moi trop fatiguée je perds complètement mon souffle

je m’endors après le repas tout l’après-midi jusqu’à huit heures

dîner avec ma sœur au théâtre de la ville

puis visite chez hélène qui nous coupe les cheveux
il y a deux cinglés chez elle en plus de yannis


Lundi 27 janvier 1969

15 h vincennes marxisme et théorie de marx
17 h vincennes sociologie des classes sociales

il paraît qu’on risque des sanctions pour avoir occupé vincennes

je rencontre jacques de la sono sorbonne et philippe de l’occupation qui me dit
voilà ce que c’est de devenir gauchiste
ah bon


Mardi 28 janvier 1969

10 h 30 vincennes national-socialisme amphi 3
étrangeté de me retrouver dehors avant dix heures

cours avec rouvier jeune sportif actif brillant et horriblement cabot
ne cesse de nous parler de ses petits copains edgar faure et autres
mais son cours est pour l’instant intéressant

rencontre michel mon petit camarade de droit
ravi de me voir
était déjà dans l’amphithéâtre quand nous avons été pris dans la zone d’autodéfense
m’avait fait de grands signaux que je n’ai pas vus

bon on ne se quitte plus on mange on prend le café

l’après-midi je rentre à paris
j’ai mal aux dents
je rate toute ma fin de journée


Mercredi 29 janvier 1969

10 h 30 national-socialisme
16 h sociologie économique

il y a beaucoup de choses pour lesquelles on peut et doit lutter
mais pour ça il faut être fort

cours avec rouvier il m’énerve
paraît que dès qu’il lève le petit doigt le monde s’empresse de faire des articles
on verra
de plus son cours devient trop érudit
on veut de l’action cher professeur

après le déjeuner je finis par retrouver michel
on passe les tests d’anglais ensemble c’est marrant

puis il part
je reste à l’a g de socio
puis on reste pour éco po
pour voter la motion contre la participation

arrive aurélia
puis brice aussi

a g successives

je dîne avec yannis qui mourait de faim

socio économique
a g de psychanalyse près de glücksman


Jeudi 30 janvier 1969

18 h histoire des idées politiques

nuit de souffrance atroce je deviens folle avec ces foutues dents

j’ai dit à pierre que je n’aurai pas le temps de le revoir avant son supposé départ à londres déjà retardé de huit jours ni pour l’interviewer sur mai
mai on s’en fout maintenant
et je perds mon temps

à part ça difficultés pour faire soigner mes dents

mais vincennes c’est passionnant
avec michel mon petit camarade de droit on intervient tout le temps on va avoir fort à faire avec les types de l’u e v union des étudiants de vincennes

jeu de mots quitte cette u v rejoins l’u e v

cours très intéressant


Vendredi 31 janvier 1969

18 h 30 droit constitutionnel
21 h 30 soirée chez kiki féraud

si nous voulons lutter activement il va nous falloir d’abord travailler comme des dingues
ça a bien commencé
il nous faut être les plus forts

je rencontre toujours michel
à la bibliothèque nous nous retrouvons entre deux livres
il est sympa
nous travaillons ensemble assez longtemps

soir je vais chez kiki à un dîner avec gilbert le frère de pierre
j’avoue que ça ne m’amusait pas mais ça ne se passe pas trop mal
gilbert a l’air de plaire à yves le fiancé de kiki

je me sens un peu bizarre au début
sortant de vincennes comme ça
me retrouver là c’est étrange
j’ai les yeux qui s’enfoncent

comme dit tout de suite yves
avec des yeux pareils ou on fait beaucoup l’amour ou on fait la révolution

ah


Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
Journal 60, Gaelle Kermen, 2012 http://books2read.com/u/m2v26o
Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne, Gaelle Kermen, 2018 https://books2read.com/u/4Dlz2O


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 31 janvier 2019


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