Combat Nº 7431 Jeudi 6 Juin 1968

Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »

Combat_6_juinLA GRÈVE SE MEURT

Reprise progressive du travail à la SNCF, à la RATP, aux PTT et dans la Fonction Publique

La situation reste confuse dans le secteur privé

  • Industrie automobile : point mort
  • Industries aéronautiques : piétinement
  • Aviation civile : règlement en vue
  • Protocoles d’accord conclus à l’Energie Atomique, à l’Union des Industries Métallurgiques et Minières et dans le sucre
  • Enseignement : pas de reprise à prévoir avant demain au plus tôt
  • L’UNEF refuse à M. Ortoli la qualité d’interlocuteur valable

De Gaulle demain soir à 20 heures à la télévision

  • M. Couve de Murville : pas de menaces immédiates pour la trésorerie et la monnaie
  • M. Jean-Jacques de Bresson directeur général de l’ORTF
  • M. Pisani crée un Mouvement pour la Réforme et présentera des candidats
  • Dénonçant la supercherie de la consultation et l’incapacité de la majorité gaulliste à assurer les réformes, M. Cornut-Gentille abandonne ses mandats

KENNEDY LUTTE CONTRE LA MORT

Les chirurgiens réservent leur pronostic jusqu’à la nuit prochaine après l’opération qu’ils ont pratiquée hier

  • Dans la meilleure hypothèse, une seconde intervention serait nécessaire
  • Aucune indication n’a été livrée sur les mobiles du meurtrier, un Arabe de 25 ans

Gaelle Kermen, Kerantorec, le 22 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7430 Mercredi 5 Juin 1968

Journal de Paris « de la Résistance à la Révolution »

Combat_5_juinPOMPIDOU BANQUE

  • Il paie très cher la reprise du travail dans le secteur nationalisé
  • Les augmentations proposées varient de 10 à 20%
  • Elles sont assorties d’avantages en matière de primes, de congés, d’horaires de travail, etc.

LENTE TENDANCE A LA REPRISE

  • SNCF, PTT et RATP : la base reste divisée
  • CHARBONNAGES : reprise totale ce matin
  • AUTOMOBILE : très net durcissement
  • Les grandes firmes privées restent paralysées

LA GRÈVE SE POURSUIT À L’ORTF
après la promesse de 1,77 %

  • Le programme minimal est assuré à la TV
  • France-Inter en grève
  • L’Intersyndicale subordonne la reprise du travail à l’acceptation du statut intérimaire par le gouvernement

UN CANDIDAT GAULLISTE COMMUNISTE ET FÉDÉRÉ DANS CHAQUE CIRCONSCRIPTION

  • Regroupement des diverses tendances centristes autour de M. Jacques Duhamel, président du groupe P.D.M.
  • Les giscardiens seront présents dans chaque circonscription détenue actuellement par l’opposition
  • Duels Jeanneney-Mendès France à Grenoble – David Rousset – Mermoz à Vienne, Caldaguès-Bertrand Motte

Gaelle Kermen, Kerantorec, le 26 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7423 Mardi 28 Mai 1968

Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »

Combat_28_maiLA FRANCE FERMENTE

Relance de la grève : la base, en refusant les conclusions de la Table ronde, exprime sa défiance à l’égard du régime et des syndicats

  • Une nouvelle négociation gouvernement-syndicats paraît probable.
  • Malgré quelques reprises de travail, notamment dans l’EST, le mouvement de grève se durcit.

L’ampleur et la ferveur du meeting tenu hier soir à Charléty en présence de PMF laissent présager la naissance d’un mouvement révolutionnaire

  • Le P.C. avait désavoué la manifestations. La C.F.D.T. et plusieurs fédérations F.O. s’y sont associées.
  • M. Geismar, déchargé de ses responsabilités à la tête du SNE-Sup, compte poursuivre son action révolutionnaire.

Malaise à la FGDS avant la rencontre de ce soir avec le PC

Giscard prépare sa candidature à l’Elysée

  • Le référendum fixé officiellement au 16 juin
  • La campagne s’ouvrira le 4, mais de Gaulle parlera dès le 3
  • Le texte du projet sera publié demain

LES VOYOUS NE SONT PAS DANS LA RUE
par Maurice CLAVEL

« Il faudra répéter, tant que nous le pourrons, que cette révolution est d’abord spirituelle. L’esprit se venge. Il était temps. L’espoir est là. Etudiants, jeunes ouvriers l’ont en charge. Ils ne demandent pas cent mille francs par mois, mais à changer leur vie, selon la formule dont la simplicité illumine et bouleverse. Cela irradie. Cela gagne.
Aucun n’est mort et la vie d’avant est devenue déjà impossible. Je voudrais démontrer ici au bourgeois de bon vouloir que les voyous sont en face, et notamment au pouvoir.
De deux choses l’une en effet : les abandons énormes que le gouvernement en coliques a consentis hier à notre classe ouvrière, ou il pouvait les faire, ou il ne pouvait pas.
S’il pouvait, il a donc, pendant des années, mis en coupe réglée le fruit de son travail au profit du capital, et doit être tenu pour ennemi du peuple.
S’il ne le pouvait pas, il essaye donc d’échapper à sa faillite en mettant en faillite la France même, et doit être tenu pour traître à la patrie.
Tout ce qui pourra se passer, même le pire, est absous d’avance au regard de cette honte. Un jeune homme n’a pas à dialoguer avec ces gens-là. »


REFUSER LE PIEGE
par Jean-François REVEL

« Nous sommes en train d’assister au sauvetage d’un mode archaïque du pouvoir, dans le cadre classique du système politique établi.
La plus grande secousse révolutionnaire vécue par la France en temps de paix depuis 1789 doit-elle se conclure par un renforcement des institutions et des hommes contre lesquels elle s’est produite ? (…)
En cédant, même contraint et forcé, sur le terrain économique, le régime failli ne se met pas en danger dans son principe même, et il le sait. Les conquêtes économiques des travailleurs constituent une victoire : mais cette victoire se transformera très vite en déroute si rien n’est fait pour mettre un terme à l’appropriation du pouvoir, de l’information qui en est la traduction, de la force policière qui en est la protection. (…) »

 


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 20 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7422 Lundi 27 Mai 1968

Journal de Paris Devise : « de la Résistance à la Révolution »

Combat_27_maiLe corps à corps Pompidou-syndicats

Deux longues journées de négociation ont permis d’aboutir à une ébauche d’accord, notamment sur les salaires et les droits syndicaux

  • Le SMIG serait porté à 3 F et les salaires majorés de 7%

  • La CGT a présenté hier soir une nouvelle revendication : l’échelle mobile des salaires.
  • En tout état de cause le travail ne reprendrait pas avant la fin de la semaine

UN SYNDICAT OUVRIER REJOINT LES ÉTUDIANTS

M. Maurice LABE secrétaire général de la Fédération FO de la Chimie recommande la lutte révolutionnaire, et participera ce soir au meeting de Charlety.


Les étudiants ne désarment pas

L’UNEF les appelle aujourd’hui à manifester à partir de 17 heures et à « s’occuper eux-mêmes de leurs affaires »

  • Meeting au stade Charlety à Paris à 17 h 30
  • Le SNE-Sup maintient son soutien à l’UNEF

Le projet de loi référendaire adopté aujourd’hui par le Conseil des ministres


Combat A 0F50
(augmentation du prix du journal de 40 centimes à 50 centimes)
Nos lecteurs se rappellent qu’à la fin de 1967 nous avions préféré retarder la majoration de notre prix de vente à 0F50 dans le souci de rester fidèles à notre conception d’une presse à bon marché.  Depuis lors, nos charges n’ayant cessé d’augmenter, et la crise actuelle nous imposant des frais supplémentaires, nous nous voyons contraints de prendre cette mesure à partir d’aujourd’hui. (…)


Extrait de l’éditorial

Le régime se soumet aux syndicats. Sera-ce trop lui demander, lorsqu’il aura achevé de monnayer sa survie, de refaire l’Université autrement que par des mots et de la refaire avec les étudiants ?


