Fac de Vincennes-juillet-1969

mardi 1 juillet

nuit je me couche enfin après avoir rédigé un grand baratin sur les coopératives agricoles
passé une belle journée de soleil à vincennes où je n’ai d’ailleurs à peu près pas travaillé
mais j’ai vu des gens
je leur ai parlé
ça m’a permis de penser à oublier donald qui ne sait pas ce qu’il perd en me négligeant

j’ai rencontré un type d’archi qui s’occupe de la commission crèche de censier et aimerait que je m’intègre à leur groupe de recherches sur la création de mobilier pour enfants
dans ce groupe il y a aussi celui que j’aime bien d’archi et d’urba
mon beau barbu
il s’appelle michel
et m’attire follement


mercredi 2 juillet

vincennes étouffant
j’y vais pour faire mon exposé sur le front populaire et la paysannerie

lorsque nous redescendons de la salle de socio la fac a été transformée en camp retranché en zone d’autodéfense
ça a une certaine gueule d’ailleurs ces tables dressées à intervalles réguliers sur les passerelles qui relient les bâtiments
avec un casque accroché au pied supérieur droit
avec un couvercle de poubelle en bouclier entre chaque table
avec les lance-pierres et les tas de galets
et au milieu éclatant de rouge le drapeau de la gauche prolétarienne
mais je fous le camp


jeudi 3 juillet

j’ai promis à martine de faire avec elle un topo sur les g a e c
je suis donc obligée d’aller à vincennes
en fait nous parlons d’autres choses
elle a énormément de problèmes et elle les aime
je rédigerai le topo toute seule en définitive

ce soir je prends le train pour quimperlé
départ bretagne
dix heures
beaucoup de monde
chaleur
je suis obligée de prendre un supplément première classe
je suis très fatiguée
et me repose mal


vendredi 4 juillet

à six heures du matin dans le café en face de la gare de quimperlé je me remets au travail
moëlan le matin
kerfany au soleil
mes yeux s’enfoncent de fatigue
je nage dans l’eau verte et fraîche

mariage de soisick et filou chapelle du pouldu
elle tellement jolie dans la robe de shantung blanc que j’ai conçue pour elle
tellement heureuse et rayonnante
sa chère maman m’embrasse
petite chapelle sur la prairie non loin de la mer
simplicité de la cérémonie
grande beauté
beaucoup de monde
on me félicite pour la robe

ma fatigue m’envahit

en écoutant les souvenirs de la sorbonne évoqués par madame vogt femme du proviseur du lycée saint-louis j’ai l’impression d’être un an en arrière avec cette fatigue qui m’assomme


samedi 5 juillet

le chemin vers la mer
tout a été joli dans ce mariage
tout sauf moi
qui ai fini par pleurer comme une source
pleurer de lassitude
de dégoût de moi-même
incapable de garder ou d’aimer quelqu’un plus d’un mois
j’ai honte de moi

mais madame po m’a réservé une chambre dans la maison entre les pins au-dessus de beg-porz
j’ai tellement rêvé ça
per-jakez
la rivière

soisick m’a dit
tu prends le chemin qui descend vers la mer

mais je ne suis chez moi nulle part
je travaille

plage
per-jakez
nous n’aurons jamais rien à nous dire
je ne saurai jamais ce qu’il pensait


dimanche 6 juillet

la pluie est venue
large pénétrante envahissante
j’ai froid
ce pays n’est plus pour moi
j’ai hâte de rentrer à paris
de retrouver l’appartement blanc
sa douce chaleur
mes habitudes et mon travail
écrire

je m’ennuie parmi mes amis d’enfance
ils ont un rythme de vie que je n’accepte plus
trop lent pour moi
tout leur temps est passé à le perdre à le laisser couler
je ne sais pas faire ça

je rentre à paris avec le frère et la sœur aînés de filou
pluie et vent
c’est même une tempête


lundi 7 juillet

je dors
j’étais tellement fatiguée
en fin d’après-midi je me mets à taper mon rapport
mon cousin simon vient dîner avec nous
il part demain au québec

j’ai soudain envie de voyager moi aussi
d’aller étudier ailleurs
voir ce qui se passe sous d’autres latitudes


mardi 8 juillet

fin du rapport sur les g a e c
je suis assez contente
bientôt je serai très informée des problèmes agricoles
je pourrai faire des articles plus personnels
peut-être élaborer des solutions
penser autre chose
voir sous un autre angle
mais avant je dois beaucoup travailler

donald entendra parler de moi
mais peut-être n’avions-nous rien d’autre à faire ensemble


mercredi 9 juillet

j’ai remis à duroux directement mon topo sur les g a e c
il a paru intéressé de voir que je ne m’étais pas contentée de lire des bouquins mais que j’étais allée sur le terrain
il compte sur ma participation l’année prochaine dans un groupe de recherche sur l’agriculture
j’apparais de plus en plus comme la spécialiste des questions agricoles à vincennes
ça ne me déplaît pas
c’est original
ça va me faire treize unités de valeur
j’en ai fait gagner deux à martine en apposant son nom au mien à la fin du rapport
je suis trop bonne
mais j’en ai rien à foutre


jeudi 10 juillet

je dors
je dors

je vais enfin toucher mon salaire de monitorat

pas énorme mais c’est déjà ça
volupté de pouvoir enfin m’offrir la révolution rurale en france de gordon wright
il parle de bernard lambert
alors
lambert

volupté de manger une glace au wimpy de la rue soufflot
de choisir mozart pour anne
et dylan pour moi

à la f n a c fédération nationale d’achats avec le cher emmanuel du c r a c souvenir d’il y a un an à la sorbonne

dylan et ses arrachements de cœur et d’harmonica
et pour finir
le film easy rider
très marcusien


vendredi 11 juillet

zut de nouveau j’ai envie d’être amoureuse
à croire que dès que je ne travaille plus je me sensibilise
mais j’en ai marre de mon corps que j’entretiens qui s’arrondit qui embellit et qui sert à rien ni à personne

j’aurais aimé être comme jolie soisick toute douce d’amour et d’attente éblouie

malheureusement je suis obligée de constater que je suis de celles qui luttent qui n’attendent pas qui travaillent qui aiment sportivement
tout ça pour ne pas souffrir

mais donald
tiens pourquoi je repense à lui
est aussi comme ça
non c’est faux
il souffre mais pas pour moi

donald pourquoi je t’ai rencontré
qu’est-ce que tu peux faire sur ma route
toi qui m’exaspères parfois au point que je voudrais ne jamais t’avoir connu
toi qui me fais hurler mais à l’intérieur seulement
parce que je suis encore trop lâche
ou que ta voix
ta voix que je voudrais détester
ta voix censée qui posément donne son avis sur tout
ta voix grave
ta voix belle
est malgré tout convaincante
toi que je voudrais rassurant
toi qui pourrais l’être
toi qui pourrais me protéger me sauver de tout
toi qui saurais si bien
si tu voulais
si tu osais
simplement
ne pas passer à côté de ma vie
toi dont je me dis parfois que nous n’avons rien en commun
pour ne pas penser en vain à toi
toi qui je m’efforce de le penser ne m’aime pas
toi que je m’efforce de le croire je n’aime pas
mais il y a l’envie de ton corps sur le mien
ton corps dont j’apprends les contours
ton corps que je reçois avec soif
et qui m’alanguit

c’est fous
comme je le désire
comme je l’attends
comme je t’attends
l’envie de faire un enfant
comme si on avait jamais le droit de faire un enfant
mon frère philibert avec le désespoir légitime de ses quinze ans l’avait si bien exprimé
on n’a pas le droit de mettre des enfants au monde dans un monde comme le nôtre
dans sa naïveté exigeante et acerbe il avait peut-être raison philibert


samedi 12 juillet

voilà j’ai trouvé mon exutoire
je vais en le recherchant aimer brendan
brendan qui fut
mon plus bel amour
le seul vrai

et regardant les autres en transparence
il ne les jugeait pas
il les aimait

j’ai écrit ça dans un devoir pour casamayor


lundi 21 juillet

en rentrant de la piscine en fin d’après-midi nous avons traversé l’île saint-louis
je tremblais un peu quand même en approchant de sa rue
en tournant la tête rapidement j’ai aperçu sa triumph blanche
j’ai senti mon propre corps mince élastique étiré dans sa peau lisse

je vais revoir marc
demain ou après
je lui avais déjà trouvé quelque charme
l’an dernier


mardi 22 juillet

soirée passée avec jean qui me fait faire ses doubles-rideaux

jean réapparaît comme s’il savait que hélène est seule
il a gardé les panneaux de toile de jute de la rue maître albert
décorés par isaac
il n’a rien oublié lui non plus

j’ai senti de nouveau
impérativement cette fois
que je devais partir à la recherche de brendan
de tout ce qui fut nous
de cet amour que nous avions en trop
à l’époque du pot de fer

mozart haute fidélité
après buster keaton dans un paris chaud et un quartier latin qui ne me reconnaît plus


mercredi 23 juillet

jour chaud encore
je traîne parmi les bouquins sur l’agriculture

ça y est j’ai commencé mon bouquin
toutes ces coïncidences
en hyperfréquences
je dois maintenant accoucher de brendan
il y a trop longtemps que je le porte en moi

soir hélène appelle
on va chez elle à pied
en passant devant le buci je pense que c’est un jour rêvé pour rencontrer nigel
mais c’est évidemment improbable

eh bien si
à l’angle buci seine
il est assis
à la terrasse du café conti
tout est possible
tout est permis


jeudi 24 juillet

c’est incroyable
mais vrai
je suis toujours amoureuse de nigel
c’est confortable cet amour qui revient chaque fois que je le revois
il passe
je le sais
tout est bien


samedi 26 juillet

journée bizarre
énervement du réveil
lassitude et mauvaise humeur
en allant déjeuner chez yvon petit de voize mon merveilleux frère-ami compositeur d’enfance
qui en dessert nous offre un concerto de piano de sa composition

et puis le soleil hélène et élise

je rentre pour me préparer à sortir
paradoxe
je dois rejoindre kiki à la boutique féraud
je pense soudain à donald que j’aurais pu inviter

le téléphone sonne
c’est donald qui m’appelle et m’invite
à une soirée piscine dans la vallée de chevreuse
j’accepte
après tout qu’est-ce que je risque
souffrir un peu après si de nouveau il me perd


dimanche 27 juillet

la maison faisait penser à celle du défilé de mode dans le film de william klein qui êtes-vous polly maggoo elle sert d’ailleurs de décor de cinéma
elle est intégrée dans la nature mais très moderne à l’intérieur
belle nuit dans cette piscine qui fait partie de la maison
j’ai un corps fait pour l’eau et pour l’amour
tous ces mecs je pourrais les faire valser
comme je le voudrais
mais ça ne m’intéresse pas

qui m’intéresse
donald
je ne sais même pas

brendan m’obsède
comme si j’attendais qu’il parle
qu’il me parle
qu’il dise ce qu’il est à faire
je l’écouterais


mercredi 30 juillet

toute la journée j’ai pensé à donald
à son petit camarade camille
à jean-pierre un des types qui étaient là l’autre soir devant cette piscine de rêve hollywoodien
je suis toujours partagée entre mes désirs et mes réalités
je ne me sens pas tellement efficace en ce moment
de quoi ai-je besoin

soir chez hélène

anne a rencontré emmanuel qui a rencontré pierre qui lui a annoncé son prochain mariage avec une jolie blonde qui n’a rien dans la cervelle
ben c’est ce qu’il avait de mieux à faire
mais elle je la plains


jeudi 31 juillet

per-jakez en rêve d’eau
ineffable intangible et intact

yannis est revenu
il revient à hélène comme l’enfant à sa mère
il revient se faire plaindre soigner et laver son linge
ils sont tous pareils
pas un pour racheter l’autre

j’ai ce mois-ci commencé quelque chose d’essentiel
mon livre sur brendan
je dois le finir pour tordre le coup définitivement à mes fantasmes
quand j’aurai retrouvé brendan
je serai femme
réalisée
en équilibre

ça va être dur je le comprends chaque jour
et ce n’est pas la feuille blanche qui est à craindre
ce sont les autres
quand j’aurai compris que je les aime je serai sauvée


Écrit en juillet 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M

Gaelle Kermen
Kerantorec, le 2 juillet 2019


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Fac de Vincennes-juin-1969

dimanche 1 juin

baptême à saint-leu d’un petit richard dont les parents habitent la maison temporairement
petit vietnamien aux yeux plissés sur le monde et sur les autres
anne est la marraine

hier soir nous avons choisi le cadeau
immédiatement j’ai vu le plus utile une table à langer baignoire
je suis sûre que je saurais parfaitement m’occuper d’un bébé avec la même fermeté que maman
alors je serai vraiment femme
sûre
solide

j’ai de nouveau envie de vivre à plein
pas à demi
pas petit

je sens mon corps
je recommence à l’aimer
j’ai confiance en donald


samedi 2 juin

casamayor prétend que je n’écoute pas que je regarde ailleurs
c’est drôle je lui reprochais justement de ne pas écouter
tant pis

le plus drôle ou le plus triste c’est que l’administration prétend me payer quelque chose comme 263,33 francs par mois pour le boulot que je fais aux monitorats c’est à dire à peu près douze heures par semaine avec des trucs de secrétariat en plus du travail intellectuel constant

