50 ans après Mai 68 #2 : le réussir en 2018

Les valeurs de l’état ne sont plus garanties

L’élection présidentielle nous obligeait à voter Emmanuel Macron pour faire barrage à l’extrême droite incarnée par Marine le Pen. Quiconque osait ne pas l’affirmer était rejeté dans les bas-fonds, balayé vers les caniveaux, moqué, vilipendé, ostracisé, nié.

Un an plus tard, je suis convaincue que Marine le Pen n’aurait pas pu faire pire. Elle avait le mérite d’avancer à visage découvert. Nous connaissions l’ennemi. Le président des très riches a avancé masqué, il a toujours eu un discours biaisé, truqué et déloyal vis-à-vis du peuple piégé. Un peuple, abruti par des médias vendus au capital, mais quand même subventionnés par l’argent public, a été convaincu de voter pour le Premier communiant au motif qu’il fallait empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.

Comme je ne me laisse pas influencer par les organes de presse officiels, je n’ai pas suivi cette analyse fallacieuse. J’ai donc voté deux fois pour Jean-Luc Mélenchon aux deux tours de l’élection présidentielle. J’avais gardé son bulletin de premier tour. Je savais que mon bulletin serait nul, mais je serais au moins en paix avec ma conscience, la seule à qui j’ai des comptes à rendre.

Quand je vois les horreurs perpétrées au quotidien par un président illégitime, je me réjouis de n’avoir pas voté pour lui. Et si Mélenchon m’avait demandé de voter pour Macron, je serais moins laudative que je ne le suis en ce moment.

Pour empêcher un mal possible, on nous a imposé un mal abusif. Les médias ne sont plus fiables. Les valeurs de l’État ne sont plus garanties. Il est temps de réagir.

France, réveille-toi, le vieux Monde est derrière toi !

La diversité est une richesse

Qui connaît un peu l’Histoire sait que la France s’est construite sur l’immigration. Le monde s’est construit sur l’immigration. L’humanité s’est construite sur l’immigration.

Le repli sur soi est solution temporaire de survie, mais à terme assurance de sclérose et de mort. Sans diversité, un milieu s’appauvrit et finit par disparaître.

En rejetant nos semblables, nous nous condamnons à mourir. En les acceptant, en les accueillant, en les protégeant, c’est nous-mêmes que nous secourons. La diversité est la richesse du genre humain comme des règnes animaux ou végétaux.

Je viens d’une famille nombreuse. Mon père gagnait peu d’argent, 600 francs selon mes souvenirs avant Mai 68, petit employé de surveillance à la librairie Hachette et aux Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne, il en gagnait plus de 1 000 francs après les accords de Grenelle. Rien que pour ce changement de niveau de vie matérielle, je peux témoigner que Mai 68 a été une avancée sociale majeure dans l’Histoire de la France.

Mais l’argent n’était pas le principe premier de la famille. Maman disait quand nous amenions des amis et amies à la maison : « Quand il y en a pour quatre, il y en a pour cinq ! Quand il y en a pour huit, il y en a pour dix ! »

J’ai retenu la leçon. Le partage est toujours plus que la somme de ce qu’on croit posséder. Le partage est source de richesse et non d’appauvrissement.

Voir la vie à l’aune de la mathématique est se limiter avec aigreur.

Partager le peu qu’on a est un bonheur sans frontière.

Le sinistre de l’Intérieur calcule que l’afflux des migrants représente la valeur d’une ville chaque année.

Je doute que ses calculs soient valables. La vie humaine ne se résume pas à des calculs économiques. Elle est plus généreuse que la stricte comptabilité, qui ne fait que mesurer des moyens matériels au mépris des formidables forces spirituelles qui peuvent se libérer si on ne bloque pas les flux d’énergie.

On ne calcule pas ce qu’on partage. Et on trouve ce qu’il faut pour nourrir ses proches et ceux qui en ont besoin. Quel que soit le niveau de revenus, on peut se débrouiller.

Comment rejeter nos semblables ? Nous sommes frères et sœurs d’une même planète. Nous ne sommes pas obligés de vivre tous ensemble, toujours, mais nous pouvons au moins respecter les autres pour nous respecter nous-mêmes. C’est une garantie de survie.