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 27 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7421 Samedi 25 et Dimanche 26 Mai 1968

Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »

Une interview exclusive d’André Barjonet

Combat_25-26_mai

NON !

LE CHEF DE L’ÉTAT DEMANDE À LA NATION DE LUI DONNER PAR RÉFÉRENDUM « UN MANDAT POUR LA RÉNOVATION »


SI LA RÉPONSE EST NON IL SE RETIRERA

LA CONSULTATION AURA LIEU EN JUIN

  • Le général de Gaulle promet, sans en préciser le contenu des réformes de structures « partout où il le faut »
  • Les syndicats accueillent mal les propos du Chef de l’État
  • M. Mendès-France : « Un plébiscite, cela ne se discute pas, cela se combat »

L’émeute a gagné hier la rive droite : 50 000 jeunes dans la rue

LES POINTS CHAUDS ONT ÉTÉ : LA GARE DE LYON, LA BOURSE, L’OPÉRA, LA RUE DE RIVOLI.

  • La manifestation s’est prolongée au Quartier Latin.
  • Violentes barrages à Lyon : un commissaire de police est tué.
  • Le mouvement fondamental de révolte a échappé aux syndicats et aux partis qui tentaient de le récupérer : répondant à l’appel des organisations d’étudiants, des dizaines de milliers de jeunes, étudiants et travailleurs, ont convergé en fin d’après-midi des portes de Paris vers la Gare de Lyon.
  • Empêchés de gagner la Bastille, ils se sont violemment opposés aux forces de la police dans la Rue de Lyon. L’émeute s’est étendue dans la nuit jusqu’à la Rue de Rivoli et au Quartier Latin.
  • Les propos du Chef de l’État ne peuvent qu’étendre et aggraver la révolte dans les jours qui viennent.
  • Dans l’après-midi les militants de la CGT ont calmement défilé sur les deux rives de la Seine.
  • A Lyon, des milliers d’étudiants et d’ouvriers se sont violemment opposés aux forces de l’ordre : un commissaire de police à été tué.

Première rencontre « au sommet » gouvernement-syndicats cet après-midi

M. POMPIDOU SOUHAITE AU MOINS UN ACCORD SUR LA SUITE DES DISCUSSIONS

M. Pompidou n’aura pas attendu l’allocution du Chef de l’État pour lancer son invitation de négociation aux syndicats qui l’ont immédiatement acceptée (…)
La négociation s’annonce difficile. La CGT a réaffirmé jeudi sa volonté de contraindre le patronat et le gouvernement à céder. La CFDT quant à elle va demander d’entrée de jeu des engagements précis sur l’abrogation des ordonnances et sur les libertés syndicales. Elles trouveront en face d’elles un patronat décidé à ne pas augmenter la charge salariale dans des proportions telles que les prix atteindraient un niveau qui ne seraient pas compétitif.
Mais on a de bonnes raisons de penser que ce gouvernement est disposé à de larges concessions. L’essentiel pour lui est de rétablir l’ordre, c’est-à-dire venir à bout des grèves et de se maintenir au pouvoir jusqu’à la date du référendum.


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 23 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7420 Vendredi 24 Mai 1968

Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »

Combat_24_mai

LA JOURNÉE-CLÉ

  • De l’ampleur de la manifestation de ce soir dépend l’évolution de la situation
  • A 20 heures à la T.V. de Gaulle va menacer, apaiser et promettre
  • Dans toute la France les paysans manifestent leur inquiétude devant les échéances européennes

Extrait de l’éditorial

A l’heure où sont écrites ces lignes, on ne connaît pas encore le bilan des violentes manifestations qui ont éclaté hier soir au Quartier Latin. Si elles ont atteint ensuite l’ampleur que l’on sait, et si de nombreux étudiants s’y sont joints, ce n’est pas pour répondre à un mot d’ordre. Les dirigeants étudiants et enseignants qui ne portent aucune initiative de cette nouvelle émeute, désiraient garder toutes leurs forces pour la manifestation de ce soir, dont la signification est précise. Les incidents survenus la nuit dernière risquent de compromettre la grande démonstration à laquelle se préparent l’UNEF, le SNE-Sup et les comités d’action. Ceux qui en redoutaient l’ampleur, c’est-à-dire le gouvernement et la CGT, auront de bonnes raisons de se féliciter d’un contretemps aussi opportun. (…)
Nous disions hier que l’évolution de la situation dépendait désormais de la rue. La CGT n’accepte pas, pas plus que le gouvernement, que tout dépende de la rue. Alors, cet après-midi, elle va chercher à dominer la rue pour étouffer les forces qui la gênent, et qui sont l’expression de la contestation la plus authentique et la plus généreuse. (…)
Peut-être en viendront-ils à bout dans l’immédiat, tant est puissante la conspiration de l’ordre établi. Mais la poussée de cette révolte est désormais irrésistible, et elle mènera à de nouveau et plus dramatiques affrontements qui chaque fois éroderont un peu plus la société en place.
Le mouvement est désormais engagé. Le discours du général de Gaulle, ce soir, ne le freinera pas. Les mots qu’il emploiera ne sonneront pas aux oreilles de la jeunesse. De toutes façons, il ne comprend pas ce qu’elle veut. Il ne l’a jamais compris. Et la réponse qu’il lui donne depuis quelques jours ne fait que la séparer un peu plus de la société qu’elle conteste.
Philippe TESSON


Étudiants et jeunes travailleurs se rassemblent à 18 h 30

à Stalingrad, à la Porte des Lilas, à la Porte de Montreuil, à la Place Clichy d’où ils convergeront vers la gare de Lyon

La CGT appelle de son côté la population à manifester sa solidarité avec les grévistes : à Paris cet après-midi défilé de la place Balard à Austerlitz et de la Bastille au boulevard Hausmann


Émeute spontanée et violente hier au Quartier Latin

Les dirigeants étudiants et enseignants n’ont pris aucune part à son initiative

  • La CFDT se dit solidaire des étudiants et prête à coordonner son action avec l’UNEF.
  • M. André Barjonet, l’un des dirigeants de la CGT, démissionne.
  • Cohn)Bendit annonce son intention de forcer la frontière cet après-midi à Strasbourg.

(Extrait) A DE GAULLE par Maurice Clavel

« Le mouvement de notre jeunesse, et particulièrement de ceux qu’on appelle les enragés ou trublions, est spirituellement magnifique. Il rend l’espoir à notre pays et à d’autres. Pour ma part, j’y retrouve à peu près ce qu’avait rêvé la jeune résistance française – communiste comprise, en dehors de l’appareil stalinien. Et voici qu’aujourd’hui mes élèves de philosophie, les meilleurs, les plus pensifs, ont lutté sur les barricades. Voici que le désordre a quelque chose de constructif et de prometteur. Voilà pourquoi le mot chienlit, s’il est vrai que le général de Gaulle l’a prononcé, est un crime contre lui-même.
Un crime et une sottise. Si le général de Gaulle fait tout pour briser l’hégémonie américaine, comment peut-il refuser que la jeunesse française se révolte de toute sa générosité contre la société américaine, source, substance et but de cette hégémonie ? Comment a-t-il pu, lui, que l’on pouvait croire d’essence spirituelle, nous imposer ce monde et ce genre de vie matérialiste, aliénant, désespérant ? Il y a là une sorte de péché contre l’esprit, que le sursaut de notre jeunesse rachète, aux yeux de notre histoire future. » (…)


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 22 mai 2018

Combat Nº 7419 Jeudi 23 Mai 1968

Journal de Paris – Devise : « de la Résistance à la Révolution »