à part ça attente ce soir
vaine
dommage j’étais en pleine forme
don veut-il me faire mourir d’envie de lui
je veux l’amour avec ma bouche mes mains mon ventre
et le garder tout au fond de moi


mardi 3 juin

mal de tête
mais bon travail de groupe
la bande m’invite à une pendaison de crémaillère ce soir
sur la lettre d’invitation il y a le dessin d’un nourrisson
oh good grief
mais j’appelle donald
il n’est pas là
je rentre
un ticket de métro est glissé dans la porte
petit jeu naïf de pierre

je m’endors tout l’après-midi
et donald m’appelle et me gardera ce soir


mercredi 4 juin

jamais je n’ai fait l’amour comme ça
comme un volcan
donald est bien comme je l’attendais
très exactement
et je l’attendais
à tel point que je croyais ne plus savoir faire l’amour
c’est vrai je ne savais plus
maintenant je sais ce que je veux
je veux lui
il peut me réaliser


jeudi 5 juin

je suis sûre de moi
je suis satisfaite peut-être
plus du tout agressive
je sais avoir si bien fait l’amour avec lui qu’il ne peut m’oublier
je peux l’attendre
il m’appellera
me rappellera

effectivement il m’a appelée ce soir mais je n’étais pas là

georges monnet m’a rappelée ce marin
un homme charmant
je le verrai la semaine prochaine


vendredi 6 juin

recherche d’un bouquin sur le front populaire conseillé par monnet
ça me passionne

donald me donne envie de tout
et d’abord quand je ne suis pas avec lui de travailler
je suis très calme
il m’appelle vers six heures pour me dire au revoir juste avant son départ pour l’italie
je lui souhaite un bel anniversaire avec deux jours d’avance
il semble touché
il m’appellera dès son retour
je vais l’attendre tranquillement en travaillant
peut-être je l’aime déjà


samedi 7 juin

pour la première fois de ma vie j’ai absolument conscience de la fragilité ou de l’évanescence des rapports entre deux personnes et de ma possibilité de les affermir en fonction d’un but à plus ou moins longue échéance

pour la première fois j’ai envie d’épouser quelqu’un en sachant que c’est possible et qu’il dépend de moi de bien jouer le jeu ou mon rôle

je me sens forte
il est tel que je le désirais
sensuel et esthète

anne la fille de penny et avarro passe deux jours ici avec anne et moi
elle est adorable


dimanche 8 juin

c’est curieux d’avoir une petite fille dans la maison

aujourd’hui c’est l’anniversaire de donald
je pense à lui avec confiance
il doit somnoler au bord de la mer et peut-être se rend-il compte que je lui manque

en tout cas je dois cette semaine tout particulièrement bosser comme une folle sans perdre de temps
la semaine prochaine il sera là

soisick viendra à paris pour que je fasse sa robe de mariée
je crois que je serai inspirée


plaisir_d_amour
Carnet 1969

mardi 10 juin

kiki est un amour elle est forte censée intelligente jolie toute en rondeurs ses joues ses bouches ses seins chez elle tout est rond et je l’adore
nous avons déjeuné ensemble non loin de la boutique
cette semaine nous sommes seules toutes les deux
yves se repose de son accident de voiture chez éva à ris-orangis

il fait chaud sur paris comme donald me l’avait souhaité en partant pour l’italie
je bronze allongée sur la terrasse de notre sixième étage en face du cinéma rex
mon corps reprend de jolis contours
je suis prête pour le retour de don

mercredi 11 juin

ça se voit
je grossis

j’ai grossi
soleil terrasse soleil
j’ai joliment bronzé

cet après-midi rue de buci devant une boutique de mode j’ai rencontré casamayor
il m’a demandé ce que je comptais faire après ma licence
j’ai répondu en regardant la vitrine
des robes

je lui ai expliqué que j’avais besoin de faire quelque chose de mes mains
que ça avait toujours été mon dilemme
choisir entre le stylo et les ciseaux

en tout cas il m’a demandé si j’écrivais quelque chose d’intéressant de le lui présenter pour qu’il le fasse éditer éventuellement


jeudi 12 juin

ne pas attendre
vaincre
mais j’ai tellement envie d’aimer
calmement pleinement sereinement
je voudrais enfin pouvoir ne faire que ça
aimer donald


vendredi 13 juin

georges monnet est très sympathique
j’ai passé deux heures avec lui

belle journée
réunion d’un groupe de travail
discussion intéressante

je rentre avec la pluie et trouve une carte d’italie
donald
qui regrette que je ne sois pas venue avec lui là-bas dans ce petit paradis
et qui signe
bien à toi

oui je le veux à moi
et je suis déjà à lui

étrange complémentarité de nos écritures
j’écris tout en minuscules
il écrit tout en majuscules


samedi 14 juin

donald je t’aime
je t’aime
je t’aime

mais je suis saoule après cette soirée chez catherine et ses amis de belon qui sont trop bien pour moi
il a raison filou quand il dit que je suis une fille de bonne famille qui a mal tourné


dimanche 15 juin

j’attendais j’espérais le retour de donald pour aujourd’hui
mais c’est pierre qui est venu
il m’a réveillée cet après-midi
j’étais nerveuse
le revoir
les cheveux étranges et sales autour du visage
pas beau du tout
pierre m’a agacée

mais où était donald
qu’il vienne
qu’il me sauve

ce soir pompidou a été élu
ces salauds de c d r qui passent en bas sur le boulevard devant l’huma ça me déprime


lundi 16 juin

soir je suis folle de rage il n’appelle pas il n’appellera pas alors tant pis

j’ai ouvert la bouteille de corrida monsieur féraud for men que je lui réservais pour son anniversaire déjà passé je me suis offert corrida je me suis vêtue de corrida

je ne vais pas quitter ce stylo je vais reprendre mes nouvelles les faire éclater exploser
me projeter
pour ne pas penser

pourtant la journée avait bien commencé avec mon cher casamayor

si donald

bon zut il vient de m’appeler et a été tout gentil


mercredi 18 juin

vincennes boycott des élections
j’arrive après la pseudo fête
je perds mon temps
bataille des maoïstes contre les communistes
paraît que je ressemble à mao et je me fais acclamer du toit en arrivant
gaelle gaelle gaelle

on risque la fermeture

je ne veux pas attendre donald


jeudi 19 juin

j’ai peur
l’autre soir j’en ai même pleuré
j’ai peur des flics
peur que vincennes ferme
peur de ce septennat qui commence avec pompidou
peur de ne pas prendre de place dans la vie de donald
peur de tout

ce soir j’ai le cœur au bord des cils
pas d’entrain

puis soudain le déclic en feuilletant mes revues agriculturelles
je fonce à l’u g e a union générale d’études agricoles avenue marceau pour l’agriculture de groupe
j’en reviens satisfaite

et donald m’appelle
il a appelé hier soir aussi

j’ai dit simplement
oh j’étais chez des amis

demain nous sortons ensemble


vendredi 20 juin

l’atmosphère se tend au département droit
c’est fort déplaisant
mais il paraît que je suis moi-même devenue déplaisante depuis que je suis monitrice
c’est marrant ça
surtout lorsque martine m’a rattrapée au service des bourses pour me demander si malgré tout je voulais bien travailler toujours avec elle sur l’agriculture de groupe
ben voyons

donald
je parle trop
cette soirée
deux points je suis trop politisée et je suis jalouse
des filles que connaît donald et que je ne connais pas
je me sens inquiète dès qu’il me quitte et s’attarde près d’une vieille amie qui sourit un peu trop à mon sens

alors je parle aux gens qui viennent s’asseoir près de moi
il y a son ami camille unglik qui crée des sacs et ceintures avec son fouet-ceinture en démonstration
il y a agathe merveilleuse en justaucorps et cuissarde noirs
agathe qui me plaît
son type lorgne mes seins
et puis donald revient

j’ai tellement tellement envie de faire l’amour avec lui
mais qu’il ne me perde pas

mariage d’un ami de belon connu il y a cinq ou sept ans
je me trompe d’église
soisick filou
un musicien ressemble à pierre en plus jeune
c’est gênant
un gros monsieur me drague
filou dit qu’au-dessous du quintal on ne peut plus espérer me séduire


dimanche 22 juin

réveil pénible
anne s’en va
je pleure dans la musique de bach
ces mariages ça me tue

donald appellera-t-il
j’aimerais aussi me marier pour avoir le droit de faire un bébé
mais je ne suis qu’une petite fille encore puisque je pleure

après-midi passée à couper la robe de mariée de soisick
elle vient d’essayer
ce sera très beau très simple

donald n’a pas appelé
je ne comprends plus


lundi 23 juin

ce lundi matin éclate avec martine qui après le cours va voir casamayor pour lui dire qu’elle est contre les monitorats institution aliénante inhibante et tout et tout
je la force à aller jusqu’au bout de ses attaques
elle finit par avouer qu’elle ne peut pas travailler avec luc
j’avais oublié que j’ai été plébiscitée par les étudiants du cours quand casamayor m’a proposée mais que luc s’est imposé pour m’accompagner
c’est grave
ce degré d’agressivité que nous laissons tous s’infiltrer dans nos rapports
c’est épouvantable
tant que nous n’aurons pas franchi cette barrière d’hostilité qui nous aveugle nous ne pourrons pas travailler ensemble
c’est ce que j’ai fini par comprendre moi-même il y a un mois
vis-à-vis de luc justement
ces rapports hostiles une fois dépassés nous travaillons bien


mardi 24 juin

journée pluvieuse froide déprimante banale
vincennes triste
je passe vite

après-midi douce
la robe de soisick devient robe de mariée toute simple

donald ne m’appelle pas
je ne l’attends pas

il m’appellera quand il aura vraiment envie de moi de me voir me toucher me boire m’embrasser me prendre et me garder
peut-être alors serai-je moi-même prête vraiment pour lui

l’autre soir j’avais trop l’impression d’être assise entre deux chaises
j’espère le fauteuil ou le canapé


mercredi 25 juin

il y a des jours où je sors du lit bondissante le matin déjà pleine de vie assoiffée de dynamisme
et d’autres comme aujourd’hui sans joie

est-ce parce que donald semble vouloir m’oublier
ou je ne sais quoi

et puis le soleil revient
je fonce à vincennes
et on discute
et je perds du temps
et je reviens
et je couds la robe de soisick
et le soir donald n’appelle toujours pas

et je lui envoie un mot écrit à vincennes rapidement entre deux chaises deux pages ou deux idées pour l’inviter à m’accompagner au mariage en bretagne
lettre brûlante douce et explosive
comment la lira-t-il


jeudi 26 juin

soisick est adorable dans sa robe toute douce
avec ses beaux yeux bleus et son joli sourire

je reste une heure à vincennes
on a l’impression d’être assis sur de la dynamite
u e c union des étudiants communistes face à la gauche prolétarienne
je me désolidarise de plus en plus des gauchistes

soisick vient de partir avec sa robe
brillante rayonnante intérieurement
elle m’a invitée à aller en vacances à kerfany si je voulais

j’ai presque pleuré
j’irai peut-être parce que le cadre de mon enfance est toujours mon seul refuge contre l’angoisse de rester seule
sans donald
sans amour vrai
je l’ai perdu


vendredi 27 juin

de nouveau j’ai peur de rester seule
quand anne s’en va je pleure
alors je sors moi aussi et fonce vers un centre de coopération agricole
je rentre et j’essaie de m’intéresser à marcuse
je ne suis tranquille qu’au retour d’anne

ce soir comme le ciel était beau nous sommes allées voir la sirène du mississippi de truffaut assez affligeant

j’essaie d’imaginer et de me faire à l’idée que les jours qui viennent je les vivrai sans donald
sans que je comprenne pourquoi
c’est comme ça


samedi 28 juin

je me suis réveillée gaiement
jésus que ma joie demeure
alors je me suis résolue à l’appeler pour savoir s’il n’était pas mort
non il a beaucoup de travail
il va bien
mais trop vite
il est évident que moi là-dedans je n’ai pas encore de place
et je le comprends
mais il ment aussi
je ne sais pourquoi j’ai envie de rire

soir j’ai bien travaillé
j’ai parlé de brendan dans un papier pour casamayor
j’ai lu marcuse

évidemment j’ai fait une erreur ce matin en dérangeant donald dans son travail
mais tant pis
il fallait que je sache n’importe quoi
il a dit qu’il m’appellerait
je n’en crois rien et pense déjà à ces quelques jours de repos en bretagne
sans lui tant pis
il est dommage de se perdre
mais je m’habitue à l’idée


dimanche 29 juin

nuit je travaille à des devoirs pour casamayor
valérie est venue me voir en fin d’après-midi
on a bien rigolé jusqu’au soir
j’ai bronzé encore sur la terrasse
on a parlé du front populaire
j’ai l’impression de vivre avec ce sacré front pop

je pense que les gens vont danser cet été sur des chansons qui chantent les larmes des esclaves comme disait patrice
cette époque est indécente

c’est drôle je suis euphorique
je pense que je ne vais plus voir donald avant longtemps et que j’ai eu raison de lui écrire même si mes mots lui ont fait peur sur le moment
je vais beaucoup travailler et je partirai en bretagne quelques jours
peut-être il retrouvera alors dans un coin de meuble mes quelques lignes oubliées là parce qu’il ne jette rien
il se rappellera peut-être que j’ai su l’aimer
like a woman
et que je sais encore rire
et vivre


lundi 30 juin

j’aborde un nouveau mois cette nuit avec marcuse et un concerto d’albinoni
émergeant des papiers d’anne je vois une feuille avec le signe de l’agence de décoration de donald c’est une lettre adressée par don à gault-et-millau dont anne gère les abonnements

zut c’est trop triste
ou trop bête
mais j’essaierai de l’attendre et d’être patiente
de toute façon c’est tout ce que je peux faire
étudiant marcuse
écoutant leonard cohen
j’ai perdu donald

je cherchais la révolution
je n’y croyais plus
j’ai manqué une marche

au fond je ne vois plus très bien pourquoi je me suis tellement attachée à lui puisque depuis que je le connais j’ai dû le voir quatre ou cinq fois
pas plus
non vraiment

alors il m’oublie
et moi j’embellis
so long
see you
later


Écrit en juin 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M

Gaelle Kermen
Kerantorec, le 2 juin 2019


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Fac de Vincennes-mai-1969

samedi 3 mai

je crois avoir trouvé le moyen de ne plus avoir ces crises d’asthme démentielles
je vais dorénavant faire l’amour
et faire l’amour
et faire l’amour