Il s’agit de remettre l’imagination au pouvoir, car laisser les technocrates et les oligarches s’en occuper, c’est aller au casse-pipe comme en Grèce. Si nous laissons la situation actuelle aller au bout de sa logique, nous allons vivre comme les Grecs dans très peu de temps.

Honte à celles et ceux qui nous gouvernent en prétextant le contraire.

Mais cela ne peut pas se prolonger indéfiniment. Un jour, il faudra rendre des comptes.

Quand une situation est mauvaise Il faut la changer

J’ai l’impression d’être encore dans les années 1950 quand j’entrevois ce président cinquante ans après les événements de Mai 68. Nous avions l’histoire derrière nous avec le Général De Gaulle. Il incarnait encore la Libération du pays et, même si dix ans de pouvoir suffisaient, nous gardions du respect pour l’homme qui incarnait l’État en une majesté bien comprise.

Là, quel respect pouvons-nous avoir devant le Premier communiant des années 50 ?

Lui qui dit des énormités injurieuses à chaque intervention non écrite par une plume négrière.

Lui qui croit faire des bons mots sur le dos des Comoriens, des gens qui ne sont rien, des ouvrières illettrées, des fainéants ou des envieux.

Lui qui semble chaque fois si satisfait de lui-même qu’il en devient stupide.

Que va devenir notre pays en de si mauvaises mains ?

Les forces de l’ordre, que l’on voit partout désormais, vont-elles longtemps continuer d’appliquer des ordres odieux contre les étudiants ou les zadistes ?

Un État qui traite si mal sa jeunesse perd le peu de légitimité qu’elle semblait avoir.

Quel crédit pouvons-nous accorder à un président aux dents longues qui parle d’optimisation fiscale quand on l’interroge sur la fraude et l’évasion des capitaux ? Quel respect accorder à quelqu’un qui a toujours trahi, ses amis comme ses propres engagements ?

Quand une situation est mauvaise, il faut la changer.

En Mai 68, il semble que les forces de l’ordre aient résisté aux ordres, dans l’armée et la police. On a évité des drames.

En mai 18, que les forces de l’ordre se réveillent ! Il est temps de tout arrêter. On peut s’étonner qu’il y ait un tel budget pour les équipements des forces de l’ordre quand il n’y en a pas assez pour les hôpitaux ou les maisons de retraite. Quand on dira aux policiers, qui attaquent les universités, les gares et les ZAD, qu’il n’y a plus d’argent pour payer leurs primes, peut-être même pour payer leurs salaires, ou garder leur statut spécial, j’espère qu’il se réveilleront ! On entend déjà des grondements.

Insoumission et résistance doivent être les maîtres-mots pour nous sortir de cette situation qui va être dramatique si on continue sur cette lancée.

Comme disait Gébé dans L’an 01 : « On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste ! »

En Mai 68, les jeunes se sont rebellés. Les ouvriers ont suivi. Les syndicats ont négocié. Les salaires ont augmenté. Une quatrième semaine de congés payés a été accordée. La vie a changé. Les relations humaines se sont modifiées.

Un slogan des manifestations du printemps 2018 est : « Quand tout sera privé, nous serons privés de tout. »

À quoi servira l’État quand tout aura été privatisé ?

Quand tout sera privé, sera-t-il possible à un dictateur d’acheter aussi l’État pour le privatiser ?

C’est l’autoroute que nous lui déroulons, si nous laissons faire ces privatisations généralisées de nos services publics.

Il faut se battre contre les iniquités de ce nouveau régime monarchique.

Le général De Gaulle, avant d’être le sauveur de la France, avait été hors-la-loi sous le régime de collaboration du maréchal Pétain. Ce fut le cas de Nelson Mandela et d’autres combattants des luttes pour leurs pays.

Ne l’oublions jamais : avant d’être légitime, il faut parfois résister au pouvoir en place. Il est temps de se réveiller de ce cauchemar.

Vive Mai 2018 !