TOUT DÉPEND DE LA RUE

après le rejet de la motion de censure et la perspective de négociations syndicats-gouvernements

 

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Extrait de l’éditorial

Tout n’est pas fini. Il reste la rue. Tout dépend de la rue. (…)
Il reste pour le pouvoir une menace, elle vient de ceux qui refusent l’ordre établi, ceux qui ont semé les grains de la révolte : les étudiants et ceux chez qui ce grain a germé : la minorité des jeunes travailleurs décidés à poursuivre la lutte en dépit des satisfactions immédiates qu’ils pourraient obtenir.
Personne ne peut mesurer leur nombre ni la portée de leur résolution. Mais ils peuvent aller loin : la manifestation que préparent étudiants et enseignants en est un témoignage. Ils ne veulent ni perdre ni trahir la révolution qu’ils ont engagée. Les dimensions de leur lutte sont la grande inconnue de la partie qui se joue : pour peu qu’elle dure, qu’elle se durcisse ou qu’elle soit marquée par un épisode dramatique, alors les calculs du général de Gaulle seront déjoués. Et ne serait-il pas normal que, puisqu’elle est née dans la rue, cette grande révolte qui secoue la France trouve son dénouement et sa victoire dans la rue ? (…)
Le problème est dans l’affrontement de deux sociétés. L’une est la société de l’ordre, du privilège et du passé, l’autre est la société du mouvement, de la justice et de l’avenir. »

Philippe Tesson


Les étudiants préparent une « manifestation dure » au Quartier Latin

  • HIER SOIR, DÉSAVOUÉS PAR LA CGT, ILS ONT MARCHÉ À 10 000 SUR L’ASSEMBLÉE NATIONALE
  • LE GOUVERNEMENT A INTERDIT EN FRANCE COHN-BENDIT

Vaste remaniement ministériel attendu

  • M. EDGAR FAURE POURRAIT SUCCÉDER À M. DEBRÉ
  • M. POMPIDOU L’A EMPORTÉ DE 11 VOIX HIER À L’ASSEMBLÉE
  • M; PISANI A VOTÉ LA CENSURE ET S’EST DÉMIS DE SON MANDAT

Après la proposition faite par M. Pompidou de les recevoir, la CGT, la CFDT et FO s’orientent vers une plate-forme commune de fait


ABSOLUMENT POUR LES ENRAGÉS par Maurice CLAVEL

Combat m’a offert d’accueillir dans ses colonnes mon éditorial-télé du « Nouvel Observateur » paralysé. Je le remercie de tout cœur. J’aurais renoncé à cet article, mais l’interdiction de Cohn-Bendit, qui achève de peindre leurs figures, lui rend une certaine actualité.

Ah ! comme vous auriez voulu qu’à jamais ils s’intéressassent au jerk, au shake, au yé-yé, à Johnny, Sylvie, Nana et Farah Dibah, à France-Soir page 2, à Paris-Presse page 31 ! Eh bien, c’est raté. L’esprit s’est levé en tempête au moment où je ne l’espérais plus, et voilà que tout est changé, car tout ce qui était devant nous est déjà devenu physiquement impossible. (…)


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 21 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7418 Mercredi 22 Mai 1968

Journal de Paris devise : « de la Résistance à la Révolution »

Des députés plus croupions que jamais

Ils accorderont aujourd’hui leur confiance au gouvernement Pompidou

  • Les rapports FGDS-PC semblent soudainement marquer le pas

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Le coup du référendum

  • DE GAULLE POURRAIT ANNONCER VENDREDI UN RÉFÉRENDUM POUR LE MOIS DE JUIN QUI PORTERAIT SUR LA PARTICIPATION DES TRAVAILLEURS À LA GESTION DES ENTREPRISES ET DES ÉTUDIANTS À LA GESTION DE L’UNIVERSITÉ
  • CE RÉFÉRENDUM SERAIT PRÉCÉDÉ D’UN REMANIEMENT MINISTÉRIEL QUI VISERAIT NOTAMMENT MM. JOXE, PEYREFITTE, GORSE, MISOFFE ET JEANNENEY
  • M. RENÉ CAPITANT REMET SA DÉMISSION DE DÉPUTÉ

8 millions de grévistes

  • Le mouvement a gagné l’industrie lourde
  • Les grands magasins touchés
  • Pas de taxis aujourd’hui
  • Difficultés à court terme pour les banques
  • Premiers contacts restreints syndicats-patronat, mais l’heure n’est pas à la négociation

Extrait de l’éditorial de Combat

 » Le général de Gaulle a gagné la première manche de sa bataille : la manche parlementaire. Il faut dire que c’était la plus facile. (…) Aurait-on cru, à entendre parler les députés, que la France traverse la crise la plus grave qu’elle ait connue depuis la Libération ? Aurait-on cru, à écouter les orateurs de la gauche, que la masse des jeunes Français est prête à la révolte et que des millions de travailleurs mettent en accusation le pouvoir ? Le pouvoir est à prendre, et même à ramasser… »

Philippe Tesson


Extrait de l’article LA CHIENLIT ET LE GENERAL

« Vous avez certainement deviné, mon Général, que tous les étudiants, depuis les plus enragés jusqu’aux plus benoîts, ont un dénominateur commun : ils cherchent quelque chose que nous ne savons pas leur donner. Ils cherchent des valeurs contemporaines qu’il soit impossible de peser sur le trébuchet de l’usure ou de faire figurer dans les calculs de l’économiste. Tel est le sens de leur rejet de la « société de consommation ». (…)
La jeunesse, dont les étudiants sont les hérauts, est à la recherche, derrière son masque de chienlit, d’un air respirable. Elle veut ouvrir les fenêtres obturées par notre enseignement. (…)
La jeunesse de France est à la recherche d’une noblesse. J’ose dire qu’elle est à la recherche d’une nouvelle aristocratie. Je suis certain, mon Général, que vous l’avez comprise. Elle vous donnera la noblesse que vous n’avez pas su luir donner, quelque grande que soit votre noblesse personnelle. »

Jean Savard


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 20 mai 2018

Philippe Tesson 

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7417 Mardi 21 Mai 1968

Journal de Paris
Devise : « de la Résistance à la Révolution »

LA GANGRENE

La situation politique et sociale se détériore d’heure en heure

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La grève se durcit

et son extension prend un caractère irrésistible

  • La C.G.T. et le P.C. demandent l’abrogation des ordonnances sur la S.S. l’augmentation générale des salaires, la réduction du temps de travail, la reconnaissance des libertés syndicales.
  • Tous les Service publics paralysés.
    — SNCF, TATP et PTT : Grève totale.
    — EDF : Occupation des centres mais pas encore de coupures.
    — Banques : Arrêt total prévisible après la décision de grève à la Banque de France.
    — Chèques Postaux : Arrêt total.
    — Grève des taxis demain.
  • Les paysans manifestent vendredi et menacent de dresser des barricades sur les routes de l’Ouest.

Impasse politique

  • De Gaulle continue d’observer le silence
  • Débat sur la motion de censure cet après-midi : son issue dépendra de l’attitude de quelques élus gaullistes.
  • Giscard demaine à être reçu par de Gaulle
  • Le P.C. : une situation nouvelle est créée.

A nos lecteurs

LES PERTURBATIONS PROVOQUÉES PAR LES GRÈVES DANS NOS TRANSMISSIONS NOUS OBLIGENT À RÉDUIRE À HUIT PAGES LE PRÉSENT NUMÉRO DE COMBAT NOUS PRIONS NOS LECTEURS DE NOUS EN EXCUSER

Extrait DE GAULLE DANS LA TOURMENTE

Par René DABERNAT

« De Gaulle a tenté pendant dix ans de changer les Français mais ce sont les Français qui sont en train de changer le régime gaulliste et, peut-être de le répudier.