ça ne peut plus durer
ça fait plus d’un mois ou je ne sais combien que je n’ai pas touché un homme

j’en ai envie
de nouveau

ce salaud de pierre est mort pour moi

je crois que je vais commencer par michel mon petit camarade de vincennes qui a dix-huit ans


dimanche 4 mai tard le soir

jane a appelé de londres tout à l’heure
elle aimerait être mannequin chez féraud
je verrai ça avec louis cette semaine

surtout elle m’a appris que pierre était venu chez elle avec sa nana une blonde vraisemblablement la finnoise que j’avais vue avec lui la dernière fois

quand je pense qu’il a osé m’écrire et m’appeler au secours me dire qu’il avait froid qu’il avait faim qu’il était fauché et
je viens de relire sa lettre
que son seul refuge
était le lit

je suis furieuse
le salaud
je le vomis
qu’il ne reparaisse jamais ici
je lui arracherais les yeux


lundi 5 mai

voilà je suis promue au grade de moniteur du cours de casamayor
ai-je de la chance
j’estime la mériter
j’ai longtemps perdu mon temps j’ai souvent gaspillé mes talents mais j’en avais
je les dois à papa et à dix ans je m’étais juré de ne pas laisser pourrir mes dons
j’y arrive
j’arriverai
je réussirai
ce sera dur
je vais travailler comme une folle mais j’y arriverai

pierre tu serais heureux de ce que je deviens

à part ça une dent de sagesse me donne envie de hurler


lundi 12 mai

me sens bizarre vague triste
je meurs d’être seule
je ne sens plus mon corps

je n’ai pas compris casamayor ce matin
pourquoi tout à coup remettait-il en cause le bon fonctionnement des monitorats
non je n’ai pas compris
ça m’ennuie
enfin demain on va commencer à lui démontrer le contraire

je me languis d’être amoureuse


lundi 19 mai

journée agréable j’ai réussi à avoir par philippe houzé de la s f i o l’adresse de georges monnet ministre de l’agriculture du front populaire

il fait assez froid
lundi matin dans l’amphi
casamayor est gelé
professeurs vous nous faites
geler
je réclame un homme
un gros

quand je rentre à la maison philibert qui fait aussi des adresses a pris une communication de kiki
je la rappelle
je suis invitée à un méchoui à ris-orangis

après plusieurs appels téléphoniques je rejoins trois autres personnes qui m’y conduisent chez un décorateur de l’île saint-louis


mardi 20 mai

belle soirée hier
de la poésie
je me rends compte qu’à force de travailler de ne voir que les trucs concrets réels vitaux j’avais oublié la poésie
d’un feu de bois
dans la nuit

un psychanalyste s’intéressait à la dynamique de groupe

kiki jolie yves vivant
moi sûre de moi très à l’aise je me sens plus intelligente que les autres nanas
je ne crains plus personne

le décorateur donald
voix belle dans les flammes
il m’appellera

j’avais oublié tant de choses
et déjà je suis retombée dans le cycle du boulot


mercredi 23 mai

a g
histoires dans le département droit
tout le monde s’étripe
même moi je deviens agressive
un assistant a très peur de moi paraît-il

il fait beau
on rentre de la fac


jeudi 22 mai

a g
on travaille
on discute
on se passionne
on s’engueule

surtout
il y a des rapports de personne et des règlements de compte dans toutes ces salades

meeting de la ligue communiste à la mutualité avec daniel bensaïd henri weber et le camarade candidat à la présidence de la république alain krivine
je rentre avant qu’il prenne la parole

philibert a encore pris une communication pour moi
donald a téléphoné
je le savais


vendredi 23 mai

je rappelle donald
il m’invite ce soir
il vient me chercher
triumph blanche décapotable
voix grave voix belle
il parle il me parle
yellow submarine des beatles à la radio

la coupole
visages connus visages quittés tout à l’heure à vincennes à l’a g de droit

donald dit qu’il se sent vieux soudain près de moi
seine il pleut doucement sur la capote de la voiture
il m’embrasse
il m’emmène chez lui
il me prend sur des fourrures blanches
il croit que je suis plus faite pour les fourrures que pour les pavés


samedi 24 mai

au réveil enveloppe glissée sous la porte
c’est pour anne un relevé de la b n p banque nationale populaire
mais dessus au crayon en fautes d’orthographe que je reconnais toujours
— la révolution ?
— ouai
— avec qui ?
— y a personn !
suit une citation
am For you sir
entre parenthèses Roméo et Juliette
Sch
encore une faute Shakespeare n’a pas de c
en signature un soleil
il est revenu
pourquoi aujourd’hui
pourquoi maintenant que j’ai trouvé quelqu’un

ce soir en rentrant je vois un ticket de métro qu’il a dû glisser dans la porte
pour savoir si j’étais rentrée


dimanche 25 mai pentecôte
je travaille pas mal
j’attends le retour d’anne ce soir
don m’appelle
il m’invite
anne rentre
je le rejoins

est-ce de savoir pierre revenu à paris
mais je suis nerveuse
je me déteste quand je suis comme ça
et ça me rend encore plus nerveuse

don m’emmène à la contrescarpe
j’en tremble
brendan brendan
le centre du monde

en tout cas nous faisons très bien l’amour
je me sens devenir plus douce plus pleine
et au réveil il me fait un énorme petit déjeuner
je rentre quittant l’île saint-louis tendrement ensoleillée

hélène yannis
je travaille


mardi 27 mai

j’ai déjà perdu mon agressivité vis-à-vis de luc et des autres
au fond je m’en fous
ou j’ai oublié mes rancœurs
je me sens moins concernée par vincennes

il n’appelle pas
je travaille mal


mercredi 28 mai

valérie
bébés
articles sur naissance et sur attente

brusquement j’ai devant moi l’image
d’un petit garçon
issu de moi
qui ressemblerait à don
un petit garçon tout rond
avec beaucoup de cheveux

mon dieu
que j’ai mal au ventre

vincennes me pèse
vincennes m’ennuie
je dois je devrais
pouvoir faire
quelque chose
de plus important

comme un enfant

pourquoi ce silence de donald
depuis trois jours
j’en désespère
il est tellement trop occupé
peut-être n’a-t-il pas envie de me voir
j’ai envie de le voir de le toucher
je l’appelle il est occupé

soir il me rappelle
voix rassurante
pas tellement
il me rappellera demain soir


vendredi 30 mai

depuis patrice cournot je m’étais juré de ne plus jamais attendre un homme
juré d’être toujours suffisamment active et occupée pour ne pas penser à un homme
pour ne plus souffrir
pour ne plus jamais désespérer

il y a une semaine j’étais forte de moi
et puis aujourd’hui je ne sais pas j’ai peur l’autre jour d’avoir cassé quelque chose entre nous

ennuis de téléphone
donald ne pourra pas m’appeler
moi de vincennes je l’appelle
j’entends sa voix mais il ne m’entend pas
est-ce un symbole
je le perds

après il est trop tard
il est parti

mais j’ai tellement mal dans mon ventre


samedi 31 mai

tout à l’heure je pensais que maman était la personne au monde que j’estimais le plus et que j’arriverais à lui faire comprendre mon amour et à me rapprocher d’elle seulement lorsque j’attendrais moi-même un enfant

elle vient de m’appeler
pour m’apprendre
et je l’ai deviné avant qu’elle me le dise
youennick et rosa attendent un enfant
mon dieu j’en suis heureuse

mais moi je sers à quoi

soir
donald m’appelle

hier soir il a essayé pendant une heure de m’appeler
il voulait que j’aille dîner avec lui chez des amis

ce mois de mai a été pas mal
je me suis vue proposer un travail intéressant
puis comme je me languissais d’être amoureuse
au moment où j’y pensais le moins parce que je travaillais beaucoup
j’ai fait une rencontre
elle a mis un peu de poésie dans ma vie
puisse-t-elle y rester

pour la première fois de ma vie j’ai le sentiment d’être avec un homme


Écrit en mai 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M

Gaelle Kermen
Kerantorec, le 2 mai 2019


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Fac de Vincennes-avril-1969

mardi 1er avril
ancenis la cana
la pilardière mme lambert


mercredi 2 avril
départ kerfany


samedi 5 avril
départ paris
16 h rendez-vous enghien docteur fleury


dimanche de pâques 6 avril
saint-leu


mercredi 9 avril
daniel


jeudi 10 avril
société polygraphique photos petrus


vendredi 11 avril
féraud kiki
cérémonie secrète mia farrow liz taylor


du lundi 14 avril au vendredi 18 avril
boutique féraud remplacement de la standardiste dany


dimanche 20 avril
rémy


lundi 21 avril
casamayor


mardi 22 avril
je suis heureuse de vivre
comme j’ai été rétribuée par la maison féraud j’ai pu m’offrir le dernier livre de casamayor
mon premier

féraud trouve que je ressemble à foujita
c’est vrai

j’ai écouté bernard lambert toute la soirée sur les cassettes que j’ai enregistrées chez lui ou à la c a n a coopérative agricole la noëlle ancenis

je n’ai pas lu lénine
mais je m’en fous
lénine il est mort
lambert il est vivant
et je suis heureuse


mercredi 23 avril
goût d’orange comme à courchevel dans le chalet où kiki m’avait emmenée après ma tentative de suicide
au fond j’ai eu beaucoup de chance

je ne pense pas avoir tellement appris depuis le lycée
j’ai surtout désappris et j’ai appris à désapprendre
c’est sans doute pourquoi le camarade casamayor pense que j’ai tout compris


dimanche 27 avril
marché avec simon

soisick filou catherine jean la bande à belon
vent du large
effluves de mer
rayons de soleil

ce soir résultats
à l’huma en bas branle-bas de combat
slogans de mai
atmosphère des grands soirs de fête où tout semble devenir possible
visages dans la foule
jacques de l’occupation sorbonne
étrange sourire
l’internationale
on va agir
on sera responsable
après tant de temps
enfin


Écrit en avril 1969, publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M

Gaelle Kermen
Kerantorec, le 2 mai 2019


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Fac de Vincennes-1969-mars

samedi 1 mars 1969

peu à peu mes muscles reprennent leur place et mon souffle sa cadence
mais je n’ai pas envie de parler
maman ne le comprend pas
alors je me plonge dans la baignoire bleue avec le marxisme du XXe siècle

après-midi on commence en famille à écrire les adresses pour gault et millau pendant qu’ils parlent à la radio des amusements de paris de bouffe de clubs privés
comme si les jeunes n’avaient que ça à penser s’amuser

margot et simon arrivent

on dîne ensemble en bas

et puis ils partent avec ma sœur au théâtre de la huchette voir la cantatrice chauve de ionesco

je reste très éveillée à écrire ces foutues adresses jusqu’à presque trois heures du matin


dimanche 2 mars 1969

adresses adresses adresses

tour de notre société de consommation

margot descend puis revient avec des fleurs des anémones assorties à mes couleurs d’aujourd’hui qui s’éclaboussent doucement sur le mur blanc

simon m’apporte une rose
pour mon anniversaire demain

aujourd’hui c’est celui de pierre
il y a un an il avait trente ans

moi demain j’aurai vingt-trois ans
ma sœur m’offre le lever du jour de joan baez
un livre des rêves des pleurs dans un grand vide une force de violence d’amour

je ne me sens plus ces délires d’angoisses d’il y a deux ou trois ans
où vais-je


lundi 3 mars 1969

écoute-moi dieu veille sur lui de très près il est plus fragile que la plupart des gens et en outre je l’aime

joan baez pour bob dylan

matin gris

on part vers les nouvelles messageries de la presse parisienne

je reviens mourante de souffle et m’endors sans aller au cours de casamayor

petrus me réveille pour me souhaiter mon anniversaire c’est merveilleux qu’il ne m’oublie pas

vincennes
philippe et les autres
un a les yeux verts
je n’ai pas envie de travailler
rémy
rémy veut qu’on souhaite ensemble nos deux anniversaires

philippe les autres

un type se vante de ses exploits sur les coins de table et dans les lavabos dans tous les coins de vincennes

il nous déprime

pas envie de travailler

philippe bibliothèque
il a sa petite amie de médecine près de lui mais son attitude avec moi ne change pas

malgré moi je cherche daniel

soir cours avec rémy

soir je pars avec lui

je n’ai pas trouvé daniel

je ne veux pas mourir

nuit chez rémy

j’ai trop bu

je n’en peux plus


mardi 4 mars

je suis rentrée au matin

j’étais jolie bien maquillée et affreusement triste dans l’appartement gris de blanc

maintenant il fait beau parce que j’ai dormi

le jour s’est levé enfin
je n’en pouvais plus d’attendre

je vais sortir dans les rues avides de printemps
et puis je reviendrai et j’inventerai de jolies choses
à habiter

mais dieu que je suis seule sans pierre je n’ose l’admettre pourtant
je ne sais même plus de quoi j’ai envie

plus tard

le soleil est toujours là mais je pourrais pleurer

visage yeux daniel illusion

j’ai lu joanie baez

qu’est-ce que je fais de ma vie

au fond je ne crois à rien


mercredi 5 mars 1969

ce matin je dois enregistrer rouvier sur magnétophone pour conserver une preuve orale de ce qu’il va promettre à propos du problème des non-bacheliers

j’ai fait un effort pour me lever tôt
j’ai oublié la nuit désolante avec rémy qui ne méritait pas ça
je ne devrais pas boire autant

il fait beau la journée va être intéressante
j’ai du mal à respirer

tiens une lettre sous la porte
je l’attendais
timbre anglais
c’est de pierre
il a froid il a faim il n’a plus d’argent
à peine un je t’embrasse

je suis furieuse

mais au fond pour que pierre m’écrive une telle lettre difficile à écrire il faut qu’il m’aime vraiment ou du moins qu’il m’ait en grandes confiance et estime

toute la journée je vais très bien travailler
enregistrant au magnétophone nos débats sur l’ordre contestataire
assistant à deux cours jusqu’à neuf heures du soir

pas vu daniel


jeudi 6 mars 1969

réveil à neuf heures
en chantant
for just one too many mornings
and a thousand miles behind
de dylan

à dix heures et demi je suis prête lavée habillée maquillée
maison rangée

je commence à décrypter les enregistrements
fenêtres ouvertes dans le soleil
un pigeon a traversé l’horizon

avarro l’ami de penny arrive m’apporter la fin de sa thèse de doctorat d’histoire à taper sur l’histoire de l’esclavage

puis juste avant son départ arrive marc avec qui je travaille l’exposé
il me plaît il me plaît pas
la question ne se pose pas il a une femme et une petite fille

je me sens très démunie presque frustrée toute la journée
à vincennes toujours rencontres multiples discussions
en fait assez peu de travail
un cours celui de christian toujours adorable


vendredi 7 mars

soleil soleil soleil
j’ai envie d’un tas de nouvelles choses
je m’habille dingue
robe jaune ultra courte un petit foulard sur fond noir et de longues jambes noires

quand j’arrive à vincennes je rencontre luc et myriam que j’ai vus pour la première fois l’autre matin au cours de rouvier et pendant nos débats sur l’ordre contestataire

l’a g a lieu dans le bassin vide au soleil assis par terre
qu’est-ce que nous attendons

la marée dis-je

quelques guitares quelques folksongs de derrière les fagots
c’est le printemps
errances dans la fac assoupie

je m’engueule un peu avec rémy

finalement je pars avec luc et myriam au quartier

il fait trop beau
on fout rien
j’ai envie de tout


samedi 8 mars 1969

magasins tissus ceintures claquantes rêves d’autres choses
temps toujours joli

je n’ai pas tellement de courage pour me mettre au travail

luc m’appelle il veut venir prendre un pot ici
j’accepte
il vient l’après-midi

le soleil s’attarde sur le balcon
jeux de séduction en paroles
j’ai peut-être surtout envie de rire

il doit aller ce soir bouffer chez myriam il voudrait que j’y aille avec lui
moi ça ne me dit rien
myriam je la trouve très bien

ce genre de situation j’en ai assez
alors après son départ plutôt que d’attendre son coup de téléphone je pars à saint-leu avec ma sœur et la machine à écrire
ça évitera les complications


dimanche 8 mars saint-leu

dimanche joli ensoleillé
ma petite chatte nous prépare des bébés et fridu est toujours attendrissant

cet exposé nous ne l’avons pas suffisamment préparé


lundi 10 mars 1969

j’arrive en retard au cours de casamayor qui n’a pas encore commencé
luc et myriam sont là
je m’assieds près d’eux

j’entends alors casamayor demander
qui est gaelle kermen

je dis c’est moi

il me félicite chaleureusement
il a beaucoup apprécié mon devoir
il paraît que c’est très bien ce que j’écris que c’est excellent et tout

c’est bien la première fois que je me fais ainsi remarquer par tout un amphi
je rougis de plaisir

luc commence l’exposé puis marc
ils ne font qu’aborder l’introduction du sujet

casamayor me demande mon opinion et apprenant que je fais partie de leur groupe les prend à témoin

comment vous avez gaelle avec vous
mais alors foncez
vous avez vu comment elle écrit
n’hésitez pas