Élément déclencheur : l’intervention des CRS dans l’Université

Pour qu’il y ait révolution, il faut un élément déclencheur.

Les violences policières ont été l’élément déclencheur des événements de Mai 68. Elles ont choqué tout le monde, les voisins des quartiers des barricades, les ouvriers dans les usines, tout le monde s’est senti concerné et tout le monde a réfléchi à ses conditions de travail et de vie.

La grève générale a été suivie par dix millions de salariés qui ont réussi à faire plier le régime, à le faire asseoir à une table pour obtenir des acquis sociaux sur lesquels le Premier communiant des années 50 entend revenir par ordonnances et pressions multiples dans tous les secteurs d’activité.

Lorsque je me suis inscrite à la fac de droit d’Assas en octobre 1964, la documentation jointe à mon carnet universitaire expliquait que seul le doyen de l’Université pouvait faire entrer les forces de l’ordre dans les bâtiments.

J’avais été surprise qu’on envisage de faire entrer la police à la fac.

Pour nous, ce n’était pas envisageable. L’Université et l’Église étaient des zones protégées, des asiles de sécurité.

Aussi, à Nanterre en janvier 68, les étudiants sont-ils devenus « enragés » quand ils ont vu entrer des CRS dans l’Université.

L’occupation de la tour s’est organisée spontanément le 22 mars à cause de la mobilisation policière impressionnante dans les locaux.

Plus tard, le doyen Grappin ferme l’université le 2 mai.

Le 3 mai, rendez-vous est donné à la Sorbonne, pour une Assemblée Générale.

Le doyen appelle encore les forces de l’ordre. Et tout explose ! Plus rien n’est maîtrisé. Rien n’avait été prévu par les dirigeants étudiants. Tout est spontané.

Comme à Nanterre en janvier, à l’entrée des CRS une manifestation spontanée se déclenche près de la Sorbonne, appuyée par les lycéens qui sortaient du lycée voisin, Louis le Grand.

Le soutien de la population locale confirme la thèse guévariste de la guerre de guérilla.

La femme du proviseur de Louis-le-Grand me le racontera l’été 69 lors du mariage d’une amie d’enfance au Pouldu, dont j’avais créé la robe. Ils avaient rouvert les grilles pour faire entrer les manifestants.

En 1973, lors d’une retraite d’écriture dans une abbaye savoyarde, une nonne de la Congrégation religieuse non loin du Pot de fer me racontera la nuit du 10 mai dans le quartier autour de la rue Gay-Lussac, lorsque les portes de la chapelle avaient été ouvertes pour que les étudiants puissent se mettre à l’abri des violences policières. Ils avaient respecté l’office des matines des moniales.

Les deux militants du Comité d’Occupation de la Sorbonne, Rabinovitch et Bablon, précisent bien qu’ils n’ont pas supporté de voir la police à la Sorbonne ! Certes, ils étaient engagés dans le militantisme depuis la guerre d’Algérie, mais cette vision leur était intolérable. Les CRS à la fac étaient le symbole de l’oppression. On ne pouvait l’accepter.

Le problème au printemps 2018 est que les violences policières sont devenues la norme quotidienne et que la population est en état de sidération. Que certains trouvent cela normal me choque encore plus ; cela veut dire qu’on s’habitue à l’anormalité des comportements, chemin rapide vers une dictature acceptée, vers une servitude volontaire.

Chaque jour, je visionne en direct les vidéos tournées par une jeune zadiste courageuse, Armelle Borel, juriste, qui nous montrent et nous expliquent le quotidien de l’occupation policière du bocage. Je suis scandalisée. Mais certaines personnes trouvent cet état de fait normal !

Non, cela ne peut pas être normal.

Victor Hugo déclarait à l’Assemblée législative en avril 1851 après le coup d’État du petit Napoléon : « Ce gouvernement, je le décris d’un mot : la police partout, la justice nulle part ! »

C’est devenu un slogan de Mai 2018 : « Police partout, Justice nulle part. »

On en est au même point. Nous avons un petit Napoléon, qui, souffrant d’un complexe d’impuissance, ne peut s’imposer qu’en faisant appel à des forces policières.