Lorsqu’un régime a contre lui une partie des étudiants, il est menacé ; lorsqu’il se heurte, en plus, à un nombre croissant d’ouvriers et de paysans, il est ébranlé ; si l’unité étudiants – ouvrier – paysans s’établit, il est perdu.

Les deux premières phases dy processus sont entamées : les étudiants occupent la Sorbonne, de nombreuses facultés de province et même l’Odéon ; les ouvriers occupent les usines Renault ; les paysans, notamment ceux de Bretagne, manifestent. Le régime ne doit sa survie qu’à l’absence d’unité entre les trois catégories de révoltés et à la crainte qu’inspirent les événements à ceux qui, à droite et dans la haute bourgeoisie libérale, critiquaient le plus, jusqu’ici, le général. »

Extrait de l’éditorial

« Débordé, désarmé, le général de Gaulle est au bord de la faillite. Le pouvoir est à prendre. »

Combat


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 19 mai 2018

Bientôt la sortie du livre Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne, archives, souvenirs, bilan, édition du cinquantenaire
ACD Carpe Diem 2018

Combat Nº 7415 Lundi 20 Mai 1968

Il y a cinquante ans, le quotidien Combat sortait ses Unes sur les événements de Mai 68.

Journal de Paris « de la Résistance à la Révolution »

Je les ai conservés pendant la durée du Comité d’Occupation de la Sorbonne à Paris du 16 Mai au 17 Juin 1968.

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LE PROCESSUS EST ENGAGÉ…

Tandis que le mouvement de grève se généralise, de Gaulle va consulter « des personnalités de différents horizons »

  • Mendès-France : le pouvoir doit se retirer

Débat sur la censure demain

  • Les centristes divisés sur le vote qui devrait avoir lieu mercredi soir.
  • M.Capitant votera contre le gouvernement.
  • M. Lecanuet demande la démission du gouvernement.
  • De Gaulle maintient son allocution de vendredi.
  • Plusieurs conseils restreints ont eu lieu à Matignon sur le maintien de l’ordre.

La France paralysée

  • 2 millions de travailleurs en grève.
  • Plus de trains, d’autobus, de métro, les centres de l’E.D.F. occupés, plus de courrier, d’avions, de bateaux.
  • Les bassins houillés diversement affectés.
  • Les chèques postaux fermés. Les banques et la distribution d’essence menacés.
  • 90 000 sidérurgistes se décident aujourd’hui ainsi que Sud-Aviation Toulouse.
  • La Fédération Chimie-F.O. appelle à la grève et à l’occupation des bâtiments.
  • L’O.R.T.F. combat pour son autonomie
  • L’agitation gagne la police parisienne

La « révolution culturelle gagne le Festival de Cannes qui est supprimé.

L’Opéra, l’Opéra-Comique, la Comédie-Française et le TNP occupés et en grève

Sorbonne : M. Las-Vergnas doyen par interim en remplacement de M. Durry

M. Peyrefitte : les examens doivent avoir lieu

Extrait de l’éditorial

« Le gouvernement s’est laissé enfermer dans une situation inextricable, à laquelle la révolte étudiante a permis de se cristalliser. On ne saura jamais assez gré aux étudiants d’avoir révélé par leur colère le malaise qui existe en France et auquel interdisaient de s’exprimer à la fois la lâcheté de la nation et l’oppression bonhomme du pouvoir. Sur cette révolte s’est greffée une  revendication sociale généralisée.

Combat


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 18 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7414 Vendredi 17 Mai 1968

Il y a cinquante ans, le quotidien Combat sortait ses Unes sur les événements de Mai 68. Devise : « de la Résistance à la Révolution »

J’ai conservé la collection des journaux publiés pendant la durée du Comité d’Occupation de la Sorbonne à Paris du 16 Mai au 18 Juin 1968.

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Une : Au pays de trancher

Extrait de l’éditorial de Combat

Quelques maladresses de taille accumulées en dix jours viennent de mettre à nu la fragilité d’un régime qui depuis dix ans se targue avec une assurance souveraine d’être l’un des plus solides que la France ait connu. Ainsi, et que de fois l’avons-nous dit, tout n’était que façade, masque et artifice. Derrière la suffisance il y a l’insuffisance, derrière le mépris le désarroi. Il a suffi que quelques étudiants intrépides prennent la rue pour la défense d’une cause aussi abstraite et aussi peu publique que l’anéantissement de la société de consommation pour qu’un véritable débat s’instaure dans le pays, pour que sonne une heure de vérité nationale et pour qu’apparaisse la faiblesse du régime gaulliste.

(…) Le chantage à l’ordre n’est pas admissible quand il est l’arme d’un faible pour qui c’est le seul moyen de se maintenir au pouvoir.

Combat

  • La situation se dégrade rapidement sur les fronts politique, social et universitaire
  • La FGDS et le PC demandent la démission du gouvernement et des élections générales
  • Grèves chez Renault et occupation de l’usine à Cléon
  • Manifestation ce soir à 20 h 30 devant la TV, rue Cognacq Jay, des étudiants, enseignants et chercheurs, après une série de meetings dans Paris à partir de 18 h 30

Le gouvernement durcit sa position

  • « Les examens devront avoir lieu dans le secondaire et le supérieur » déclare un communiqué officiel.
  • « Le gouvernement ne pourra tolérer que l’ordre républicain puisse (…) être atteint et entend protéger tous les citoyens contre la subversion. »

    Gaelle Kermen, Kerantorec, le 17 mai 2018

    Blog auteur : gaellekermen.net

    Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Combat Nº 7413 Jeudi 16 Mai 1968

Il y a cinquante ans, le quotidien Combat sortait ses Unes sur les événements de Mai 68. Devise : « de la Résistance à la Révolution »

J’ai conservé la collection des journaux publiés pendant la durée du Comité d’Occupation de la Sorbonne à Paris du 16 Mai au 18 Juin 1968.

Premières tentatives de récupération

Le doyen Zamansky propose à ses étudiants d’élire leurs représentants à un conseil de co-gestion

Le professeur Kastler marque les limites du soutien des enseignants à la cause étudiante

  • Dans les Facultés, à Paris et en province, l’occupation des locaux par les étudiants se poursuit, et les commissions étudiants-enseignants se multiplient.
  • Nanterre reste à la pointe du mouvement qui a gagné la Faculté de Médecine.
  • Le Conseil Etudiant de Strasbourg refuse l’autonomie expérimentale « octroyée » par M. Peyrefitte.
  • Des professeurs proposent la réunion d’Etats Généraux pour réviser les structures des carrières universitaires et de recherche, les méthodes d’enseignement et les programmes.
  • M. Pompidou laisse au général de Gaulle le soin de décider des conditions d’application de l’amnistie.
  • Le Premier Ministre ajourne son voyage à Lille.

Le voyage du chef de l’Etat en Roumanie

« Nous, Roumains et Français, voulons être nous-mêmes » déclare le général de Gaulle devant la grande Assemblée nationale roumaine

Extrait de l’éditorial de Combat

« Les heures qui viennent vous être décisives pour l’avenir du profond mouvement étudiant qui intéresse maintenant la France tout entière.

(…) Les dirigeants étudiants doivent maintenant mesurer jusqu’où ils ne peuvent pas aller trop loin (…) Ils ont derrière eux une masse de garçons et de filles désormais profondément sensibilisés non pas au problème étudiant mais à la construction d’une Université moderne. Le résultat acquis est immense. Il ne faut pas le laisser échapper. (…) Ils ont prouvé leur détermination, ils ont acquis leur autonomie, ils sont parvenus à leurs justes fins, à savoir l’écroulement de l’Université traditionnelle. (…) Et dans la mesure où la société est en germe dans l’Université, la victoire que viennent de remporter les étudiants est déjà considérable.