il a un impact formidable en disant ça avec toute sa fougue
je suis très heureuse
casamayor je l’estime
c’est un grand bonhomme
il peut m’aider
à oser être moi-même

luc et moi sans myriam au cours de droit constitutionnel
intéressant

vincennes c’est un feu d’artifices de connaissances et de découvertes
à nous de continuer

luc et les autres
marc rémy
luc m’appellera
je rentre au quartier avec marc

je passe rue visconti
je ne sais pas quoi faire pour pierre


mardi 11 mars

a time of peace i swear it’s not too late

jour de grève générale

papa va passer la journée ici il n’est pas dérangeant il dort

onze heures trente le téléphone me réveille je respire difficilement c’est luc
myriam n’est pas encore arrivée il a envie de venir ici
je dis mon papa est là
il dit bon alors non

myriam arrive
me parle très fort
mais je l’aime beaucoup cette fille
et bêtement hier j’étais jalouse d’elle

mon dieu les types il ne faut pas se laisser aliéner par eux
je n’ai pas le temps

papa est heureux de lire mon devoir
et fier de moi

je suis fatiguée
mais tape la thèse d’avarro bien et plus vite

le soir simon arrive
il était à la manif
il a rencontré philibert


mercredi 12 mars

qui m’a appris à écrire
patrice et michel cournot bob dylan anton tchekhov jd salinger
et jean-louis cure peut-être
je le dis maintenant il était un grand poète et je n’ai pas su voulu pu l’aimer ni le comprendre

j’ai retrouvé daniel
j’ai eu raison d’attendre de dire non à luc et aux autres
il était tard
j’ai attendu

il pleuvait un peu
nous avons marché
tous les deux
de la bastille à la république le parcours de la manif d’hier
sourires complices entre les gouttes

je l’attendais
demain
nous n’avons jamais été au cirque


jeudi 13 mars

hier il m’avait demandé si je venais aujourd’hui à la fac et m’avait dit à demain
je suis allée au cours

plus tard à l’étage au-dessus du département droit passant devant une salle de philo je l’ai vu il m’a fait un signe

j’ai reconnu françois châtelet
je l’avais déjà vu en 64 avec noëlle jospin place de l’odéon dans un restaurant

j’avais un autre cours de droit
et j’ai de nouveau perdu daniel

je n’aime pas les vitres entre nous

demain je repars à nantes parce que je dois aller toucher mon premier terme de bourse avant le quinze à midi

il est des bonnes surprises

mais j’ai raison de penser
chaque jour
que je suis heureuse de vivre


vendredi 14 mars

je partirai en fin d’après-midi
j’appelle gene j’ai hâte de la voir
mon dieu je pense que j’aurais été si heureuse d’aller à nantes si le bébé avait vécu

vincennes
rémy toujours caressant tout doux
un peu cassant aussi
mais il me fait rire

débat pour l’exposé
ça fouare pas mal
quand apprendrons-nous à travailler ensemble

et puis luc me révolte il n’a aucune notion du manque d’argent de l’insécurité
je sors
je ne trouve pas daniel
je pars

train je lis

nantes gene chérie
choc en ne la voyant plus ronde ni épanouie comme avant
j’aimerais pouvoir faire quelque chose mais quoi
elle est révoltée
on le serait à moins


samedi 15 mars

nous parlons nous parlons ça lui fait du bien elle est angoissée par son isolement à nantes avec ses deux gosses souvent sans paul qui voyage beaucoup pour son travail

elle n’a plus l’envie même de faire la cuisine
elle est lasse
n’a plus de courage

ma grande gene si forte
il faudrait qu’elle vienne nous voir à paris que je lui fasse des robes qu’elle s’occupe de sa tête

je vais à la fac on me donne mon chèque 1392,00 F pas mal
je suis toute sautillante
au passage j’achète des jonquilles pour gene

puis trop rapidement le déjeuner avec les enfants

le départ en taxi
la gare

j’ai laissé gene dans un sale état
elle ne mérite pas ça
c’est trop injuste


dimanche 16 mars

boulot sur la thèse d’avarro

puis je couds mon pantalon de lainage blanc

les cousins simon et jakez arrivent en fin d’après-midi et vont nous chercher des pâtisseries arabes écœurantes et dégoulinantes à souhait

nous prenons le thé

luc m’appelle il m’a déjà appelée hier pour que j’aille bouffer chez myriam

moi je n’ai encore rien fait

à onze heures je commence

paul arrive on l’héberge pendant son voyage éclair à paris

je travaille jusqu’à quatre heures et demie du matin
je ne suis pas folle de joie de ce que j’ai fait


lundi 17 mars saint patrice

le temps est incertain mais je tiens à mettre mon pantalon blanc pull blanc chaussures vernies blanches foulard féraud en soie rouge chaussettes rouges et manteau marine

je suis un peu en retard mais très jolie

comme j’allais m’excuser casamayor s’avance vers moi pour me serrer la main avec chaleur

martine est avec sa petite fille muriel

ça me frustre toujours de voir les bébés des autres

film sur mai et on commence l’exposé

enfin je commence très à l’aise
trop peut-être
mais je m’amuse

les autres continuent
ensuite discussion

l’après-midi je m’endors au cours de droit constitutionnel je suis complètement vaseuse et puis

peu après notre sortie devant le département droit je retrouve daniel
nous rentrons ensemble

à nation nous échangeons nos numéros de téléphone
à demain peut-être


mardi 18 mars

journée de récréation
daniel va m’appeler venir
ce sera bien j’ai envie de lui

envie au fond je ne sais
je n’ai plus du tout envie de baiser pour baiser
ça c’est sûr

et puis la journée passe

je vais à la banque et perds toute l’après-midi du côté des champs élysées

a-t-il appelé n’a-t-il pas
je ne sais
nous avons le temps
beaucoup de temps
c’eût été trop tôt

je tape la thèse d’avarro

j’ai acheté quelques jolies choses

et pour l’instant j’enregistre donovan à la radio europe 1 sur campus de michel lancelot


mercredi 19 mars

temps éclaboussé de soleil
vrai printemps demain mais aujourd’hui déjà

alors je suis pleine d’ardeur je finis ma tunique de lainage blanc et le bermuda assorti

je tape deux ou trois pages
c’est long une thèse d’histoire

j’arrive à vincennes dans l’après-midi
luc m’embête enfin il ne m’amuse plus s’il m’a amusée

cours de poulantzas

puis cafétéria avec christian duc
il admire ma tenue avec force termes délirants puis nous discutons d’histoires de cul évidemment

puis arrive daniel qui me cherchait partout depuis ce matin

cours de socio économique près de martine qui est intéressante

à huit heures je rejoins daniel au cours de psychanalyse de leclaire

plus tard arrive marianne

mais daniel rentre avec moi et reste dormir ici

échec

je ne comprends plus ce qui se passe

daniel m’emmène manger près des anciennes halles espérant que ça ira mieux ensuite mais c’est de plus en plus mauvais

je ne sais plus faire l’amour

je ne peux plus faire l’amour

et je n’ai pas vraiment envie de faire l’amour

alors nous dormons


jeudi 20 mars

c’est seulement aujourd’hui vers midi que nous arrivons à le faire cet amour comme si c’était une obligation pour ne pas se quitter trop déçus

mais ça me déprime

pierre m’a traumatisée

ou je ne sais quoi

je ne comprends plus

vincennes l’après-midi

je me sens assez mal et dois quitter un cours

je retrouve philippe et lui raconte mes malheurs

puis christian mon adorable homosexuel oriental

bref nous passons la soirée à parler de cul


vendredi 21 mars

thèse thèse thèse
je n’ai pas le temps d’aller à vincennes
thèse thèse thèse

ce soir je vais rue guynemer invitée par petrus à une boom
je dois y retrouver isabelle qui m’a appelée l’autre soir
patrice sera là sans doute

je veux être éblouissante
je m’achète quelques somptueuses choses
volupté de pouvoir dépenser de l’argent
après si longtemps

j’aime vivre vite
être occupée à plein comme aujourd’hui

soir simon vient dîner avec nous et reste avec moi pendant que j’attends daniel qui doit venir me chercher ici et tarde et tarde et me rend folle

j’ai trop de soirs attendu pierre pour supporter ça à nouveau

enfin il arrive et nous partons

la première personne rue guynemer est patrice qui ne me reconnaît d’abord pas et constate que décidément je change chaque année
normal je grandis

on tombe sur une nana qui prétend avoir assisté à mon exposé l’autre jour à vincennes au cours de casamayor

isabelle françois et antoine de g
ces gens connus il y a quatre ans à peu près

jean-françois qui ne me reconnaît pas non plus tout de suite mais est ravi de me revoir et reste discuter avec moi presque tout le temps en critiquant les gens comme avant
je l’aime beaucoup

mais je guette patrice et j’arrive à lui parler quelques minutes de droit de son métier et de casamayor

patrice tu es moins beau qu’avant mais je t’ai aimé tu me donnes envie de travailler et je ne peux m’empêcher de penser que si je t’avais écouté j’aurais maintenant ma licence en droit et je n’aurais pas tout gâché

mais je n’aurais pas non plus connu pierre ni balmain ni kiki féraud ni la sorbonne libre ni casamayor et je n’aurais pas comme maintenant envie de te parler de droit et de justice

je rentre avec daniel tout gentil

mais ça m’a fait un choc de revoir patrice

j’aimerais de nouveau

oh je ne sais pas

je crois que ce qui me gênait chez lui était son manque d’humour

ou alors je n’étais pas réceptive au sien


samedi 22 mars

soirée chez louis féraud avec kiki yves et son ami et aussi le chien sloopy un labrit des pyrénées le chien de mia fonsagrives la seconde femme de louis


dimanche 23 mars

hier soir marianne est venue ici je ne l’ai pas vue j’étais chez kiki
elle trouve que daniel et moi allons bien ensemble
c’est faux je crois que nous pourrions arriver à bien faire l’amour tous les deux mais je ne sais pas si ça me suffit
je m’ennuie un peu avec lui
c’est pas encore ça
et je n’ai pas de temps à gaspiller

heureusement anne et moi avons un boulot fou qui ne laisse pas de place pour un bonhomme

j’ai envie de bosser comme une dingue et de gagner du fric
pour égaler les cournot les féraud et tous mes petits amis plus fortunés
les égaler socialement comme intellectuellement


lundi 24 mars

je ne vais pas au cours de casamayor

je n’ai pas le temps il me faut finir la thèse d’avarro pour demain

alors que je pars à vincennes vers midi et demi on me téléphone de la fac c’est patrick qui m’invite à aller demain soir au théâtre pour faire la foule parce que la radio va venir enregistrer et tout

de toutes façons je le retrouve à vincennes juste avant le cours de droit constitu

lui les autres philippe et tous viennent au théâtre demain ça va être drôle

exercice écrit en constitu intéressant

je ne vois pas daniel alors je rentre au quartier avec philippe décidément on s’entend bien

hélène chérie

benoît effrayant


mardi 25 mars

hélène vient travailler aux mailings de gault-et-millau

elle est ponctuelle dix heures pile


jeudi 27 mars

départ pour nantes pendant les vacances


samedi 29 mars

saint julien g a e c groupement agricole d’exploitation en commun treffieux rené philippot


dimanche 30 mars

bernard lambert à teillé avec tonton francis et simon


lundi 31 mars

nantes chambre d’agriculture bernard thareau


Écrit en mars 1969 publié in Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M
Gaelle Kermen, Kerantorec, le 30 mars 2019


Fac de Vincennes-août-1969 / Fac de Vincennes-juillet-1969 / Fac de Vincennes-juin-1969 / Fac de Vincennes-mai-1969 / Fac de Vincennes-avril-1969 / Fac de Vincennes-1969-mars / Fac de Vincennes–1969-février / Fac de Vincennes 1969-Janvier



Gaelle Kermen est l’auteur des guides pratiques Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, Windows, iOS et Scrivener 3, publiés sur toutes les plateformes numériques.

Diariste, elle publie les cahiers tenus depuis son arrivée à Paris, en septembre 1960. Publications 2018 : Journal 60 et Des Pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne.

Vaguemestre depuis 1997, blogueuse des années 2000, elle publie plusieurs blogs sur ses sujets de prédilection, l’écriture sur gaellekermen.net, les chantiers d’autoconstruction sur kerantorec.net, les archives d’un demi-siècle sur aquamarine67.net et les voyages ici ou ailleurs sur hentadou.wordpress.com.

Fac de Vincennes–1969-février

(Les notes entre parenthèses sont de février 2019, en particulier pour préciser les noms de quelques personnes dont je ne donnais que les prénoms. Certaines sont devenues célèbres.)


iivret_64-69-tampons2
Transferts de dossier entre la Sorbonne, la fac de Nantes et le Centre Universitaire Expérimental de Vincennes
Livret-CELG-66-transfert-68
Justificatif de diplôme de la Sorbonne lors du transfert des dossiers entre Universités CELG (Certificat Etudes Littéraires Général : Philosophie, Latin, Anglais)

samedi 1 février

9h30 droit constitutionnel

je n’arrive évidemment pas à me lever pour aller à vincennes où j’ai rendez-vous avec michel mon petit camarade
tant pis
d’ailleurs il y a ce foutu déménagement à faire

gilbert ne vient pas
je suis furieuse
d’accord ça ne l’amusait pas de venir nous aider mais moi non plus ça ne m’amusait pas de le présenter à kiki vu que kiki ne pouvait plus entendre parler de pierre et qu’elle met tous les frères dans le même sac
elle n’a sûrement pas tort
donc je les considère comme n’existant plus

maya (Evic) vient en voisine nous aider avec deux amis
philibert aussi
sympa


dimanche 2 février 1969

j’ai bien dormi
il s’agit ici de prendre possession de l’espace
ce dont nous n’avons pas l’habitude

je fais la cuisine
bien
sur ce minuscule camping-gaz

l’après-midi yvon (Yves Petit de Voize) vient
il joue à m’interviewer sur la mini-cassette en tant que contestataire de vincennes

puis arrivent maman grand-mère le cousin et sa femme qui persiste à m’appeler cousine ce qui m’agace fort

tout le monde me fatigue
j’ai horriblement mal au dos et je dors très mal

michel de vincennes m’a curieusement manqué tout le week-end
tout jeune sans doute
l’an dernier il était encore lycéen il faisait partie des c a l comités d’actions lycéens en mai dernier
tout enthousiaste
j’aime ça
les gens qui vivent et ne sont pas encore usés ni désabusés
intacts


lundi 3 février

je n’ai pas du tout envie de me lever pour aller au cours à neuf heures
j’ai le corps tout endolori
et puis comme je suis réveillée j’y vais

en allant vers le bus j’entends un sifflement appel
c’est michel on se retrouve toujours

cours de libertés publiques avec casamayor
un drôle de bonhomme très sympathique qui nous parle de langage et de cohn-bendit et de contestation et de camarades
qui nous donne un devoir en nous disant
dites-moi ce que vous pensez vous
n’allez pas chercher dans les livres
c’est la première fois de ma vie qu’on me demande de penser pour un devoir