Pour en finir avec Mai 68 ? Le réussir en 2018 !

Dans le Gardian, journal de la presse anglaise qui n’est pas à la solde du pouvoir français comme le sont les organismes de presse en France, je vois une équation :

Fillon + Le Pen = Macron

On voulait éviter les deux premiers.

On a les trois pour le prix d’un.

Mai 68 n’était qu’une crise adolescente, la maladie infantile du capitalisme. Maintenant que le néo-libéralisme nous étrangle, il est temps de tirer les leçons de l’histoire.

Je suis étonnée qu’il n’y ait pas plus de débordements dans les manifestations.

Je suis surprise qu’il n’y ait pas encore d’émeutes.

On ne peut imaginer notre pays supporter un tel rouleau compresseur pendant plusieurs années.

Tenir bon.

Oui, pour en finir avec Mai 68, il faut le réussir en 2018 !

Gaelle Kermen,
Kerantorec, écrit en avril 2018, publié sur ce blog le 20 janvier 2019


Mon bilan de Mai 68 pour comprendre le mouvement des Gilets jaunes 1 : qu’est devenu Bablon?
Mon bilan de Mai 68 pour comprendre les Gilets jaunes 2 : l’échec de Mai 68
50 ans après Mai 68 #1 : l’illégitimité du régime
50 ans après Mai 68 #2 : le réussir en 2018
50 ans après Mai 68 #3 Vive Mai 2018
50 ans après Mai 68 #4 Changer la vie

Extrait de Des pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne, disponible en tous formats numérique et sur broché en impression à la demande (deux formats : normal et grands caractères)

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gk-giletjauneGaelle Kermen est l’auteur des guides pratiques Scrivener plus simple, le guide francophone pour Mac, Windows, iOS et Scrivener 3, publiés sur toutes les plateformes numériques.

Diariste, elle publie les cahiers tenus depuis son arrivée à Paris, en septembre 1960. Publications 2018 : Journal 60 et Des Pavés à la plage Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne.

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Combat Nº 7436 Mercredi 12 Juin 1968

Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »

Combat_12_juinDE NOUVEAU LA RUE…

« Il n’y avait pas d’autres moyens pour les étudiants d’exprimer leur volonté que sous la forme brutale qu’ils ont adoptée en mai dernier. Lorsque par dizaines de milliers ils se battaient sur les barricades et défilaient dans Paris, cela signifiait quelque chose : cela signifiait une réaction unanime contre les lois d’une société qui méprise la dignité de l’homme, cela signifiait également une réponse au défi stupide qu’un gouvernement fanfaron leur avait lancé en réduisant leur colère aux dimensions d’une agitation groupusculaire. De cette manière, les étudiants sont au moins arrivés à leurs fins : ils ont mobilisé l’attention de l’opinion, ils ont provoqué chez les Français une crise de conscience salutaire, et ils ont imposé leur droit à participer à l’élaboration de leur propre destin. Ce ne sont pas de minces victoires, même si elles ne sont pas encore consolidées. » (…)
« Ce n’est pas au hasard de combats de rue qu’on pensera cette société nouvelle. Les barricades étaient nécessaires pour exprimer une ferveur et une volonté de libération, et pour donner un élan à un mouvement juste. Elles sont néfastes dans la mesure où le mouvement a trouvé sa dynamique et posé ses premiers jalons. »
COMBAT

GRÈVES : DURCISSEMENT DANS LES SECTEURS PARALYSÉS

La tension reste vive à Sochaux après les heurts violents qui ont opposé hier les grévistes de Peugeot aux forces de l’ordre et qui ont fait un mort

  • Fermeture des usines Renault à Flins après le départ des forces de l’ordre et la réoccupation par les grévistes
  • CGT et CFDT appellent à un arrêt de travail d’une heure cet après-midi
  • les ouvriers de Sud-Aviation s’opposent à la reprise du travail préconisée par les syndicats

ÉTUDIANTS : RELANCE DE L’AGITATION

Hier soir à Paris manifestations dans tous les quartiers, en réponse à la mort du lycéen noyé à Meulan

  • La police a empêché la formation du cortège, mais les étudiants se sont dispersés en petits groupes d’action.
  • Partout dans Paris des barricades se sont élevées aussitôt dégagées par les forces de l’ordre

Lycées : reprise aujourd’hui

  • Le SNES et le SGEN l’ont décidée, mais, en pratique, la situation ne sera normale qu’en fin de semaine.