Philippe Tesson


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 16 mai 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

3 Mai 68 : dans la cour de la Sorbonne

Le 3 mai, après la fermeture de la faculté de Nanterre, les étudiants refluent en assemblée générale à la Sorbonne.

Le doyen Grappin demande l’évacuation par les CRS qui procèdent à l’arrestation des principaux dirigeants syndicaux et politiques étudiants.

Une manifestation spontanée surgit dans les rues du Quartier autour de la Sorbonne : « Libérez nos camarades ! »

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Sur ce cliché ©UPI, on reconnait au centre Dany Cohn Bendit. Je reconnais Michel Bablon (tête brune, pull ras de cou, blouson de cuir beige) devant le 4eme pilier de la chapelle, au-dessus de Brice Lalonde, alors président de FGEL (Fédération Générale des Etudiants de Lettre), lui-même à côté de Jacques Bleiptreu. Je les ai connus quelques jours plus tard au Comité d’Occupation de la Sorbonne.

Le cliché est visible sur quelques pages, dont celle-ci https://www.sudouest.fr/2018/03/12/entretien-avec-edgar-morin-mai-68-c-etait-plus-d-autonomie-plus-de-liberte-plus-de-communaute-4275793-10275.php

Cette photo recadrée est visible dans un article récent de la Tribune (DR)

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/mai-68-quand-la-france-se-joignait-aux-convulsions-du-monde-771543.html

La photo doit être prise lors de l’assemblée générale avant l’attaque des CRS.
Tout le monde est joyeux, autour de Dany le Rouge au mégaphone. Sur la gauche, je reconnais trois personnes.

Dans l’angle inférieur, c’est Brice Lalonde, souriant et presque gouailleur. Dans les extraits du Journal, je raconte comment j’ai rencontré le petit prince de la Sorbonne. A l’époque, il était le président de la FGDL (Fédération Générale des Etudiants de Lettres).

À côté de lui, je reconnais Jacques Bleiptreu, lui aussi rigolard et devant faire un bon mot. À la fin de l’année 68, je lui servirai de guide à Nantes et Saint-Nazaire pour rencontrer les militants de la région, dont le frère aîné de Dany, Gaby Cohn-Bendit, resté militant de base engagé dans l’éducation alternative.

Et en haut à gauche, je reconnais soudain Michel Bablon, mon révolutionnaire malgache, sérieux lui, la révolution était une affaire sérieuse. Il avait trente ans, mais il fait très jeune sans ses lunettes qu’il venait de casser et qu’il remplacera pendant la période du Comité d’Occupation, des petites lunettes cerclées de fer façon Trotsky.

Jacques et Michel ont fait partie du troisième et dernier comité d’occupation de la Sorbonne.

Il est bon de mettre des visages sur quelques personnes qui vont traverser mes pages de souvenirs, de mémoires et d’archives.

Extraits des archives

En juin 1968, je prenais des notes pour écrire un livre avec les militants sur l’expérience du comité d’occupation. Le projet a été abandonné très vite, mais j’ai retrouvé les notes dans mes archives.

Voici ce que me disait Michel Bablon, guévariste, sur le 3 mai 1968.

Les événements dépassent tous les groupes politiques et débordent toutes les prévisions. La formation de groupes entraînés devait être mise en place à la rentrée universitaire d’octobre 68.

Le mot d’ordre : revoir l’université. Selon Forman (Milos Forman venait d’arriver à Paris depuis Prague) : les problèmes français sont ceux d’une période pré-révolutionnaire.

Vendredi 3 mai 68 : la fermeture de la fac de Nanterre est demandée par le doyen Grappin. D’où le meeting à la Sorbonne.
On s’attend à une attaque fasciste. Le lundi précédent, Occident a attaqué la FGEL (Fédération Générale des Etudiants de Lettres).
Dans les cars des étudiants arrêtés à la Sorbonne le 3 mai, se trouvaient tous les éléments forts de l’UNEF, FGEL, MAU, JCR, 22 mars.

Samedi 4 mai : on prend des contacts pour la reprise de la Sorbonne.
Problème : doit-on attendre la rentrée universitaire où des luttes étaient prévues ? Ou doit-on agir immédiatement car Dany et six camarades doivent passer en Conseil de discipline ?
Les mots d’ordre lancés sont : « La fac aux étudiants » « Libérez nos camarades »

Voici ce que me disait Jean-Claude Rabinovitch, de l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France) sur son engagement le 3 mai 68.

Pourquoi un engagement le 3 mai

Il m’était insupportable de voir les flics de si près, devant la Sorbonne, de voir les étudiants emmenés dans les fourgons de police. Particulièrement lors de la première manifestation. En solidarité envers la lutte des étudiants de Nanterre. Mis au courant, ça prenait son sens.

Pendant une semaine, j’ai fait toutes les manifestations, suivi tous les mots d’ordre de l’UNEF, SNE-Sup, 22 mars.

Le vendredi 17 mai, l’AG de la Sorbonne me propose pour le Comité d’Occupation

Gaelle Kermen
Kerantorec, le 3 mai 2018


Gaelle Kermen prépare un livre d’archives, souvenirs et bilans sur Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

3 Mai 68 : inauguration de la boutique de mia et vicky

Il y a cinquante ans, le 3 mai 68 après-midi, les leaders étudiants étaient en assemblée générale dans la cour de la Sorbonne après la fermeture de Nanterre. Mon compagnon de l’époque, Michel Bablon, révolutionnaire malgache, y était aussi.

Ce jour-là, je préparais l’inauguration de la boutique de Mia et Vicky, 21 rue Bonaparte, à quelques pas du 15 rue Visconti où j’habitais avec Michel Bablon.

Invitation Mia et Vicky, 3 mai 1968
illustration d’Ed Baynard 68

Je me souviens de la présence du sculpteur César, ami de Louis Féraud. J’avais retrouvé des gens connus les années précédentes.

Mia Fonssagrives était alors mariée au couturier Louis Féraud, papa de mon amie Kiki.

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J’avais assisté à la soirée dans une robe que j’avais créée, en shantung de soie beige, peinte par Michel Bablon.

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Son frère avait peint à la gouache ma gorge et mes pieds nus dans le style des dessins de la robe. Michel Bablon, qui devait m’accompagner à l’inauguration de la boutique, avait disparu.

En fait, il était à la Sorbonne, embarqué avec tous les leaders de groupuscules dans les paniers à salades de l’époque.

C’est ce soir-là qu’a commencé le mois de Mai 68 avec les premières échauffourées du Quartier latin aux cris de « Libérez nos camarades !  »

Moi, je dansais chez Mia et Vicky…

Gaelle Kermen,
Kerantorec 3 mai 2018

©1968-2010-2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne

 

Mai 68 : la Une du Nouvel Observateur, le film de Michel Cournot à Cannes

Première Une de Mai 68 : le Nouvel Observateur du 30 avril au 7 mai 1968

Le film de Michel Cournot à Cannes

Très émue de commencer cette série de publication de Unes de journaux d’archives par la couverture de la revue Le Nouvel Observateur avec le profil de Cournot.

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Au cours de ma vie, il m’est arrivé de raconter certains éléments essentiels de mes années 60, je parlais alors de l’importance qu’avait eu, au début de mes études, ma lecture hebdomadaire des articles de Michel Cournot sur le cinéma dans Le Nouvel Observateur auquel j’étais abonnée. Parfois, j’ai rencontré des gens qui lisaient aussi le Nouvel Observateur rien que pour les chroniques de Cournot. Nous nous reconnaissions admirateurs de Cournot, soudain émus et nostalgiques d’une époque révolue. Les adorateurs de Cournot sont aussi décalés en cinéphilie que les fans de Kevin Ayers en musique pop des années 70 ou les lecteurs de Malcolm Lowry en littérature anglo-saxonne des années 50. Une espèce à part, avide de champs inexplorés, de découvertes enthousiastes, hors des chemins balisés par la mode imposée. Nous formions presque une société secrète.

Michel Cournot fait partie des personnes qui m’ont donné envie d’écrire et m’y ont encouragée. Son univers était toujours hors des sentiers battus, mais il nous faisait, dans un simple article, vibrer de tant de façons qu’on se sentait régénéré pour la semaine, dans l’attente du jeudi suivant pour le prochain article.

En avril 68, juste avant les événements de Mai qui allaient annuler le Festival de Cannes pour la première fois depuis sa création, Michel Cournot n’était plus critique de cinéma au Nouvel Observateur. Il avait été viré dès 1966, parce que les lecteurs normaux n’aimaient pas qu’il «  parle de tout, sauf de cinéma ».  Il avait été remplacé par Jean-Louis Bory, qui avait eu le prix Goncourt pour son roman Mon village à l’heure allemande.

Michel Cournot avait tourné un film Les Gauloise bleues. Il devait être projeté au Festival de Cannes. Le Festival n’a pas eu lieu. Cournot n’est pas entré dans l’histoire du cinéma. Mais il est resté dans le cœur et la mémoire de quelques uns d’entre nous, qui lui rendons encore hommage après plus d’un demi-siècle.

De la revue, je n’ai gardé que la couverture dans mes archives.

Les hasards des déménagements impliquaient des choix, j’ai arraché la couverture de ce numéro de Mai, sans doute quand, au mois de juin 1968, j’ai brûlé beaucoup de papiers avant de quitter la rue Visconti où j’habitais avec mon révolutionnaire malgache, Michel Bablon. Il m’a fait brûler des revues cubaines qui pouvaient être compromettantes si une descente de police arrivait dans l’appartement que nous avions prévu de quitter par les toits… Je ne pouvais pas brûler Cournot !

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Je regrette de n’avoir pas conservé la collection des numéros du Nouvel Observateur, restées chez mes parents à Saint-Leu-la-forêt, qui ont dû aussi faire des choix quand ils sont revenus habiter en Bretagne.

J’ai gardé les livres de Michel Cournot dans ma bibliothèque, près de ceux de son neveu Patrice Cournot. Tous deux ont été des phares dans ma vie.

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Bibliothèque : livres de Michel et Patrice Cournot (archives personnelles)

J’aimerais tellement pouvoir relire tous les articles de Cournot.

Ils mériteraient une réédition dans un recueil dédié à son souvenir, rien que pour lui.

Gaelle Kermen,

Kerantorec, le 30 avril 2018


Livres de Michel Cournot : Le premier spectateur et Enfants de la Justice

Livres de Patrice Cournot : Le jour de gloire, Le bonheur des autres, Le retour des Indiens Peaux-rouges


Mes cahiers sur cette époque : Le vent d’Avezan et Le soleil dans l’œil.


Gaelle Kermen, Kerantorec, le 30 avril 2018

Blog auteur : gaellekermen.net

Extrait de Des pavés à la plage, Mai 68 vu par une jeune fille de la Sorbonne


Pour en savoir plus sur le film de Cournot à Cannes :

https://www.festival-cannes.com/en/films/les-gauloises-bleues

Sur l’attitude de Michel Cournot pendant les événements de Mai 68, voir :

http://www.cannes.com/fr/culture/cannes-et-le-cinema/le-festival-de-cannes/histoire-du-festival-de-cannes/de-1939-a-nos-jours/les-annees-70-un-nouveau-depart-apres-la-crise-de-mai-1968.html

« Les réalisateurs Milos Forman, Jan Nemec, Michel Cournot, Salvatore Samperi et Mai Zetterling ont un film engagé en compétition mais, témoins de la scène, ils se rangent immédiatement aux côtés des contestataires et se retirent du concours, encourageant les autres candidats et les membres du jury à les rejoindre. »



Scrivener 3 plus simple en précommande sortie le 2 février 2018

VignetteScrivener3
© Adam Molariss pour Indiegraphics 2018

 

Sortie en précommande du guide francophone d’initiation à la version 3 de Scrivener pour Mac : le 2 février 2018.

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Cadeau pour patienter

Pour attendre la sortie du guide Scrivener 3 plus simple, voici un module d’initiation aux tutoriels anglais fournis par le logiciel et le site.

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Belles écritures !
Gaelle Kermen
Kerantorec, le 20 janvier 2018

La bête humaine (brouillon)

Brouillon de l’article remis à la revue Esprit, 19 rue Jacob, Paris, Ve, après le concert du 3 octobre 1971 de Johnny Halliday au Palais des Sports, avec Gary Wright Wonder Wheel en première partie et Michel Polnareff au piano.

Johnny_1

Johnny_2

Johnny_3

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Support : papier pelure, dupliqué par papier carbone Armor (marque déposée par la Société Galland et Brochard à Nantes en 1925)

Archives 1971 de Gaelle Kermen
Kerantorec, le 8 décembre 2017


Le regard naufragé de Johnny

 

 

Le regard naufragé de Johnny

Le 6 décembre 2017 a été une journée de deuil national pour les Français. Mon amie Françoise, vue ce jour-là, était très émue de la mort de son « jumeau », puisque Johnny était né le 15 juin 1943, elle le 25. Elle revoyait sa vie, sa jeunesse, ses danses, ses amours, sur les chansons de Johnny.

Moi non. Je n’étais pas émue, sa mort me semblait normale, cet homme était épuisé. J’avais été choquée de voir des photos de la dernière tournée des Vieilles Canailles de juillet dernier, avec Eddy Mitchel, Jacques Dutronc et Johnny Halliday. Johnny me faisait penser à l’épuisement qui avait emporté Mozart, beaucoup plus tôt en âge, mais pour les mêmes raisons, rapportées à leur temps.

Bien sûr, Johnny a fait partie de ma vie, comme celle de tout le monde qui a connu les décennies des années 60 à maintenant. Surtout que Sylvie Vartan avait quitté notre lycée des Maraîchers, l’annexe d’Hélène Boucher, peu après les vacances de Noël 1960 quand elle avait accompagné au pied levé Frankie Jordan dans Panne d’essence. Bien sûr que nous avions suivi son histoire avec Johnny, il eût été difficile de l’ignorer.

Mais très vite dans la famille, nous étions passés à d’autres styles de musique, quand mon frère aîné, Youennick, m’avait rapporté de Londres en cadeau de Noël 1963 le premier disque intitulé Bob Dylan, où Song to Woody nous avait ouvert d’autres horizons.

Jamais je n’aurais acheté un disque de Johnny et je n’étais pas sensible à sa voix, que je trouvais forcée, alors qu’elle fait fondre encore mon amie Françoise, pour qui Bob Dylan n’est qu’un « petit chanteur » ne méritant pas le prix Nobel de littérature… Nous n’avons pas les mêmes valeurs !

Pourtant, j’ai un souvenir avec Johnny, qui m’est revenu quand je lisais les nouvelles sur mon iPad en me réveillant à 3:34 le 6 décembre 2017, une demi-heure après l’annonce de sa mort. Le souvenir d’un regard épuisé, de celui qui a tout donné à son public et va s’évanouir. Un regard naufragé qui me l’a rendu humain.

C’était le 3 octobre 1971. Mon journal de l’époque ne notait pas les dates, juste les moments, souvent intenses. J’ai dû rechercher dans mon agenda de poche 1971. Comme je suis bonne archiviste, la quête a été rapide.

J’avais été invitée au concert du Palais des Sports par Archibald Legget, le compagnon de ma meilleure amie, Martine Cassou, devenue Martine Moore, artiste-peintre arlésienne maintenant. Archie avait été le bassiste de Johnny et il faisait la première partie du concert avec Gary Wright et Mick Jones du Gary Wright Wonderwheel. J’avais pu aller en coulisse, dans leur loge et j’étais parmi les groupies du premier rang, debout devant la scène. Sylvie Vartan, très belle, très élégante, style 70′, n’était pas loin.

J’avais assisté à de grands concerts, celui de Bob Dylan le 25 mai 1966 à l’Olympia, le jour de ses vingt-et-un ans, j’avais vu Donovan en 1967, plusieurs fois Joan Baez entre 1965 et 1970, j’avais passé trois jours hors du temps au festival de Wight 70 avec les plus grands, Jim Morrison, Jimi Hendrix, Leonard Cohen…

Je ne serais jamais allée à un concert de Johnny Halliday si Archie Leggett ne m’avait pas invitée à venir l’entendre, lui, avec les musiciens de son groupe !

Mais j’étais intéressée par le show en fait sociologique, pour la même raison que j’étais allée à Wight étudier les rituels de cérémonies païennes que sont les grands rassemblements musicaux (j’étais étudiante en sociologie à la fac de Vincennes).

J’ai raconté dans un article pour la revue Esprit comment j’ai vécu le concert à grand spectacle de Johnny Halliday. Encore maintenant, je trouve bien vulgaires tous ces effets spéciaux de grands shows, ces costumes à paillettes clinquantes, alors que je garde au cœur la grâce de Mélanie faisant lever le soleil sur l’île de Wight de sa seule voix avec sa seule guitare.

Après le concert, je suis repartie en coulisse pour retrouver Archie, Gary, Mick et le manager du Wonderwheel, avec qui, d’après mon cahier de l’époque, j’ai passé la nuit quand nous sommes sortis de la boîte La bulle.

J’étais petite et menue, je me faufilais partout et j’osais parfois attendre les artistes à leur sortie de scène, en particulier Laurent Terzieff, dont je ne ratais aucune pièce, au théâtre Lucernaire ou Montparnasse. Cette fois, je n’attendais pas spécialement Johnny, je n’étais pas une fan. Un de mes amants était violoniste de l’Orchestre de Paris, j’allais très souvent aux concerts classiques et j’étais plus sensible aux interprètes et aux cantatrices qu’à Johnny Halliday.

Mais le temps s’est suspendu quand je me suis trouvée seule avec lui dans le couloir, au moment où Johnny allait rejoindre un cabinet médical où un médecin et un kinésithérapeute allaient le recevoir avant qu’il collapse comme chaque soir, ainsi que me l’avait raconté Archibald.

Nous nous sommes trouvés l’un en face de l’autre, tout proches, dans le silence soudain. Ce qui semblait incroyable quand on pensait à la folie qui venait d’avoir lieu dans la salle en surchauffe du Palais des Sports. Il vacillait d’épuisement. Une serviette éponge autour du cou, les cheveux longs mouillés comme s’il venait de survivre à un naufrage, sortant de l’eau. J’ai cru qu’il allait me tomber dans les bras. Il m’a lancé un regard que je n’ai jamais oublié, d’une grande humanité.

Un regard qui disait que cet homme n’était pas une marionnette fabriquée par le show-biz, mais un artiste qui avait donné sa fougue, sa sève, ses forces, sa vie, à son public.

Ce regard que m’a donné Johnny cette nuit-là avant que l’équipe médicale le prenne en charge dans le cabinet dont je voyais la porte ouverte proche — je pensais : « Plus que quelques mètres, Johnny, tu y es ! » comme si j’étais une mouette attentive sur le sable salvateur, je venais d’un pays qui connait les naufrages — ce regard est revenu la nuit du 6 décembre 2017 quand je me suis réveillée à 3:34, une heure après sa mort.

Ce diamant rayonne encore au fond de la mine des années.

J’ai fait un article pour le numéro de Novembre 1971 de la revue Esprit où j’écrivais dans le Journal à plusieurs voix, avec des gens comme Philippe Meyer (sur France-Inter plus tard). Le début et la fin de l’article ont été coupés. Je les ai retrouvés dans mes archives. J’y évoquais cette faiblesse humaine et légitime de Johnny.

Les rédacteurs n’avaient pas jugé utile de le mettre dans l’article.

C’est pourtant cette dimension de Johnny qui fait que je suis un peu en deuil moi aussi.

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Et l’homme qui en a le mieux parlé est celui qui jugeait qu’il n’était pas le mieux placé pour faire, Jean-Luc Mélenchon, qui comprend aussi la tristesse de mon amie Françoise, qui, en pleurant Johnny, revit et pleure les amours passées de sa jeunesse.

« Alors c’est ça qui est intéressant : ils l’aiment pour la musique, pour le personnage, pour la manière d’incarner des textes et puis ils l’aiment surtout par rapport à eux parce que celui qui a été amoureux une seule fois sur la musique de Johnny, il ne l’oublie pas plus qu’il n’oubliera son amour. En tout cas moi je comprends qu’il y ait plein de gens à qui ça fasse du chagrin. Pourtant ils ne le connaissent pas, ils ne lui ont jamais parlé, ils n’ont fait qu’écouter sa musique. Mais c’est un chagrin qu’on a sur la vie qui passe, sur la vanité des choses, sur tout ce qui dans notre propre existence personnelle a pu entrer en résonance avec les autres grâce à une musique ou une chanson. »

Jean-Luc Mélenchon

Vanitas Vanitatis ! Que cet homme repose enfin en paix ! Il a tout donné, toujours.

Gaelle Kermen,
Kerantorec, le 8 décembre 2017


Lien au fac-similé de l’article paru dans Esprit, novembre 71

Lien à l’hommage à Archibald Legget

Lien aux œuvres de Martine Moore (visite de 2009)

Lien à l’article sur le concert de l’Olympia de Bob Dylan

Liens aux articles sur Wight 70

Le festival de Wight 70 vu par 2 Frenchies de Gaelle Kermen et Jakez Morpain, 10 septembre 2017, ACD Carpe Diem

Isle of Wight 1970 : lundi 31 août matin du départ

Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos inédites de Jacques Morpain.


Personnages
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans

Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies de Jacques Morpain (1970)

Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.


île de wight lundi 31 août 1970 matin du départ

réveil sur la pente au milieu des boites de conserve et des feuilles de journaux emportées par le vent

le ciel est couvert

c’est richie heavens qui termine ce festival
égal à lui-même
avec grande force et virulence

dernier jour à wight

on n’a pas pu entendre beaucoup richie heavens il fallait plier bagages et partir avant qu’il ne soit trop tard
on l’entendait derrière les tôles

un dernier passage aux toilettes

déjà la queue s’étendait sur des miles et des miles pour quitter l’île

en bons français on a essayé de resquiller mais ça n’a pas marché
alors comme tout le monde on a piétiné sagement ou presque

c’était sinistre ce petit matin gris sur le camp de tôles
comme si le festival était condamné
l’impression que c’était fini et qu’on ne reviendrait pas
et finalement une forte envie de sortir de là de cette crasse

on a attendu cinq heures

au bout de trois heures il s’est passé quelque chose de surprenant
la queue s’est dissoute
sans doute certains sont passés devant les autres
des français vraisemblablement
et tout le monde a suivi

alors on s’est retrouvés pressés en masse sur une largeur de 20 mètres de fils de fer barbelés tendus par les bobbies toujours imperturbables

impossible d’avancer

c’est vers ce moment qu’il s’est mis à pleuvoir les premières gouttes de notre semaine anglaise

quelques no rain no rain ont tenté de jaillir comme à woodstock
mais ça a fouarré
peu de communication

un seul type a failli faire copuler la masse
il avait profilé de la cohue pour rafler un paquet de tranches de pain sur l’étalage d’un marchand de soupes et sandwiches et il le distribuait autour de lui
ça a failli être beau mais ça n’a pas duré

et il a plu

certaines nanas avaient des robes légères et les bras nus

on a essayé aussi de chanter we shall overcome
sans grande conviction non plus
premier couplet et fini

les bobbies sont très calmes
ils attendent qu’on soient rangés avant de nous laisser monter dans les cars qui attendent vides depuis une heure

un officier se décide à demander qu’on recule pour déblayer la route
please will you please