au déjeuner je ne retrouve pas michel
je suis furieuse contre moi-même de l’attendre et de le chercher plus ou moins consciemment

je me résous finalement à aller à la bibliothèque lire le bouquin d’aron sur la société industrielle
je me réfère aussi à chevallier
et me passionne pour montesquieu

mon dieu commencerai-je enfin à comprendre les choses

mais j’ai mal aux dents


mardi 4 février 1969

courses pour ma sœur et l’appartement
je ne vais pas à la fac aujourd’hui
tant pis je ne verrai pas michel
mais il faut que j’aille voir l’oculiste j’y perds beaucoup de temps

puis je passe chez aurélia lui apporter l’ensemble en tricot fait par maman
elle prévoit que demain les flics seront sur les campus et autres conneries dramatiques de son genre elle est folle je pars vite

je rencontre une amie de la fac de droit d’il y a deux ans une jolie petite vietnamienne elle a revu récemment jacques mon meilleur copain d’alors j’aimerais le revoir

hélène n’est pas chez elle

j’achète chez maspero raymond aron et le themis de touchard je fais mon dernier chèque
je dois lire aron pour demain

la situation universitaire s’aggrave
ou peut-être est-elle excellente comme dirait le camarade mao


mercredi 5 février

cours avec rouvier
il parle à la fin du risque de fermeture de vincennes
je lui ai posé la question au cas où une grève serait décidée
la fermeture dit-il se fera département par département
d’abord ceux qui n’ont pas encore commencé comme la socio et la philo

dans l’escalier du restau u je retrouve michel il y a longtemps qu’on ne s’est vus oui on commençait à s’ennuyer nous déjeunons ensemble

hier des c d r comités de défense de la république ont menacé de venir
ça a été un ridicule branle-bas de combat

après le repas je me fais draguée par un jeune con qui doit être réac et je perds michel

cours de théorie marxiste un joli minet me sourit de ses yeux bleus
le chargé de cours lui-même engage le débat
le minet continue sur la grève
je donne l’information de rouvier

je retrouve le minet à l’ag il est anar c’est trop joli ça
il est tout doux
un doux anar c’est rare

grève votée hélas nous restons dans les cours à discuter

mon minet anar est très caressant je flirte avec lui en rentrant mais je rentre


jeudi 6 février 1969

je n’ai plus envie de flirter entre deux métros
je n’ai pas envie de revoir mon petit anar d’hier
d’ailleurs il vivait chez papa-maman

dentiste puis visite à hélène au lieu d’aller en socio où il sera
nous prenons le thé
maïté se ramène elle m’apprend que pierre est parti
de toutes façons il y a longtemps que je le considère comme parti
je l’avais même oublié

vincennes sciences po
michel n’est pas là mais philippe (Philippe Houzé) compte sur moi pour expliquer la situation

c’est dur dans ce groupe qui dit on veut travailler

a g un monde fou
je vois glücksman mais pas michel

je reviens au cours
ambiance idiote
philippe est sympa

michel arrive enfin il est furieux de voir un cours en amphi

plus tard nous discutons avec le prof et trois types réacs dont mon dragueur

j’ai envie de pleurer
michel aimerait peut-être me consoler
nous sommes déçus


vendredi 7 février 1969

que faire pour lutter mon dieu je ne sais plus
la grève active ne servira à rien
alors la défendre parce que je suis en minorité et engagée dans une idéologie
j’ai envie de pleurer

cinq heures trente a g
michel vient d’arriver nous nous trouvons tout de suite
il dit qu’on ne s’est pas tellement vus
que plusieurs fois il m’a cherchée vainement
c’est gentil ça

j’appelle gérard chez rychter
il prétend que les modèles ne marchent pas
il ne sait pas quoi faire
il a pas l’air d’aller bien je dois le voir lundi

a g glücksman parle bien un autre aussi
je suis avec michel et deux copains dont un de droit très sympa

je vais au cours de droit constitutionnel
discussion avec des types de l’a g e v
ils sont durs à convaincre ces réacs

je vais chercher michel et l’autre mais l’a g est finie je les ai perdus
je rencontre yannis
je retourne au cours

discussion toujours presque risible
pourquoi ça vous gène les flics dans la fac
évidemment on se demande


samedi 8 février

en quittant vincennes hier soir j’ai retrouvé michel dans le métro avec ali l’iranien connu au buci ami de brendan c’est marrant (une scène d’Aquamarine 67)

mais je suis rentrée pour travailler
matin de neige je tousse

hélène élise

soir à la radio j’entends annoncer que cent quatre-vingt-trois étudiants ont été choisis par le doyen sur les deux cent vingt qui ont occupé la fac le vingt-trois janvier ils risquent la même sanction que ceux du rectorat de la sorbonne

recevrai-je une lettre

je me demande si je ne suis pas enceinte
je le serais de pierre et ce n’est plus le moment
je n’ai pas le droit d’attendre un petit bébé encore et c’est mon drame
j’ai tellement envie d’aimer


dimanche 9 février 1969

dimanche ensoleillé
errances dans quelques bouquins dont marcuse qui avec le pouvoir de sa pensée négative me dynamise

visites
philibert
hélène et yannis
discussions
c’est bien je m’affirme
j’ai le pouvoir de l’humour

ce qui m’effraie le plus dans le mouvement c’est qu’on perd cet humour qui était notre plus grande force
quand je vois ces discussions agressives et hargneuses je suis triste
c’est tellement bête

fini à trois heures du matin mon devoir sur le langage pour le cours de libertés publiques de casamayor qui nous a demandé ce que nous en pensions
c’est la première fois en autant d’années d’études qu’un prof me demande mon avis
je suis assez contente de moi
maintenant je sais m’engager
j’écris pas trop mal
j’ai une faim énorme de travail et d’amour


lundi 10 février 1969

libertés publiques devoir sur le langage

cours de casamayor qui m’autorise à partir vers dix heures trente pour me rendre à l’a g concernant ceux qui ont été emmenés à beaujon

projets de lettre en réponse au recteur

à la fin de l’a g je retrouve emmanuel du c r a c sorbonne pas vu depuis longtemps

michel a reçu sa lettre samedi matin il est avec une nana de son groupe d’éco po et je le perds de vue rapidement

je déjeune avec emmanuel puis nous allons à la bibliothèque
je tombe sur un bouquin de libertés publiques
l’oppression et la répression me révoltent
il faut arrêter ça
faire quelque chose

une grève de la faim
j’y crois
tout semble perdu
perdu pour perdu autant aller jusqu’au bout

à l’a g je me retrouve assise à côté de corinne connue cet été à kerfany
elle aussi était à beaujon
je retrouve michel il semble assez abattu
je propose mon projet de grève de la faim
on me le déconseille

films sur mai
je suis toujours révoltée

je rentre
je n’ai pas encore reçu ma lettre


mardi 11 février 1969

dix heures les types du téléphone me réveillent (pour la pose de la ligne)

je me sens horriblement mal
nausées vertiges
serais-je vraiment enceinte
hier j’ai repris normalement mon contraceptif
ça se bat peut-être là-dedans
si nous avons fait un bébé c’était au moment où nous avons vu rosemary’s baby
vraiment non merci
je n’en veux pas

onze heures moins le quart le facteur m’apporte ma lettre recommandée

vincennes sous la neige
michel tout de suite

je vais signer la lettre collective

on va au quartier sous la neige

au ramsès j’ai le temps de serrer la main de jacques bleiptreu d’embrasser françois donzel toujours aussi barbu

sorbonne déprimante
on rentre par maspéro
marcuse

soir on a le téléphone
on appelle nantes
gene a accouché hier
sa petite fille n’a pas vécu

je suis trop démoralisée


mercredi 12 février 1969

lire bouquin aron

socio économie

matin réveil normal je n’ai pas de bêtes nausées

j’essaie d’appeler la clinique de nantes c’est pas libre

cours de rouvier
je ris tout le temps sauf au cours de rouvier
malgré ses grands efforts rouvier est la seule personne qui ne me fasse pas rire

je bouffe avec un petit minet de socio mignon marrant intelligent avec des problèmes adolescents encore

théorie marxiste le prof veut créer un groupe de militants
je suis d’accord on doit se retrouver avec l’a g et le cours de nicos poulantzas

a g avec rémy kolpa-kopoul du comité d’action tout doux tout jeune
la plupart des étudiants sont tout doux et tout jeunes j’aime
de plus en plus de types de droit viennent me voir en dehors des cours pour discuter

poulantzas et son cours sur le fascisme
rémy m’y a suivie et nous restons ensemble ensuite pour discuter avec le prof de théorie marxiste

on veut faire des tracts le type tape le texte on cherche du papier on n’en trouve pas mais on rencontre beaucoup d’appariteurs musclés

je rentre avec le prof


jeudi 13 février 1969

exposé sur tocqueville

nuit agitée
au matin rêves de pierre
réminiscences de ses caresses de ses meilleurs baisers
eau port pont bateau

devoir à faire mais je préfère l’amour

appelé gene
elle semble toujours très forte mais flanche en me parlant
c’est atroce on a l’impression qu’un amour immense et inconditionnel peut être totalement stérile et vain
on ne peut empêcher l’impossible

j’arrive vers quatre heures à la fac à la sortie d’une a g

j’apprends que s’est créé un groupe d’intervention droit qui a décidé d’aller à la gare de l’est ce que je crois inutile
ça les déçoit beaucoup car ils le disent eux-mêmes ils viennent de se réveiller

je reste tirer des tracts
je retrouve michel dans une a g spontanée après la manif

nous traînons tard dans la fac et rentrons ensemble


vendredi 14 février

le jeune michel est de plus en plus caustique
il me rappelle l’esprit de guy s de saint-leu

j’ai enfin des lunettes
d’ailleurs on ne voit plus qu’elle je disparais derrière
ça me plaît

vincennes vers deux heures
film sur les black panthers et débat très intéressant avec julia herve du s n c c student nonviolent coordinating committee

je retrouve marianne

plus tard je retrouve aussi mais lui après trois ans daniel domingo et ça me fait très plaisir c’est lui qui a ouvert mes yeux sur l’art les peintures les sculptures les galeries les musées

il fait très froid à vincennes
je n’ai pas vu michel
il déserte

il faudrait que je travaille
mais je sais que tout ce temps qu’on perd à discuter on le gagne


samedi 15 février

marché de la porte saint-martin
je distribue des tracts pendant que ma sœur fait les courses
froid terrible qui me gèle les doigts les pieds la bouche
je crains que le militantisme ne soit pas fait pour moi ni moi pour lui

douce après-midi
ma sœur tape des articles pour gault et millau
je revois mon programme de droit constitutionnel
ces trois dernières années d’errance n’auront pas été vaines
je comprends un peu mieux maintenant

soir train saint-leu
fridu et cendrine mes animaux


dimanche 16 février 1969

rêves terribles de feu et de mort
je suis brûlée vive et enterrée mais pas tout à fait morte
et de nouveau le feu
puis plus tard rêve de pierre bien sûr
je lui en voulais horriblement
mais de quoi au fond
symboles oniriques de rosemary’s baby
le bébé de gene
le mien
j’en aurais tellement voulu à pierre s’il m’avait fait un bébé
parce que ça aurait été ma faute et parce qu’il n’est plus là
de toute façon consciemment ou non je lui en veux
et ça me rend folle

à part ça neige

je m’engueule toujours avec maman qui m’énerve

je réétudie mon livre d’histoire de seconde et ça me passionne


lundi 17 février

neige sur vincennes
c’est très beau

fourquet à cestas a tiré sur ses deux gosses et puis sur lui quand ces salauds de flics ont donné l’assaut
aberration de la soi-disant justice bafouée paraît-il et la police ridiculisée par elle-même

philippe au cours de libertés publiques
philippe au restau u
michel trente secondes
philippe au cours de droit constitu
philippe à la bibliothèque
jusqu’à ce que je quitte la fac
décidément je suis au mieux avec les biscuits geslot et voreux

marianne au téléphone
puis j’appelle michel
on parle longtemps ça m’étonne en général les types n’aiment pas rester au téléphone

j’ai envie de travailler plus


mardi 18 février 1969

j’aurais aimé que hélène me coupe les cheveux mais quand j’arrive rue guisarde elle est dans son lit et pleure
peu à peu elle m’explique que yannis et elle vont se séparer
il est là aussi mais descend acheter des cigarettes
elle m’expose la situation
elle est à bout de nerfs
alors je me souviens trop de ma propre situation il y a un an maintenant et de l’attitude qu’a eue kiki avec moi quand elle m’a secouée pour me réveiller
j’aimerais que hélène se lève et vienne avec moi
il faut qu’elle parte même une seule nuit
mais je ne peux pas la forcer

ils se disputent
ils ont les mêmes réactions que pierre et moi

je me sens étonnamment forte mais ça me désole
c’est tellement vain

mais christian duc notre ami vietnamien adorable arrive
le courage de sourire et même de rire revient

quand je rentre je trouve kiki devant ma porte du boulevard poissonnière
elle passait là sans savoir que j’habitais là maintenant
elle s’invite avec yves et son copain d’auvergne serge déjà vu chez féraud
nous passons une excellente soirée
ma sœur a invité une collègue d’un certain âge olga qui revit et rajeunit au milieu de nous


mercredi 19 février

hier je me suis surprise à dire à brigitte de la boutique féraud qui m’appelait pour prendre rendez-vous pour la collection
mais je suis très heureuse de vivre
je n’aurais pas pu dire ça il y a un an
et kiki le sait qui a suivi mon évolution pour finalement me récupérer à l’hôpital

tout ce que je dois à kiki
tout
elle est heureuse de me voir enfin installée dans un appartement stable clair propre agréable et confortable
et puis seule enfin
sans des individus comme pierre ou ses frères qui me minaient

3h collection féraud rue du faubourg saint-honoré en face du palais de l’élysée
certains trucs que j’adore qui m’iraient très bien avec des contrastes de couleurs mais beaucoup de choses me semblent trop classiques pour féraud

je n’arrive pas à joindre gérard rychter
il faut absolument que je gagne de l’argent

europe soir
casamayor parle de cestas et de la justice


jeudi 20 février 1969

joli temps plein de soleil

hélène téléphone elle va bien
avec yannis ça va
ça ne me semble que partie remise
elle le sait mais ils ne peuvent pas se résoudre à une séparation

j’arrive à vincennes après quatre heures
à l’a g rémy tout chaud tout doux comme d’habitude
préparation de l’action de demain journée anti impérialiste

puis nous montons au cours sur marx et le marxisme
je connais une demi-douzaine de personnes déjà dont germinal l’anar ami de dany cohn-bendit connu il y a trois ans

après je vais au cours de sciences po avec une camarade journaliste un peu noire
michel arrive me voit ou ne me voit pas et se met de l’autre côté
je suis furieuse
mais je prends ma revanche quand philippe se dérange bruyamment et traverse tout l’amphi pour s’asseoir à côté de moi

ça n’a pas d’importance au fond

à l’entracte joël me rejoint aussi et michel vient dîner avec moi
nous restons ensemble très tard à la cafétéria
il est toujours très caustique


vendredi 21 février 1969

il fait beau merveilleusement beau et si doux
c’est un avant-goût du printemps

cours avec poulantzas
je me trouve en face de christian gaspard qui m’avait raccompagnée un soir au quartier il est un des membres valables du c a comité d’action avec glücksman salmon et quelques autres

puis bibliothèque où je retrouve certains types sympas de droit
michel arrive aussi
j’ai beaucoup de mal à travailler lénine

il fait beau
je suis très vibrante

le drapeau f n l front national de libération du sud vietnam flotte sur la fac dans un vent léger

brusquement je vois daniel l’ami de marianne traverser la bibliothèque et sortir
je le rattrape sans savoir pourquoi
il n’a pas vu marianne depuis longtemps
il me plaît soudain dans ce soleil avec le ciel bleu et rose comme ma robe
il dit que je ressemble à une petite japonaise
une amie passe et dit
oh tu es adorable comme ça


samedi 22 février 1969

je crois que je suis en train de tomber amoureuse
j’ai rêvé et rêvé de daniel
ça m’étonne
j’ai follement envie de lui
j’ai envie de vivre

j’écris très mal
j’entre sans doute dans une période qui ne me laisse pas de place pour écrire puisque je crève de vivre

dessiné aujourd’hui pas mal dans le soleil

vu ce soir sur les grands boulevards en bas de chez nous le film delphine de éric le hung avec dany carrel frédéric de pasquale et maurice ronet
juste agréable pas très profond et déprimant sur le milieu de la mode
quelques robes féraud qui m’iraient encore
un style des gestes une silhouette qui ressemblent à kiki ou à moi en plus ronde
une belle voiture des arbres du mouvement un homme


dimanche 23 février 1969

je voudrais
me marier
bientôt
entre les pommiers en fleurs
près des talus en primevères
à la petite chapelle de kermen
sur le chemin de la source

journée de ciel en nuances

piscine balade
mais trop de monde dans les rues
on rentre on goûte
et je m’endors comme un bébé

le soir je me mets au travail pour faire les devoirs sur les oppressions et la liberté demandés par casamayor pour demain
je me choisis un titre
répression garantie de la liberté
je travaille jusqu’à quatre heures et demie du matin
j’aime travailler la nuit ici quand le boulevard devient enfin calme

marcuse toujours lui
et il a soixante-dix ans


lundi 24 février 1969

mauvais réveil pas assez dormi et mal
je suis nerveuse et de mauvaise humeur ce qui m’arrive rarement
ma sœur est très gentille car elle pourrait m’envoyer balader
mais sa gentillesse m’agace encore plus

après son départ je fais de la gym pour me calmer
mais ça ne m’empêche pas d’avoir une gueule horrible

cours près de philippe
je reste nerveuse parce qu’il ne m’a pas proposé d’entrer dans son futur mouvement  politique comme il l’a proposé à d’autres
me croit-il non valable

puis beaucoup de gens au repas entre philippe toujours et rémy et mon petit anar d’un soir et puis vite marianne
mais où est daniel

et puis brice (Brice Lalonde)
même brice qui dit
tu es toute rose
je réponds toujours
ah

et yannis
et michel devant qui je passe très vite

cours avec philippe on s’entend bien et c’est passionnant
plus tard je le retrouve à la bibliothèque il discute avec un voisin

moi je m’avale en deux heures à peine les luttes de classe en france de marx et engels

puis philippe me parle de ses problèmes pour le mouvement et je comprends qu’il m’impliquait a priori dans son truc
je suis flattée mais il me laisse toute liberté d’adhésion ou non à ce nouveau parti socialiste destiné à rajeunir le s f i o section française de l’internationale ouvrière
simplement il refusait de me recruter comme d’autres

puis longtemps il me parle de ses problèmes
ça m’ébranle ça m’inquiète un peu ça me flatte aussi
est-ce mon physique qui lui donne cette confiance en moi
mon physique de petit page comme il dit

je n’ai pas vu daniel le soir
peut-être n’était-ce qu’une illusion entre deux rayons de soleil et un fragment de ciel


mardi 25 février 1969

mardi long et lent
je perds beaucoup de temps à feuilleter des livres dans les libraires proches de la maison dont la librairie nouvelle en bas de l’humanité voisine
puis tardivement je me lance dans un bouquin d’histoire
je n’ai pas fait grand chose
zut


mercredi 26 février 1969

je me réveille trop tard pour aller au cours de rouvier mais je m’en fiche
son cours est hors sujet
je préfère rester étudier l’histoire du sort des paysans avant de foncer à vincennes où j’écoute pendant deux heures sans relâche le cours sur la lutte des classes et le 18 brumaire
enfin je suis l’histoire j’en comprends le sens tout s’éclaire

ensuite le cours de poulantzas sur la théorie marxiste du travail me paraît évident
il m’aura fallu deux ans de droit et un de sorbonne pour comprendre ça

puis au restau u marianne qui s’étonne de me trouver toujours aussi pimpante et daniel arrive
j’aime le regarder droit dans le visage au cœur des yeux
j’aime son autorité
j’aime moins la présence de marianne parce que je la gène malgré elle


jeudi 27 février 1969

margot ma cousine me réveille au téléphone elle est à paris c’est formidable
elle arrive vers midi et demie toujours en retard
je suis ravie de la revoir

elle m’accompagne chez le dentiste et en m’attendant va se balader du côté de la sorbonne

puis nous allons vers la rue d’assas attendre simon à l’i s e p institut supérieur d’électronique de paris

en chemin une douleur commence à envahir mes muscles du dos puis des épaules et enfin de la poitrine je respire avec peine et quand je m’assieds à l’école électronique c’est la crise d’asthme
la vieille secrétaire douce et dynamique m’offre du rhum et du thé
de l’alcool comme marcel proust quand il prend le train pour balbec avec sa grand-mère

simon est en cours

en attendant le bus je suis obligée d’entrer dans une boutique
la fille est aussi très attentionnée
je retournerai lui acheter des pulls

la douleur cette nuit persiste encore
j’ai affreusement envie de vivre
pas de mourir


vendredi 28 février 1969

j’ai mal toujours mal
chaque mouvement chaque souffle est une torture
je dois pourtant aller à maubert porter des trucs pour gault-et-millau
je grelotte je transpire
j’ai mal au dos

je rentre enfin
après un œuf à la coque et un yaourt je m’offre un whisky à l’aspirine et je m’endors

le soleil erre sur les murs
je voudrais
je veux
daniel

je me sens perdue
j’ai mal
rien n’a d’importance
dans vingt jours je l’aurais peut-être oublié
mais peut-être aussi
l’aurais-je
aimé


Écrit en février 1969,

Gaelle Kermen, Kerantorec, le 28 février 2019


69-lettre-Occupation-2
Recto de la lettre recommandée du restorat arrivée en retard en raison du déménagement de l’île Saint Louis au 10 boulevard Poissionnière.
69-lettre-Occupation-1
Un seul feuillet plié et agraffé pour être sûr qu’on avait reçu la lettre recommandée.

Maquisards du Bois de Vincennes, Gaelle Kermen, 2011 books2read.com/u/brG76M


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Mon bilan de Mai 68 pour comprendre le mouvement des Gilets jaunes 1 : qu’est devenu Bablon?

Comprendre le passé. Apprécier le présent. Préparer le futur.

Lorsque j’ai écrit Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de La Sorbonne, je voulais comprendre ce qui faisait que nous en parlions encore 50 ans plus tard. Dans mon bilan de 2018, j’espérais que le peuple se soulève. Le mouvement historique comme celui des Gilets jaunes va au-delà de mes rêves et j’apprécie le présent. Je publie ici les derniers chapitres du livre qui donnait des pistes de réflexion pour préparer le futur.

mai68-disquepoesie
Archives personnelles 1967-68

Nota Bene : je fais des économies de redevances de domaines internet et supprime mes autres blogs pour rassembler toutes mes productions depuis dix ans dans celui-ci : gaellekermen.net

Les sujets en sont variés comme le sont mes passions dans la vie. J’espère qu’ils vous intéresseront et vous stimuleront à apporter vos pierres à l’édifice commun d’une société plus humaine et naturelle.

Voici mon premier bilan de mon Mai 68 sur mon camarade compagnon de l’époque Michel Bablon (1938-2012).

Bablon68
Portrait de Michel Bablon 67

Qu’est devenu Bablon ?

Sur mon blog d’archives aquamarine67.net, j’ai commencé, avant la parution de cet ouvrage, à publier des articles sur mes souvenirs de Mai 68, dans la catégorie Il y a cinquante ans.

J’ai commencé par la Une de l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur du 30 avril au 7 mai 1968 sur le film de Michel Cournot à Cannes.

J’ai continué par l’inauguration de la boutique de mode Mia et Vicky le 3 mai 1968 au 21 rue Bonaparte, à l’angle de la rue Visconti.

Le troisième article est sur la photo prise l’après-midi du 3 mai 1968 dans la cour de la Sorbonne, j’y parle des personnes reconnues, en plus de Daniel Cohn-Bendit, Brice Lalonde, Jacques Bleiptreu et Michel Bablon, enfin retrouvé dans des photos d’archives, après des décennies de recherches vaines.

Des photos tirées de mes archives seront disponibles sur mes blogs pour en visualiser certains aspects.

Je ne voudrais pas finir ce livre sans donner une idée de ce qu’est devenu Michel Bablon, qui n’a pas eu la lumière des projecteurs médiatiques posée sur lui comme d’autres militants politiques.

Nous nous sommes connus, aimés, déchirés, aimés encore, séparés, retrouvés, de nouveau séparés et enfin perdus.

Si le lendemain du 22 mars, j’avais eu la tentation d’en finir, il m’avait aidée à devenir « qui » j’étais dans une démarche nietzschéenne consciente. Il m’apprenait aussi le détachement et je lui rends grâce à l’âge avancé de ma vie d’avoir appris de lui qu’il ne faut jamais compter que sur ses propres forces, comme disait le camarade Mao à l’époque.

Bablon n’était pas maoïste, mais se tenait informé de ce qui se passait en Chine populaire, il avait des revues chinoises, j’ai dû les détruire fin juin ou début juillet quand nous craignions une descente de police qui risquait de le faire expulser de France. Nous écoutions aussi la radio de propagande diffusée depuis l’Albanie.

Je crois qu’il était surtout guévariste, il dormait souvent sur le lit de camp de l’atelier pour s’entraîner à être un bon guérillero. Pour lui, j’avais un point commun avec le Che, j’étais aussi asthmatique. Mais, Bablon n’en parlait pas beaucoup et je n’ai pas de souvenir de discours d’endoctrinement.

Il m’encourageait plutôt à être moi-même, à suivre mes propres routes, à exploiter mes propres talents. Il disait que je pouvais être une « locomotive » pour les autres.

Oui, je peux lui rendre grâce si longtemps après d’avoir continué le travail de confiance initié par mes propres parents avant lui, consolidé l’année suivante par Casamayor, qui m’avait demandé des articles pour la revue Esprit et mis le pied à l’étrier de l’écriture.

La fin de Bablon

Le 12 juillet 1968 au soir, j’avais demandé à Bablon de m’emmener à la gare Montparnasse pour rejoindre ma terre natale en Bretagne après les délires parisiens du ménage à trois depuis le retour de sa précédente compagne arrivée de Toulouse dix minutes avant que je ferme l’appartement de la rue Visconti, alors que je venais de brûler les documents politiques compromettants.

À dix minutes près, nos vies prenaient une direction différente.

Soudain, il fallait que je change d’air. J’avais besoin de retrouver la plage après les pavés. Même si je n’avais pas jeté de pavés, si j’avais seulement apporté mon aide à l’expérience d’autogestion qu’était la Sorbonne occupée, j’avais besoin de m’allonger sur le sable et de reposer mes muscles fatigués.

Plus tard, Bablon est parti vivre à Londres, j’ai servi d’intermédiaire avec les filles des îles à qui il avait confié l’atelier de la rue Visconti, nous les appelions Wallis et Futuna. Mon amie Jane, ma Calamity Jane, my Sweet Lady Jane d’Aquamarine 67, l’avait hébergé à son arrivée à Londres.

Il a voyagé très loin. Il me recontactait quand il revenait, d’Inde, de Chine, de Cuba, m’invitait parfois à déjeuner, nous retombions dans les bras l’un de l’autre, mais comme il n’était pas question de s’attacher, nous nous séparions sans état d’âme. J’étais devenue la fille libérée qu’il avait souhaité que je sois. Je dévorais les hommes comme il dévorait les filles. Mais il gardait une place spéciale dans mon cœur, il était le premier homme avec qui j’avais vécu.

Lorsqu’il avait déménagé ses affaires de la rue Visconti, il m’avait laissé sa bibliothèque politique, qui m’a servie lors de mes études à Vincennes, et quand j’en ouvre encore un, comme je l’ai fait pour ce livre, j’ai toujours un sourire en voyant apparaître au détour d’une page sa signature ample et généreuse. C’est comme s’il me disait de sa voix charmeuse : « Tu vois petit, je suis toujours là ! »

Et moi, je continue ma route, la mienne, celle qu’il m’a aidée à trouver.

Le temps a passé, j’ai quitté Paris, j’ai perdu de vue de nombreux amis avec qui j’avais été liée. Je n’ai plus jamais eu de contact direct avec Bablon.

En 1998, j’ai publié un article sur Trois jours de folie à la Sorbonne en mai-juin 68 qui commençaient ainsi : « Tant que j’aurai soif de musique, soif de justice… », un article relayé par de nombreuses publications sur Mai 68.

J’ai été contactée par un de ses cousins, qui dressait l’arbre généalogique de la famille Bablon. C’était les débuts d’Internet, il avait trouvé tout de suite mon article. J’ai su que Michel avait eu connaissance de ce que je racontais. Il n’a pas souhaité me recontacter. D’après son cousin, il s’était assagi et avait fini par épouser une fille de gendarme. Il avait une fille. Il vivait à Toulon.

Michel restait ainsi dans le Sud, au soleil dont il avait tant besoin, dont nous avons tous tant besoin, comme sa famille avait choisi Toulouse lorsqu’il avait fallu quitter Madagascar.

Mon article m’a permis d’être contactée par deux des nombreux enfants de Michel.

Un garçon me trouvait très romantique dans ma description de son père. Mais c’est encore l’image que je garde de lui après un demi-siècle. Une fille m’avait écrit parce que sa mère venait de lui dire qui était son père biologique, elle venait de trouver mon article après une recherche sur Michel Bablon.

Elle m’avait fait un courriel juste avant un Noël et c’était merveilleux de pouvoir raconter à un enfant de Bablon la belle vision que je gardais de son père. Je pouvais la mettre alors en relation avec le cousin de Michel. Elle n’a pas voulu aller plus loin. Elle avait été élevée par un beau-père qui avait été un excellent père. Elle avait les réponses aux questions qu’elle s’était posées sur elle-même, sur ses propres engagements. Elle voulait continuer sa vie avec des valeurs qu’elle reconnaissait comme venant de lui, mais sur ses critères personnels. Oui, elle était bien la digne fille de Bablon.

Le cousin a eu la délicatesse de m’informer de sa mort. Le message m’annonçant la fin de Michel m’a permis de faire le deuil de sa personne. Bablon, le guérillero du Quartier latin, le fils des rois malgaches, l’élégant baladin parisien, le grand voyageur, le révolutionnaire du Grand Soir, est mort. Son personnage fait partie de ma vie et gardera toujours une place privilégiée.

Ce que m’a appris Bablon

Bablon m’a beaucoup appris.

Que je pouvais tout faire.

Qu’on pouvait apprendre et progresser toute la vie.

Que rien n’était impossible à qui savait se servir de son intelligence et de ses mains.

Il m’a donné confiance en moi, appris à ne compter que sur moi-même, à ne pas attendre que les autres m’apportent des solutions, mais à les chercher moi-même.

Je n’ai pas mis toutes ses leçons en application tout de suite.

Mais après cinquante ans, je peux dire qu’il a été un formidable Pygmalion.

Merci Bablon !

Bablon, Casamayor, mentors

En ce mois de mai 2018, je ne me presse pas à finir le livre que je consacre à mes souvenirs de Mai 68, parce que j’aime retrouver l’ambiance de l’époque dans ce qu’elle avait de positif. J’ai oublié les crises amoureuses qui avaient pu me faire souffrir comme une bête pour ne garder que le meilleur de notre relation.

Dans ma cuisine, je vois les meubles que j’ai construits moi-même et je me dis que sans Bablon, je n’aurais peut-être jamais pensé à les faire. Il avait taillé la table et les deux bancs de l’atelier de la rue Visconti dans des troncs d’arbres, laqués ensuite à la laque glycérophtalique industrielle, du même type que la peinture utilisée plus tard sous nos yeux émerveillés par Yves Samson, mon troisième homme, en septembre 1987.

Moins bûcheronne, plus menuisière, j’ai utilisé des planches pour faire mes meubles. J’ai acheté du bois de chêne pour en garder la noblesse dans la cuisine ouverte sur le jardin. Dans mon bureau, j’ai opté pour un bois de pin des Landes traité en planches plus brutes pour garder le côté atelier qui rappelle qu’on n’est pas là pour glander, mais pour bosser sur les œuvres que nous nous sommes imposées.

Bien sûr, les talents manuels étaient dans ma famille du côté de ma mère. Mais sans Bablon, je ne suis pas sûre que je les aurais si bien exploités.

Si j’ai besoin d’un meuble, je me le fais. Si j’ai besoin d’un vêtement, je me le couds. Si j’ai besoin de réparer quelque chose, j’apprends à le faire, je n’appellerai quelqu’un d’autre que lorsque j’aurai épuisé les solutions à ma portée. En toute indépendance, parce que Bablon m’avait convaincue en 1968 que je pouvais faire ce que je voulais.

J’ai vu beaucoup de gens au cours de ma vie ne jamais oser faire ce qu’ils désiraient, prétexter que ce n’était pas possible, qu’il fallait avoir tant d’argent avant de pouvoir l’envisager.

Je n’ai jamais fonctionné sur ces principes limitatifs. Mes moyens matériels étaient limités, mais je prévoyais mes projets longtemps à l’avance et dès que c’était possible, là où d’autres auraient dépensé en loisirs l’argent imprévu, moi je l’investissais en outils et matériaux, pour réaliser enfin ce que j’avais conçu, dessiné, planifié et rêvé, parfois des années et décennies plus tôt.

Grâce à Bablon !

Un changement radical de vie

Ce printemps 2018, j’ai fait la saisie des notes du Comité d’Occupation de la Sorbonne retrouvées dans mes archives. C’est seulement maintenant que j’apprends certaines choses qu’il m’avait racontées, mais que j’avais oubliées, ou mal comprises sur le moment.

Bablon avait dû connaître la théorie castro-guévariste lors de la conférence tripartite de La Havane. Il avait vu les choses de près, in situ, sans se contenter de lire des articles ou des livres, même s’il lisait aussi beaucoup.

Bablon avait participé à la conférence de La Havane, comme Casamayor avait participé au procès de Nuremberg après la guerre, puis au Conseil de l’Europe au moment du régime des Colonels grecs, avec Constantin Tsoukalas, un de nos professeurs de sociologie de Vincennes, Tsoukalas dont le père était le Ministre de la Justice et représentait le régime. Tragédie grecque !

Ces gens qui m’entouraient avaient un regard privilégié sur le monde. On n’était pas au Café du Commerce à échanger des brèves de comptoir ni à extraire des petites phrases pour faire le buzz.

Ils m’ont appris la synthèse, l’art de dire beaucoup en peu de mots, que j’ai continué à travailler dans mon Journal au fil des décennies.

Bablon et Casa m’ont appris à comprendre les problèmes et m’ont donné l’injonction de ne jamais me contenter de la surface des choses ni de leur apparence, de toujours aller creuser en profondeur et analyser les différentes implications dans tous les champs d’expérimentation de la vie.

Cournot, Bablon, Casamayor, Tsoukalas, Lambert, Polac un peu plus tard, font partie des gens qui me permettent aujourd’hui d’écrire en liberté. Ils ont créé le terreau sur lequel j’ai pu semer mes graines et dont je peux diffuser les fruits en 2018.


cropped-gaelle_68.jpgGaelle Kermen, écrit au Printemps 2018
Kerantorec, le 19 janvier 2019


A suivre :

Mon bilan de Mai 68 pour comprendre les Gilets jaunes 2 : l’échec de Mai 68

Kit de survie du NaNo #3 : dernières démarches 

nano_logo-830912ef5e38104709bcc38f44d20a0d.pngEn ce 18 octobre 2017, il reste douze jours avant le lancement du NaNoWriMo. Je m’organise pour un environnement agréable et des conditions de travail optimales, une bonne tranquillité d’esprit et une grande sérénité.


Ménage et rangements

La mauvaise saison est arrivée en Bretagne, il a fallu rentrer les meubles de jardin. C’était l’occasion de réorganiser la maison pour l’hiver.
J’ai fait la plus grande partie du ménage d’automne dans ma maison. Je repasserai un bon coup avant le lancement, parce qu’il est possible que je ne vois plus rien lorsque je serai plongée dans la réécriture de l’essai prévu au NaNo. Faire un grand ménage avant de se lancer dans l’aventure est une bonne façon de s’échauffer, ça donne le remps de réfléchir à ce qu’on veut écrire. Que tout soit propre et rangé autour de nous est un grand facteur d’équilibre pour les créateurs. Même si certainEs ont besoin d’un certain chaos, savoir où sont ses affaires est le gage d’un gain de temps et d’une meilleure écriture ou création. La propreté est aussi la base d’une bonne santé générale.


Bricolage

J’ai refait un support bois pour le fauteuil d’écriture qui n’est plus dans le jardin, mais dans la chambre, un des endroits les plus clairs de ma chaumière pendant la mauvaise saison. Pour ne pas être toujours dans mon lit, je travaillerai souvent dans ce fauteuil où je suis bien assise, avec les bras soutenus à angle droit avec le clavier Bluetooth qui me sert à écrire sur l’iPad mini. J’y prends de moins mauvaises postions que dans le lit où j’ai tendance à m’avachir. L’écriture peut induire de graves tensions et douleurs. J’essaie de les prévenir.


Nettoyage de jardin

Avant le NaNo de novembre 2017, j’ai aussi entrepris un grand nettoyage de jardin, terrasse, prairie, pour que mon décor de vie soit harmonieux autour de moi. Ce qui veut dire, tailler tout ce qui dépasse, tout ce qui a séché pendant l’été, évacuer les déchets végétaux dans un trou en cours de comblement, tondre la prairie. Au mois de novembre, je ne ferai que de l’entretien léger, histoire de me défouler après des séances d’écriture intense.

En cette moitié du mois d’octobre, j’ai déjà fait une grosse tonte générale de la prairie (dure, l’herbe avait beaucoup monté après une longue période de sécheresse et d’un coup une période de pluies et tempêtes) et un premier nettoyage des terrasses, envahies d’aiguilles de pin, de feuilles de frênes et de hêtres, sur lesquelles je risquerais de déraper. En période créative, il vaut mieux éliminer toutes sources de risque physique, le cerveau absorbé par les idées risque d’être moins vigilant qu’en période plus normale.


Tenues vestimentaires

Pour écrire, il faut être confortable, ne pas avoir froid, sans avoir trop chaud non plus. J’ai donc prévu des vêtements confortables : chemises Lacoste ou tee-shirts en coton (on transpire parfois autant en écrivant qu’en bûcheronnant), des sweat-shirts en polaire, des pantalons larges en coton ou molleton, robes de chambre longues (courtes en été). Des châles et des plaids s’il fait froid en novembre.


Santé

Avant de commencer l’écriture d’un de ses « romans durs » ou d’un Maigret, Georges Simenon faisait venir le médecin pour vérifier que tout allait bien dans sa petite famille. Je crois que c’est une bonne idée à appliquer pour ceux qui veulent tenter le NaNo. Je vais aller voir mon médecin avant la fin du mois d’octobre.

J’ai déjà acquis quelques paramédicaments de confort, je les ai toujours avec moi, d’ailleurs, surtout en déplacement, ça évite quelques dérapages.

  •  • Pastilles Valda (contre les maux de gorge)
  •  • Vick Vaporubs (contre les rhumes)
  •  • Collyre (contre l’irritation des yeux)
  •  • Smecta (contre les gastros)

Démarches avant le NaNo

  •  Médecin (médocs asthme)
  • Dossiers administratifs : Mairie, OPAH (réfection urgente d’une partie du toit de chaume en ardoise, péril en la demeure). Le NaNo se tiendra pendant la période d’attente des autorisations de modification de couverture.
  •  Courses pour compléter le stock de conserves, de produits de bases, de boissons, de denrées permettant de faire des gros plats portionnés et congelés (L’ouragan du 16 octobre 1987, après ma vie à la montagne, où on pouvait rester isolés du monde, m’a appris à m’organiser pour faire face à toutes catastrophes naturelles ou grèves générales impliquant des coupures longues d’électricité. Sans téléphone, ce serait plus dur ! Pour l’instant, je n’ai pas encore de solution durable à la perte de connexion internet !)
  • Eau de source (On a la chance d’avoir une source d’eau potable sur la commune pour faire café, thé, bouillons, ça n’a pas de prix.)

Entretien du domaine

  •  Tonte de la prairie
  •  Taille des haies
  •  Nettoyage des parterres
  • Rentrer du bois près des poêles

Pour le NaNoWriMo

  • Préparation des projets Scrivener dans l’iPad
  • Inscription sur le site du NaNo : fiche de présentation du livre
  • Commande de couverture du livre au graphiste

Gestion de l’avancement des travaux

Il existe des tableaux d’avancement de l’écriture sur Excel, très complets. J’essaie de tout simplifier dans ma vie. Je trouve que suivre l’avancement des projets est suffisant sur Scrivener et reporter les progrès du jour sur le site même du NaNo, en voyant la flêche se rapprocher du centre de la cible, est suffisant. Organisée, oui ! Obsessionnelle, non !

Je me prépare sur tous les fronts, en notant tout dans les Tâches de mon Agenda Google ou sur le Calendrier Apple, ou dans Notes, ou dans Scrivener, mais je ne fais pas de tableaux J-N. J’évite aussi d’utiliser trop d’applications en même temps. Perte de temps au final. Je ne veux pas me stresser en mettant la barre trop haut dans mon programme d’écriture. Tout doit rester souple et naturel.


En conclusion

Mon père spirituel Casamayor, juriste, écrivain, notre professeur de Droit en Libertés Publiques à l’Université de Vincennes en 1969-70, qui m’avait demandé de faire des articles dans la Revue Esprit, m’avait écrit :

« Ne soyons pas volontariste, mais toujours disponible pour l’événement. »

J’en ai fait une maxime de vie. Dans la mesure du possible, j’essaie de ne pas me rendre dépendante de conditions extérieures, pour ne pas amoindrir mes forces. Je prévois tout ce que je peux avant la grande aventure, en anticipant mes besoins connus. Je veux pouvoir être autonome sans m’interrompre parce que j’aurais besoin de telle ou telle chose. Si j’habitais en ville, je ne réagirais pas comme ça, parce que j’aurais tout en bas de chez moi. Mais l’habitude de vivre loin des centres urbains m’a permis une meilleure concentration sur mon travail d’écriture.

Quand tout me semble calé, j’oublie tout. J’adopte une routine matinale quotidienne d’écriture, après le yoga du réveil (comme les chats) et le petit déjeuner. J’essaie de ne jamais mettre de condition à mon écriture. Je me mets au travail, j’écris et tout va bien.

C’est ainsi qu’en m’organisant au mieux j’ai pu écrire, retravailler et publier plusieurs livres depuis que je suis sur Scrivener (deux guides pratiques) et surtout sur ScrivenerApp (en un an : trois coffrets, trois « 2ème édition », deux guides pratiques, deux livres extraits des cahiers de 67 et 70.

Je vous souhaite le même bonheur ! Mais chacun a son rythme, le mien peut enfin s’accélérer, car je sais ce que je veux publier et le temps se raccourcit si vite !

N.B. Mes témoignages ne sont pas applicables à tout le monde. Il est évident que je peux m’organiser à ma guise depuis que je n’ai plus les enfants à lever le matin ni à aller chercher à l’école. Mais quelques idées sont toujours bonnes à prendre et à adapter à ses propres nécessités. Comme j’en ai recueilli au long de ma vie avec reconnaissance.

Belles écritures !

Gaelle Kermen,
Kerantorec, le 18 octobre 2017


Crédits

Casamayor sur Wikipedia


Pages Gaelle Kermen

Iggybook : trois formats (ePub, mobi, PDF), contact direct avec l’auteure

Amazon : format mobi Kindle

Smashwords : tous formats (site en anglais)

Kobo: format ePub

iTunes Apple format ePub (iPad)

Ecrire au lit : du papier au numerique

Écrire au lit (le passage du papier au numérique) article actualisé le 3 janvier 2017

Un article de Chris Simon repassé sur Twitter me fait me poser des questions sur ma propre pratique de l’écriture dans le lit, comme elle l’explique en donnant des exemples d’écrivains célèbres, dont Colette et Proust, les inspirateurs de ma jeunesse asthmatique et diariste.

Aussi loin que je me rappelle, je me revois écrire mon Journal dans mon lit. Sans doute parce que j’étais très malade et que les crises d’asthme nocturnes m’obligeaient à rester au lit dans la journée. Je lisais donc aussi dans mon lit et prenais des notes dans mes cahiers.