Baisse des valeurs françaises à la Bourse et nombreuses tractations sur l’or

De Gaulle entame-t-il ses 100 jours ?


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 3 juin 2018

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7420 Vendredi 24 Mai 1968

Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »

Combat_24_mai

LA JOURNÉE-CLÉ

  • De l’ampleur de la manifestation de ce soir dépend l’évolution de la situation
  • A 20 heures à la T.V. de Gaulle va menacer, apaiser et promettre
  • Dans toute la France les paysans manifestent leur inquiétude devant les échéances européennes

Extrait de l’éditorial

A l’heure où sont écrites ces lignes, on ne connaît pas encore le bilan des violentes manifestations qui ont éclaté hier soir au Quartier Latin. Si elles ont atteint ensuite l’ampleur que l’on sait, et si de nombreux étudiants s’y sont joints, ce n’est pas pour répondre à un mot d’ordre. Les dirigeants étudiants et enseignants qui ne portent aucune initiative de cette nouvelle émeute, désiraient garder toutes leurs forces pour la manifestation de ce soir, dont la signification est précise. Les incidents survenus la nuit dernière risquent de compromettre la grande démonstration à laquelle se préparent l’UNEF, le SNE-Sup et les comités d’action. Ceux qui en redoutaient l’ampleur, c’est-à-dire le gouvernement et la CGT, auront de bonnes raisons de se féliciter d’un contretemps aussi opportun. (…)
Nous disions hier que l’évolution de la situation dépendait désormais de la rue. La CGT n’accepte pas, pas plus que le gouvernement, que tout dépende de la rue. Alors, cet après-midi, elle va chercher à dominer la rue pour étouffer les forces qui la gênent, et qui sont l’expression de la contestation la plus authentique et la plus généreuse. (…)
Peut-être en viendront-ils à bout dans l’immédiat, tant est puissante la conspiration de l’ordre établi. Mais la poussée de cette révolte est désormais irrésistible, et elle mènera à de nouveau et plus dramatiques affrontements qui chaque fois éroderont un peu plus la société en place.
Le mouvement est désormais engagé. Le discours du général de Gaulle, ce soir, ne le freinera pas. Les mots qu’il emploiera ne sonneront pas aux oreilles de la jeunesse. De toutes façons, il ne comprend pas ce qu’elle veut. Il ne l’a jamais compris. Et la réponse qu’il lui donne depuis quelques jours ne fait que la séparer un peu plus de la société qu’elle conteste.
Philippe TESSON


Étudiants et jeunes travailleurs se rassemblent à 18 h 30

à Stalingrad, à la Porte des Lilas, à la Porte de Montreuil, à la Place Clichy d’où ils convergeront vers la gare de Lyon

La CGT appelle de son côté la population à manifester sa solidarité avec les grévistes : à Paris cet après-midi défilé de la place Balard à Austerlitz et de la Bastille au boulevard Hausmann


Émeute spontanée et violente hier au Quartier Latin

Les dirigeants étudiants et enseignants n’ont pris aucune part à son initiative

  • La CFDT se dit solidaire des étudiants et prête à coordonner son action avec l’UNEF.
  • M. André Barjonet, l’un des dirigeants de la CGT, démissionne.
  • Cohn)Bendit annonce son intention de forcer la frontière cet après-midi à Strasbourg.