évidemment nos flics français prendraient moins de gants et moins de temps pour nous faire dégager

c’est touchant cette politesse mais prodigieusement agaçant totalement inefficace

d’ailleurs un anglais furieux hurle
use your brain
injure suprême

finalement j’en ai marre ça a duré trop longtemps cette gentille attente
maintenant à chaque poussée je gueule systématiquement

je gueule
ma non-violence je l’oublie
je ne supporte plus la promiscuité de ces corps autour de moi et je suis responsable de bruno qui à chaque fois reçoit un coup de sac à dos dans la gueule

alors je hurle

il semble que ça paye car les bobbies se retournent inquiets

nous avons pu monter dans le prochain car

épuisement

chaleur


un dernier bain à ryde s’avère nécessaire

puis on prend l’hovercraft


à portsmouth un chauffeur de taxi nous dit que wight avait été le plus grand festival du monde c’était le mieux organisé aussi parait-il the best ever organised festival of the world


dire qu’on aurait le courage de retourner à wight l’an prochain s’il y a un autre festival pour l’instant ce serait difficile

à moins bien sûr que dylan revienne

mais on ne regrette pas d’être venus

ça valait le coup

mélanie éveillant le soleil c’est peut-être la plus belle chose qu’il m’ait été donné de voir
en intensité
en étrangeté

fin du carnet de voyage sur le festival de wight 70


 

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Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970
en mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017

 

Isle of Wight 1970 : dimanche 30 août après-midi au festival

Extraits du carnet de voyage du mois d’août 1970 tenu par Gaelle Kermen au cours du Festival Isle of Wight 1970 à paraître dans les cahiers 1970. Photos de Jacques Morpain.


Personnages
Gaelle Kermen, étudiante à la fac de Vincennes Paris-8, diariste, 24 ans,
son petit frère Bruno, 12 ans
son cousin Jacques Morpain, étudiant à la fac de Paris-Dauphine, photographe, 23 ans

Texte de Gaelle Kermen (1970)
Photographies inédites de Jacques Morpain (1970)

Tout a été pris sur le vif, sans censure, tel que le festival a été vécu, en direct.


île de wight dimanche 30 août 1970 après-midi

plus tard nous remontons au festival et là c’est une sacrée fumisterie

nous avons pu entrer dans l’arène puisque maintenant c’est free depuis l’attaque des palissades
je me demande comment on a osé faire payer 3 livres pour ne rien entendre
impossible de discerner la jolie voix de l’adorable donovan

en bas ça ressemble maintenant à un meeting organisé par le parti communiste au bois de vincennes
on est venus en famille passer le dimanche après-midi au festival
on est allongés au soleil
on n’entend que dalle
on participe à peine
comment le pourrait-on puisqu’il semble que seuls les premiers rangs jouissent de la touchante présence de donovan

bref il n’y a que sur la colline qu’on entende quelque chose
la colline c’est toute la grandeur du festival
la nuit ça a autant de gueule qu’un pèlerinage à lourdes
je ne suis jamais allée à lourdes mais je m’attends souvent à voir tomber à genoux les gens sur cette colline comme je l’avais vu à la salette quand j’étais petite

mais où est celui ou celle qui nous fera mettre à genoux ce soir
dylan n’est pas là
i misses him m’a dit un américain

dylan reste le plus grand
on vend ici son disque illégal bootlegger un disque tout blanc très rare au prix de 2 livres et demi
on vend aussi son tarentula ce qui devait être son roman écrit au fil des chambres d’hôtel ou autre mais qu’il n’a pas publié parce qu’il a eu son accident de moto
tarentula est une soixantaine de pages polycopiées signées robert zimmerman son vrai nom pour 10 shillings

rien n’est comparable à dylan
je me rappelle la retransmission du festival de wight 69 faite par michel lancelot sur europe 1 dans campus

il annonçait parfois tranquillement l’arrivée des beatles ou des stones dans l’assemblée
eux qui déchaînent les foules quand ils se produisent quelque part ici leur arrivée ne troublait personne ils étaient là comme les autres au même titre que les autres venus voir le plus grand

le film de pennbaker dont’ look back sur dylan passe ici le soir
nous l’avons vu à londres au paris-pullman
un dylan d’il y a 5 ans en 65
un dylan insoupçonnablement beau
des yeux tendres aux longs cils
des cheveux d’ange
un dylan qui n’a rien a voir avec celui des photos habituelles ni avec celui de l’olympia 66
un dylan vivant mouvant riant mordant
un dylan incisif et doux

deux très belles scènes dans le film
l’une est plus ancienne que le film et date des débuts de dylan chantant only a pawn in their game entouré d’ouvriers noirs
il articulait consciencieusement dans le micro
il avait les cheveux plus courts et encore cet air de boy-scout qui aurait grandi

l’autre se passe dans une chambre d’hôtel à londres entre deux concerts à l’albert hall
joanie baez chante une mélodie très douce
longs cheveux noirs autour du visage grave
elle s’accompagne à la guitare
dylan est devant sa machine à écrire
il écrit
tac tac tac tac
de temps en temps il s’arrête et se laisse bercer par le rythme de la berceuse de joanie
puis il reprend
tac tac tac tac
elle continue avec love is just a four letters word de lui
bientôt il prend lui-même une guitare et il improvise avec elle

oui je crois que dylan est le seul qui me ferait mettre à genoux sur cette colline

 

pentangle bon groupe musique brillante
la chanteuse jacqui mac shee est agréable à entendre
enfin un groupe qui ne se traîne pas dans l’après-midi

le soir la musique jaillit plus spontanément plus naturellement
ce groupe commence à accélérer le rythme de la journée
mélodies sans grande originalité mais bien menées
il nous semble les avoir toujours connues dans une enfance anglo-saxonne

mais si pentangle a bien commencé eux aussi se traînent maintenant
ou alors c’est le vent qui a tourné
on attend toujours plus
ce festival n’a plus grande motivation
je compte sur hendrix et heavens pour chauffer la nuit car ni cohen ni baez n’auront assez d’énergie pour transcender ce festival

les moody blues enfin

le soleil s’embrume dans leurs délicates harmonies dont le melotron retranscrit tous les sons d’un orchestre symphonique
ils auraient sans doute gagné à jouer la nuit
mais ils terminent ce que mélanie avait éveillé
le jour
avec un grand calme et beaucoup de rêve

bien sûr on a droit à night in white satin tube célèbre depuis deux étés au moins
et de leur opéra days of future passed
puis c’est timothy leary is dead de leur search of the lost chord
hommage à la drogue
hommage à la sagesse
hommage à om om om

dans le ciel vibrant un cerf-volant cherche aussi des harmonies perdues dans le rythme
ils font un beau succès les moody blues
grande classe

l’année dernière le melotron était tombé en panne sur scène la foule avait attendu calmement que celui des moody blues qui l’a inventé l’ingénieur le répare
très britannique comme attitude


un organisateur s’obstine à dire que ce n’est plus la peine de détruire les palissades puisque le festival était gratuit désormais

il n’avait pas compris que les plaques de tôle qui s’en allaient comme des petits pains servaient à se protéger du vent pour la nuit

un type à qui on demandait comment il s’était débrouillé pour gagner de l’argent à wight nous a dit
ben on faisait des baraques et on les revendait

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Pentangle on stage

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Texte de Gaelle Kermen – Crédit photos : Jacques Morpain 1970
En mémoire de Bruno le Doze (10/11/1957-10/09/1997) page hommage 1997
ACD Carpe Diem 2017