À la lecture de l’article de Chris Simon et des commentaires écrits à sa suite, dont celui de Charlie Bregman, qui écrit sur tablette, sur son canapé ou dans son lit, je réalise que j’ai continué à écrire dans mes cahiers même après être passée sur ordinateur Macintosh en décembre 1993. À l’époque, les ordinateurs de bureau étaient conséquents, bien que mon LC III avec son unité centrale de type  » boîte à pizza  » eût été un des plus petits du marché et le moniteur relativement peu encombrant.

Avant le Mac, j’écrivais sur une petite machine à écrire électrique, Underwood, que j’avais depuis les années 80. Je tapais mes mémoires pour la fac de Vincennes depuis 1969 sur une machine à écrire portable et j’avais déjà commencé la saisie des premiers cahiers par ce biais dès les années 70.

Je n’avais jamais eu l’idée d’écrire mon journal quotidien sur ce support, utilisé pour rendre des devoirs ou des articles quand mon professeur de Droit en Libertés Publiques de la fac de Vincennes, Maître Serge Fuster, dit Casamayor, m’a fait entrer à la revue Esprit en novembre 70 pour mon premier article sur le Festival de Wight 70, Rien que pour ça.

Mon Journal a subi des périodes de grande vacuité. Quand j’ai fait le récolement en 2009, j’ai constaté que ces périodes correspondaient à celles où je vivais en couple, quand mon écriture était moins libre de ses gestes. Comme ma vie d’ailleurs !

À quel moment ai-je changé de support d’écriture du journal ?

Dès 1995, je me suis abonnée à Compuserve et j’ai commencé à échanger des mails avec quelques correspondants encore rares. Les recherches sur le grand réseau qui commençait à s’étendre sur la planète ont remplacé la compulsion d’ouvrages nombreux.

Très vite, j’ai pris l’habitude de mémoriser sur écran, en commençant à écrire des pages de sites Web. Je me suis formée en 1996 en faisant venir des États-Unis le logiciel Adobe PageMill 1.0, puis la version 2.0, avec le logiciel de gestion de sites entier Adobe SiteMill.

Je n’ai pas tenu mon Journal pendant cette période, sans doute parce que je faisais part de mes conceptions, de mes soutiens ou de mes chocs sur mes sites internet, d’abord sur le club-internet dès que cela a été possible en France, fin 96, puis sur Wanadoo et Neuf, enfin sur free.fr.

C’est donc beaucoup plus tard, sept ans, que j’ai eu besoin de reprendre un cahier pour écrire mes pensées, pour reprendre rendez-vous avec moi-même, pour faire le point sur ma vie, souvent chaotique.

Une date mémorable, le 11 juillet 2005, le matin du jour de la naissance de mon premier petit-fils, comme si j’avais pressenti un changement de vie personnelle, alors qu’il ne devait naître qu’à la mi-août.

Le Journal a été timide au début. Je ne savais plus écrire sur papier au stylo. Mais j’éprouvais le besoin de garder en mémoire les actions que j’exerçais sur mon domaine, dont le jardin devenait un parc au fil des travaux que j’y faisais, stimulée par des amis qui m’apportaient de nombreux plants, fleurs, arbustes, arbres.

J’avais lu dans une revue de Jardinage héritée de mon jeune frère paysagiste, mort en 97, qu’une jardinière anglaise avait écrit un livre, dont j’avais mémorisé le titre : We Made A Garden. Depuis, j’ai lu son livre sur mon Kindle, il s’agissait de Margerie Fish dans son domaine d’East Lambrook Manor dans le Somerset anglais à partir de 1938, qui a lancé la mode du jardinage particulier, du Do It Yourself, comme nous le pratiquons désormais. J’ai eu envie de suivre son exemple sans l’avoir encore lue, tenir un Journal de jardin me semblait une nécessité pratique. Une amie m’avait offert Une année à la campagne de Sue Hubbel, qui m’a aussi bien inspirée. Je nous trouvais bien ridicules, mes amies et moi, avec nos petits travaux de jardinage par rapport à elle qui bûcheronnait dans sa montagne américaine sauvage des Monts Ozacks dans le Missouri, près de ses abeilles, avec son gros camion et sa grosse tronçonneuse thermique pour abattre des arbres. Grâce à elle, j’ai osé ensuite me mettre à abattre moi-même les arbres de Kerantorec et à gérer mon bois de chauffe. Mais dans des proportions plus raisonnables pour mes forces, une tronçonneuse électrique et des scies japonaises.

J’avais lu Colette bien sûr, dans ma jeunesse, Flore et Pomone en particulier, ses fabuleuses descriptions de plantes et jardins avaient été une inspiration constante, restée enfouie et ne demandant qu’à se réveiller au contact de ma réalité environnementale. Et Proust m’accompagnait depuis les années 60, chaque printemps revenait le souvenir des haies d’aubépines de Combray, premier signe de renouveau sur la campagne.

Dehors, je laissais le jardin me guider, m’inspirer, m’initier aux mystères de la nature. Dans mon cahier, je voulais être pratique, ne pas faire de littérature, ne pas prendre la pose, ne pas me regarder écrire. Mais très vite la littérature a repris ses droits, car elle reste ma meilleure référence, ma source inépuisable de connaissances. En écrivant, presque chaque jour, le style revenait, s’affinait, se précisait.

J’ai donc écrit dans mes cahiers au fil des travaux. Puis la vie aussi a repris ses droits, avec ses exigences, ses découvertes, ses enthousiasmes, parfois ses énervements ou ses rancœurs, vite cicatrisées grâce à l’analyse, au recul et à la relativisation que permet le Journal quotidien.

J’écrivais toujours dans mon lit, comme je lisais toujours dans mon lit, l’endroit où je peux être le plus confortablement installée en grande paresseuse qui sait économiser ses forces, sans doute parce que des années durant le moindre geste pouvait être source de souffrance et d’angoisse.

Alors, quand donc ai-je commencé à écrire sur un ordinateur portable ?

Il ne me serait pas venu à l’idée de me mettre au bureau devant le gros moniteur de mon deuxième Mac, un PowerPC 860,  pour confier mes écrits personnels à un fichier. Pourtant j’écrivais facilement des pages Internet et jamais, au grand jamais, je n’ai connu l’angoisse de la page blanche. Depuis 96, quand j’avais un sujet à traiter, je me mettais devant le Mac, j’ouvrais Adobe PageMill et les idées venaient toutes seules pour travailler un sujet ou défendre une cause, car nous vivions alors l’Internet démocratique et citoyen, avant que les Marchands du Temple ne s’en emparent à l’aube du nouveau millénaire, en l’an 2000, où j’ai vu changer l’esprit des débuts et s’afficher sur nos écrans des publicités grossières.

L’outil crée la fonction

Je crois que c’est le MacBook qui a suscité l’envie de tenir mon Journal sur informatique. En août 2008, trois ans après avoir repris le journal en cahiers papier, je suis passée à l’écriture numérique. Et le Journal a pris une autre dimension.

Sans doute parce que tout de suite, comme Charlie Bregman le dit, j’ai pu écrire sur mon canapé d’abord, puis dans mon lit, sur un support que j’ai construit aux bonnes dimensions. Maintenant je suis bien installée, comme Colette au Palais Royal, sur mon radeau, avec parfois la chatte à côté de moi.

chatte et macbook
La vieille chatte m’a quittée le 4 mars 2016. Son esprit veille encore sur les lieux.

J’ai abandonné les cahiers papier après avoir trouvé le bon logiciel pour écrire sans souci sur le MacBook : MiLife pour Mac (il n’est plus supporté hélas, par son créateur).

Et ce fut un vrai drame quand j’ai perdu le MacBook lors d’un naufrage à la tisane le jour funeste du 2 mars 1911, la veille de mon anniversaire, horrible cadeau. Un drame castrateur, dont je ne me suis remise qu’en 2015, quand j’ai pu le désoxyder avec un kilo de riz.

Quatre ans de traversée de désert sans publication

J’ai essayé pendant quatre ans de remplacer le cher MacBook par des tablettes. Il m’a fallu en écumer sept, sans jamais parvenir à travailler normalement. Heureusement, oui, je pouvais y écrire mon Journal, sur l’application Write pour Android, avec un clavier bluetooth pour être plus confortable. Mais jamais je n’ai pu aller au-delà de la simple prise de notes, jamais je n’ai réussi à bloguer à partir de la tablette en cours, malgré mes nombreux, très nombreux, trop nombreux essais de mise en forme et publication. Jamais je n’étais satisfaite comme je l’avais été avec le MacBook. Une perte de temps abominable.

clavier_bureau _hiver
Sept tablettes Android ont tenté en vain de remplacer le travail sur MacBook ou sur iPad en quatre ans.

J’ai toujours craint de perdre mes fichiers, malgré les sauvegardes, malgré tous les tuyaux que, vieille routarde du Web, je connais bien, parce que je suis toujours prête à tester de meilleures solutions, pour être plus efficace. J’ai même racheté en urgence une nouvelle tablette Cube parce que j’avais perdu un pan de journal quand la première s’était arrêtée comme ça, sans prévenir, au bout d’un an. La deuxième était moins performante malgré ses specs (spécificités) bien plus avancées. Les tablettes, c’est beau, ça a de la gueule même parfois, mais c’est juste un décor, il n’y a rien de fiable à l’intérieur et je suis navrée qu’Android devienne un standard, c’est de l’argent gaspillé en pure perte.

J’y ai quand même corrigé quelques centaines de pages, les miennes et celles d’un auteur ami. Mais j’en suis restée là, je n’ai rien mis en forme, rien publié, pendant quatre ans. J’avais eu des PC entre les mains, prêtés par des ami(e)s, qui tentaient de m’aider à remplacer mon MacBook. Mais là encore, ça n’a rien à voir. Aucune ergonomie. Des hiérarchies lourdes, fastidieuses, il faut cliquer trois ou quatre fois, là où un clic de Mac suffit. Et trois clics de plus pour chaque manipulation au bout d’une journée, ça fait beaucoup de clics surnuméraires, épuisants, pour les doigts, les mains, les bras, de vrais freins à l’expression de la pensée. Bref, c’était démotivant.

eMac saisie cahiers
L’eMac 2004 a permis la saisie confortable des 15 000 pages des cahiers entre 1960 et 2008.

Pendant cette traversée du désert, j’ai continué la saisie des cahiers sur l’eMac 2004, très confortable pour une frappe informatique aux kilomètres, 15 000 pages quand même. Mais je n’ai jamais eu l’idée d’y tenir mon Journal. Trop de distance entre le texte et mon cerveau. Le clavier de bureau met de la distance. La position assise droite et rigide met de la distance.

Or l’écriture doit jaillir de l’inconscient, comme le dit Chris Simon, et la position allongée est la plus adaptée pour laisser l’inconscient se révéler, selon les indications de Freud pour la cure analytique. Tenir son journal procède d’ailleurs pour moi de la cure analytique au quotidien. Cette cure a le mérite d’être gratuite, efficace et de ne déranger personne autour de soi…

Écrire au lit avec Scrivener sur un MacBook

Aussi quand j’ai retrouvé l’usage miraculeux du MacBook, j’ai immédiatement repris la position de l’écriture inconsciente, assise dans mon lit, les jambes allongées, le cerveau connecté au clavier et à l’écran, au plus près du texte.

Maintenant j’écris mon journal avec Scrivener et je gère tous mes projets d’écriture avec Scrivener.

journal scrivener
Tenue du Journal sur la version Scrivener de bureau pour Mac

Depuis que j’ai retrouvé le bonheur d’écrire dans mon lit sur un Macbook en prenant d’abord des notes sur un iPad 1, j’ai repris confiance pour la publication de certains écrits, une confiance que j’avais perdue avec les PCs et les tablettes. Quand je vois tout ce que j’ai écrit et publié en quelques mois depuis mars 2015, je me dis que rien ne vaut d’écrire dans son lit, mais sur un MacBook avec Scrivener et un iPad avec Simplenote et SimpleMind+. Car l’iPad a remplacé aussi la tablette Android, pour de grands avantages, plus de stabilité, jamais de plantage, une bonne ergonomie, un clavier fluide et rapide, des recherches sur le Web sans attente…

Écrire au lit est toujours une promesse de bonheur avec soi-même

Écrire dans mon lit implique maintenant d’écrire sur un Macbook et un iPad. C’est comme être connectée directement à mon cerveau, il n’y a aucune distance entre la pensée et sa saisie. Et au moins, je n’ai plus besoin de recopier ce qui était avant écrit sur papier.

Écrire au lit est comme une respiration bienfaisante. Ce n’est jamais une fatigue ni une corvée, c’est plutôt une relaxation qui me donne le sentiment d’exister. Je me dis que j’ai au moins fait ça dans ma journée, tracer quelques lignes noires sur une page blanche…

Écrire au lit est toujours une promesse de bonheur, un petit moment passé avec moi-même, loin de l’agitation du monde, au plus profond de l’essentiel, à la recherche de la quintessence du sens de la vie.

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Ferai-je un article de cette longue réflexion matinale induite par la relecture de l’article de Chris Simon, l’Américaine parisienne qui a écrit Lacan ou la boite de mouchoirs ?

Je crois, puisque je passe de Scrivener à WordPress en deux ou trois clics.

Et voilà !

Belles écritures !
Gaelle
Kerantorec, 14 avril 2016

Post-Scriptum du 3 janvier 2017

Depuis cet article, j’ai eu le bonheur de pouvoir acquérir de vrais outils de travail d’écritures quotidiennes, l’iPad mini 4 et l’iPhone 5c. Je continue donc plus que jamais à écrire dans mon lit, surtout en hiver. Le résultat est d’une grande efficacité.

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Crédits

http://chrisimon.com/ecrire-dans-son-lit-la-creativite-et-linconscient/

Chris Simon

http://www.amazon.fr/Charlie-BREGMAN/e/B008BQV1LW/

Articles revue Esprit 1970

Casamayor, magistrat et écrivain français (1911-1988)

Une année à la campagne, Sue Hubbell, Gallimard, folio, 1988

https://fr.wikipedia.org/wiki/Sue_Hubbell

We Made A Garden, Margerie Fish, 1956

https://en.wikipedia.org/wiki/Margery_Fish

Application Write for Android

Application Simplenote

Application SimpleMind+

Logiciel d’écriture Scrivener

Modèle pour écrire son Journal sur Scrivener : Modèle Journal en OPML

À suivre sur mon blog de chantier Kerantorec : Écrire au lit : l’équipement nécessaire pour être confortablement installée

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ScrivenerSimpleCover

Gaelle Kermen est l’auteur de Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, 2016.

Une valeur sûre : depuis sa sortie, le guide est en tête des meilleures ventes dans les catégories Logiciels, Bureautique et publication, Informatique et Internet, sur Amazon comme sur Apple. Il remplit donc sa mission d’aide à l’écriture et à la publication pour les auteurs et les éditeurs francophones.

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