(Extrait) A DE GAULLE par Maurice Clavel

« Le mouvement de notre jeunesse, et particulièrement de ceux qu’on appelle les enragés ou trublions, est spirituellement magnifique. Il rend l’espoir à notre pays et à d’autres. Pour ma part, j’y retrouve à peu près ce qu’avait rêvé la jeune résistance française – communiste comprise, en dehors de l’appareil stalinien. Et voici qu’aujourd’hui mes élèves de philosophie, les meilleurs, les plus pensifs, ont lutté sur les barricades. Voici que le désordre a quelque chose de constructif et de prometteur. Voilà pourquoi le mot chienlit, s’il est vrai que le général de Gaulle l’a prononcé, est un crime contre lui-même.
Un crime et une sottise. Si le général de Gaulle fait tout pour briser l’hégémonie américaine, comment peut-il refuser que la jeunesse française se révolte de toute sa générosité contre la société américaine, source, substance et but de cette hégémonie ? Comment a-t-il pu, lui, que l’on pouvait croire d’essence spirituelle, nous imposer ce monde et ce genre de vie matérialiste, aliénant, désespérant ? Il y a là une sorte de péché contre l’esprit, que le sursaut de notre jeunesse rachète, aux yeux de notre histoire future. » (…)


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 22 mai 2018

Combat Nº 7419 Jeudi 23 Mai 1968

Journal de Paris – Devise : « de la Résistance à la Révolution »

TOUT DÉPEND DE LA RUE

après le rejet de la motion de censure et la perspective de négociations syndicats-gouvernements

 

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Extrait de l’éditorial

Tout n’est pas fini. Il reste la rue. Tout dépend de la rue. (…)
Il reste pour le pouvoir une menace, elle vient de ceux qui refusent l’ordre établi, ceux qui ont semé les grains de la révolte : les étudiants et ceux chez qui ce grain a germé : la minorité des jeunes travailleurs décidés à poursuivre la lutte en dépit des satisfactions immédiates qu’ils pourraient obtenir.
Personne ne peut mesurer leur nombre ni la portée de leur résolution. Mais ils peuvent aller loin : la manifestation que préparent étudiants et enseignants en est un témoignage. Ils ne veulent ni perdre ni trahir la révolution qu’ils ont engagée. Les dimensions de leur lutte sont la grande inconnue de la partie qui se joue : pour peu qu’elle dure, qu’elle se durcisse ou qu’elle soit marquée par un épisode dramatique, alors les calculs du général de Gaulle seront déjoués. Et ne serait-il pas normal que, puisqu’elle est née dans la rue, cette grande révolte qui secoue la France trouve son dénouement et sa victoire dans la rue ? (…)
Le problème est dans l’affrontement de deux sociétés. L’une est la société de l’ordre, du privilège et du passé, l’autre est la société du mouvement, de la justice et de l’avenir. »

Philippe Tesson


Les étudiants préparent une « manifestation dure » au Quartier Latin

  • HIER SOIR, DÉSAVOUÉS PAR LA CGT, ILS ONT MARCHÉ À 10 000 SUR L’ASSEMBLÉE NATIONALE
  • LE GOUVERNEMENT A INTERDIT EN FRANCE COHN-BENDIT

Vaste remaniement ministériel attendu

  • M. EDGAR FAURE POURRAIT SUCCÉDER À M. DEBRÉ
  • M. POMPIDOU L’A EMPORTÉ DE 11 VOIX HIER À L’ASSEMBLÉE
  • M; PISANI A VOTÉ LA CENSURE ET S’EST DÉMIS DE SON MANDAT

Après la proposition faite par M. Pompidou de les recevoir, la CGT, la CFDT et FO s’orientent vers une plate-forme commune de fait


ABSOLUMENT POUR LES ENRAGÉS par Maurice CLAVEL

Combat m’a offert d’accueillir dans ses colonnes mon éditorial-télé du « Nouvel Observateur » paralysé. Je le remercie de tout cœur. J’aurais renoncé à cet article, mais l’interdiction de Cohn-Bendit, qui achève de peindre leurs figures, lui rend une certaine actualité.

Ah ! comme vous auriez voulu qu’à jamais ils s’intéressassent au jerk, au shake, au yé-yé, à Johnny, Sylvie, Nana et Farah Dibah, à France-Soir page 2, à Paris-Presse page 31 ! Eh bien, c’est raté. L’esprit s’est levé en tempête au moment où je ne l’espérais plus, et voilà que tout est changé, car tout ce qui était devant nous est déjà devenu physiquement impossible. (…)


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 21 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne